Issu d’une famille juive alsacienne, Jean-Claude Dreyfus fut reçu premier au concours de l’externat des hôpitaux de Paris en 1936 ; il avait alors vingt ans. Il venait d’être nommé interne quand il fut mobilisé en avril 1938. Il passa un an dans la ligne Maginot comme médecin auxiliaire, fut ensuite affecté dans une compagnie de l’air, transféré à Paris en avril 1940 pour y finir ses études puis finalement démobilisé en juillet. Interne des hôpitaux de Paris pendant les deux premières années de l’Occupation, il fut renvoyé en 1942 par décret de l’État français. Il se réfugia à Lyon où il fut accueilli avec Georges Schapira dans le laboratoire du professeur Gabriel Florence. Arrêté le 28 décembre 1943 à Annecy par la police allemande, il fut déporté. Professeur agrégé de biochimie médicale, il fut avec Georges Schapira, « le cofondateur de la pathologie moléculaire en France ». Il est décédé en 1995.

Ce texte a été publié aux éditions La Cause des Livres en 2009. Il a été écrit par Jean-Claude Dreyfus en 1988, à la demande d’une de ses filles. C’est un court récit (47 pages de témoignage), celui de trois années « de la vie d’un étudiant en médecine subissant les lois d’exclusion et de marginalisation sociale de l’antisémitisme d’Etat et l’angoisse récurrente d’un danger diffus mais réel » (Denis Peschanski).

Bien que ce témoignage ait été écrit presque 50 ans après les événements qu’il relate, Denis Peschanski, historien, directeur de recherche au CNRS, en souligne l’intérêt historique car l’auteur « sait quand la mémoire est floue et note, avec beaucoup d’intelligence, que quelques souvenirs, s’ils ne sont peut-être pas « vrais », ont leur importance : restés gravés dans sa mémoire, ils doivent avoir un caractère symbolique fort ».

Le témoignage de Jean-Claude Dreyfus rend très perceptible ce que fut la vie quotidienne d’un étudiant puis d’un jeune médecin juif, en France, sous l’Occupation. Seul, inquiet, il se réfugie dans les études et le travail, passant souvent ses nuits dans les hôpitaux (Broussais, Necker, Saint-Louis), pour éviter de rentrer chez lui, « à la suite de quelques rumeurs inquiétantes ». Il n’a d’ailleurs guère envie de retrouver le grand appartement abandonné par ses parents qui se sont réfugiés en Dordogne.

Il décrit avec ironie parfois, avec finesse et recul toujours, un milieu médical qui considère l’antisémitisme comme une donnée naturelle, largement indifférent au sort des juifs, essentiellement préoccupé de sa carrière et de son bien-être. « En mars 1942, le Chef de l’État français (…) décidait que les Juifs ne pourraient désormais exercer de fonctions dans les hôpitaux (…) Un peu gêné, le directeur de l’hôpital me le signifia (…) La salle de garde accueillit mon renvoi avec flegme, sans manifester de joie ou de regret. Sur la trentaine de collègues, un me dit quelques mots ». Néanmoins, la solidarité n’est pas toujours absente : le personnel du service lui manifeste sa sympathie et lui fait un cadeau ; elle est cependant plus franche et plus active dans le village de Dordogne où il retrouve sa famille et où on lui procure de faux papiers et une nouvelle identité.

La suite de ce récit a été publiée en 2009 chez le même éditeur, avec une préface d’Axel Kahn, sous le titre Souvenirs lointains de Buchenwald et de Dora, 1943-1945.

© Joël Drogland