Dans l’introduction Jean-François Sirinelli axe son propos sur le caractère novateur de cet ouvrage : « il s’assume comme un livre d’histoire…et il entend dépasser de tels clivages en engageant un fructueux dialogue avec certaines des sciences sociales concernées ». Qui dit champ nouveau dit aussi difficultés. Ainsi, plusieurs auteurs soulignent le problème des sources qui certes deviennent plus abondantes lorsque l’on se rapproche de notre époque. Comme pour d’autres catégories pendant longtemps, on a parlé des jeunes, mais les jeunes ne parlaient pas d’eux. L’ouvrage est structuré en trois parties selon une logique chronologique. Une partie de l’ouvrage peut être utile dans le cadre des questions de stg sur « les jeunes depuis 1945 ».
La jeunesse n’est qu’un mot…
Cette formule lapidaire de Pierre Bourdieu résume bien le propos introductif de Ludivine Bantigny. La question de la jeunesse n’est pas biologique, c’est avant tout une construction sociale, culturelle et politique. L’auteure montre aussi combien cet objet d’étude est récent.
La première partie traite du XIX ème siècle jusqu’au début du XX ème siècle : on revient notamment sur le service militaire, sur le monde rural et aussi sur la belle époque. « La jeunesse dans la France des notables, 1815-1870 » s’intéresse justement à la construction de cette catégorie qu’est la jeunesse. Jean-Claude Caron souligne combien la mise en valeur de la jeunesse permet alors que la « guerre générationnelle , noble, balaie la guerre civile, ignoble ».
Comme cet ouvrage défriche, il permet donc de faire attention à des phénomènes parfois oubliés : ainsi en est-il des ouvriers agricoles qui très nombreux dans les campagnes françaises étaient quelque peu oubliés dans l’histoire. Il y a en réalité au moins trois jeunesses rurales, même si la majorité des jeunes reste en famille, les autres étant placés comme domestiques et les autres étant les enfants de notables. L’auteur montre l’intérêt de lier cette étude aux structures agraires de la France pour comprendre par exemple l’adaptation du monde rural aux crises. En effet, ce sont majoritairement les jeunes qui migrent, amortissant ainsi les conséquences de la crise.
Odile Roynette et Annie Crépin s’intéressent au service militaire au XIX ème. La Révolution française en a fait un lieu de socialisation de la jeunesse. En 1792, les révolutionnaires sont convaincus de la nécessité d’un tel système comme une sorte de condition de survie du nouveau système. Le service militaire devient peu à peu un rite de passage et peut aussi être lu dans le cadre de la construction de l’Etat.
Plusieurs articles abordent la question de la violence de la jeunesse, ou du moins de sa régulation progressive. Ainsi la loi de 1906 constitue une étape dans ce processus puisque apparaît une sous- catégorie pour les 16-18 ans
De la jeunesse aux jeunes.
Dans la deuxième partie « d’une après-guerre à l’autre » Christine Bard traite d’un roman « La garçonne » considéré comme scandaleux en son temps. Plus d’un million d’exemplaires sont vendus en 1929 et le Vatican met à l’index ce livre qui raconte la vie amoureuse mouvementée de l’héroîne. Ce qui est frappant c’est qu’en même temps le livre est profondément pétri de stéréotypes sur la femme. Sarah Fishman livre une intéressante étude sur Vichy et remet en cause certaines idées. En effet, omnubilé par la jeunesse, le régime de Vichy lui prête une forte attention. Elle montre ainsi que l’activité de Vichy autour de ce thème conduit forcément le Gouvernement provisoire à s’emparer de cette question. L’ordonnance de 1945 s’inscrit alors dans un cadre chronologique à reconsidérer. Ensuite c’est l’occasion d’évoquer le rapport de la jeunesse à la guerre. Comme le dit Ludivine Bantigny « les discours sur la jeunesse ont cela de captivant : ils en disent davantage sur ceux qui les écrivent que sur ceux qu’ils décrivent ; plus encore ils sont liés au bilan de santé d’une société ». En effet toute une jeunesse se trouve aux prises avec les guerres de décolonisation, contribuant à nuancer la seule vision de croissance économique que l’on évoque pour l’après 1945.
Les jeunes après 1945 : une quête d’identité.
Dans la troisième partie, celle directement en lien avec le programme de stg, on parle yéyé, sexualité et on revient aussi sur l’évolution du service militaire. Le cinéma et les yéyés se sont manqués. Au contraire des Etats-Unis, tout un tas de mécanismes commerciaux n’ont pas été mis en place en France. Il n’y a pas de lien véritable entre musique et cinéma, donc le public n’a pas les mélodies en tête avant d’aller au cinéma. Soulignons au passage que c’est la prise en compte de ce mécanisme indispensable qui explique le retour en grâce il y a quelques années en France des comédies musicales. De plus, le cinéma yéyé français livra quasiment toujours un message extrêmement normatif. En revanche la photographie, notamment par l’intermédiaire de Jean-Marie Périer, se révéla un espace de vraie liberté, non dirigée par les « croulants » selon la terminologie « jeune » de l’époque.
Un très intéressant article traite de la question de la sexualité et montre bien comment la sexualité qui était hier un des attributs de l’individu marié est devenue un préalable. Plutôt qu’à un recul de la normativité on assiste à une prolifération de normes parfois contradictoires. « En somme c’est désormais l’expérience de la sexualité et de l’intimité et non plus la retenue sexuelle qui est considérée comme productrice de lien et de connaissance de l’autre et de soi ». Deux articles sur les jeunes immigrés terminent le tour d’horizon proposé par le livre.
Pour ceux qui souhaitent prolonger on peut conseiller de se rendre sur le site de la Revue électronique du centre d’histoire de Science Po : http://www.histoire-politique.fr/index.php?numero=04 qui a intitulé son quatrième numéro « jeunes, sujets et enjeux politiques, France XX ème siècle. »
Au total balayant deux siècles et de nombreuses situations, cet ouvrage permet un tour d’horizon. On pourra ponctuellement utiliser certaines remarques comme une sorte de plus pour le cours de stg. L ‘ouvrage donne ainsi accès à des chiffres et à des exemples qui peuvent être utiles. On se trouve au début d’un sujet d’étude et reprenant la conclusion d’un article, on peut dire « tout l’intérêt d’une approche historique en terme de génération et d’itinéraire professionnel pour appréhender plus finement les rapports sociaux ».
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