Biographie historique foisonnante écrite par un journaliste de France 3 et de RFO, Pierre Bardin, Joseph de Saint-George, immerge le lecteur entre la période pré-révolutionnaire et révolutionnaire en suivant les pas de Joseph de Bologne Saint-George, plus connu sous le nom de Chevalier de Saint-George. Ce fils illégitime d’un colon guadeloupéen d’origine protestante et d’une affranchie créole, né esclave, va connaître un destin hors du commun en devenant un des escrimeurs les plus doués de sa génération, un musicien reconnu côtoyant Christophe Gluck et Niccolo Piccini, ce qui lui valut le surnom de « Mozart noir ».

Très connu dans le milieu antillais et au Royaume-Uni, héros parfois mythifié et présent à plusieurs endroits en même temps (les « zones d’ombre » de son histoire restent assez nombreuses pour permettre beaucoup de suppositions), Joseph de Saint-George apparaît dans cet ouvrage comme un homme nouveau, par son origine métisse (c’est un « mûlatre », comme on le lui rappellera souvent), et par sa capacité à se jouer des pesanteurs de la fin de l’Ancien régime. Car, quand même, il est assez stupéfiant de voir cet homme accéder au titre de Chevalier alors que les préjugés racistes existent déjà à propos des «américains».

Le Mozart noir et le bretteur

Il est même le seul homme de couleur à avoir été intégré au corps des gendarmes de la Garde du Roi.
Son père, Georges de Bologne Saint-George, en achetant pour son fils la charge de contrôleur des guerres, lui permet de devenir écuyer et, onze ans plus tard, d’accéder au titre de chevalier, ce qui lui vaudra un commandement militaire ( la fameuse « Légion Noire » de 1793) lors de la période révolutionnaire. Saint-Georges bénéficie certes de bonnes protections : l’escrimeur La Boëssière, qui l’a élévé comme son fils, Madame de Montesson, le duc d’Orléans et les Francs-Maçons (chez lesquels il sera un membre « invisible », le règlement de la Franc-Maçonnerie n’acceptant pas les hommes de couleur.
Saint-George est connu à la cour de Louis XVI, fréquente les salons de Marie-Antoinette, et il compose énormément. Il dirige le Concert des Amateurs, un groupement des meilleurs musiciens de l’époque pré-révolutionnaire. Individualiste (il n’a ni femme, ni enfant), il voyage à Londres où sa renommée est grande et où la Révolution le surprend.

Le soldat déçu de la Révolution

Revenu en France, il crée et commande une compagnie de chasseurs à cheval composée d’ « améridescendants », c’est à dire de Noirs affranchis. Il combat en Belgique, aux côtés d’Alexandre Dumas et sous les ordres du général Dumouriez.
Lié de près à l’affaire Dumouriez, accusé de trahison par le Comité de Salut Public, il est emprisonné et manque de passer à l’échafaud. Libéré en 1795, il ne pourra retrouver son poste militaire et, malade, va mourir dans la misère à cinquante quatre ans sans pouvoir (et vouloir) se soigner d’un ulcère à la vessie.
Pierre Bardin multiplie dans son ouvrage les anecdotes, ce qui découd un peu le fil du récit, mais fait entrer le lecteur dans cette période de fin de régime où coexistent les hautes exigences musicales, les duels publics (Saint-George affronte le chevalier d’Eon), les revendications des Lumières, les désirs d’émancipation des Noirs antillais et le bouillonnement séminal de la Révolution.

La vie de Saint-George, entre 1789 et 1795, est celle d’un homme embarqué dans le tourbillon de l’Histoire et qui ne contrôle plus grand chose de sa vie. A la lecture des passages concernés, Pierre Bardin donne de cette période une impression de grande incertitude pour tous, et en même temps de création permanente dans une jouissive improvisation. C’est un des passages les plus captivants de cet ouvrage, auquel on peut rajouter celui sur la situation des Noirs en France, d’abord tolérés puis rejetés par l’Ancien régime, avec l’expression d’un racisme très cru et souvent vulgaire, même chez les plus respectables plumes. Un autre moment fort de l’ouvrage est la première partie, sur la situation des colons dans les Antilles, et notamment celle de la famille du père de Saint-George, où l’on a l’impression de se retrouver dans les planches de la bande dessinée de François Bourgeon, « Les Passagers du Vent », élaborée de 1979 à 1984. On rajoutera à ces « bonnes feuilles » tous les passages sur le monde musical de l’époque, entre compétition effrénée et respect mutuel.

L’écoute des œuvres de Saint-George (via You Tube, par exemple) parachèvera le portrait de cet homme hors du commun, pour qui Pierre Bardin ne cache ni son affection (il écrit souvent « notre chevalier » à son sujet), ni son admiration. D’autres biographes ont été moins tendres avec Saint-George, lui reprochant beaucoup d’atermoiements et une vie fondée sur la recherche des plaisirs.
Au final, le lecteur Clionaute ne boude pas son plaisir, car même si elle reste parfois malaisée à lire dans son intégralité (manque d’esprit de synthèse, détails abondants ), cette biographie se révèle assez surprenante et attachante. A titre personnel, j’y ai beaucoup appris.

Mathieu Souyris, collège de Plum, Mont-Dore, Nouvelle-Calédonie.