“Comment ne pas être un jour hanté par l ” oublieuse mémoire ”chère à Jules Supervielle?” écrit Jean -Marie Borzeix. Cette phrase pourrait illustrer la démarche de l’auteur. Jean-Marie Borzeix était enfant pendant la guerre, et l’ouvrage relate les exactions commises en Limousin par les armées allemandes au cours du printemps de 1944. Ces évènements le conduisent à mener des enquêtes sur le déroulement de ces évènements, mais aussi à méditer sur le souvenir et la mémoire.
Jean -Marie Borzeix: A la recherche d’une histoire oubliée.
L’ouvrage de Jean-Marie Borzeix débute par le récit des événements survenus le jeudi 6 avril 1944- le Jeudi Saint- à Bugeat en Corrèze. Ce jour là, des soldats allemands exécutent quatre otages âgés, des parents de Résistants .Au début des années 2000 l’auteur part à la recherche des souvenirs de ces exécutions, en interrogeant les témoins survivants, mais son enquête, d’abord consacrée à l’exécution des otages de Bugeat et au souvenir complexe de cet événement traumatique, s’oriente dans une direction inattendue. En effet, Jean-Marie Borzeix apprend qu’un autre homme a été fusillé, Chaïm Rozent, un homme juif d’une trentaine d’années qui était à la fois coiffeur et violoniste (il organisait des bals clandestins pour les jeunes maquisards). L’enquête de l’auteur (il consacre de belles pages aux recherches dans les dépôts d’archives), le conduit à évoquer la figure de Chaïm Rozent et de sa famille qui avaient fui la Belgique pour échapper à l’avance des armées allemandes. Jean Marie Borzeix devient ainsi l’historien d’une double histoire: celle des otages fusillés, et celle des Juifs déportés.Il dresse ainsi un portrait émouvant des réfugiés juifs, assignés à résidence, obligés de se cacher, et souvent arrêtés et déportés. Il parvient à retrouver les enfants de Chaïm Rozent, installés en Israel avec leur mère après la guerre. L’ouvrage établit une comparaison entre l’attitude des habitants de Bugeat, souvent Résistants, qui ont accueilli et protégé les Juifs et la politique de répression et de collaboration de de Vichy (assignation à résidence des étrangers et de Juifs, arrestation des Juifs réfugiés en Corrèze). Il montre que l’occupation du village de Bugeat par les Allemands, s’est accompagnée de l’arrestation et de la déportation de huit Juifs cachés dans le village. L’avant dernier chapitre du livre est consacrée à la cérémonie du 13 juillet 2004 qui réunit à Bugeat, les habitants de la commune,les enfants ou petits enfants des Juifs déportés. Enfin, dans le dernier chapitre, l’auteur évoque le génocide du Rwanda qui débuta le 7 avril 19994, 50 ans après les exécutions de Bugeat.
Deux mémoires se joignent ainsi dans l’ouvrage de Borzeix, et il me semble que c’est le sens profond de son livre : la mémoire de la Résistance en Corrèze, et celle de l’arrestation et de la déportation des Juifs.