L’introduction trace le cadre et les sources de l’étude sur le jeu essentiellement à Paris, le jeu comme geste social à travers les discours, les pratiques et l’économie.
Dans une première partie très documentée l’auteure traite de la réflexion religieuse et morale sur le jeu à l’époque moderne, en particulier les jeux de hasard, les loteries et les jeux d’argent. De façon très pointue est analysée l’évolution des discours depuis la fin du Moyen-Age jusqu’aux Lumières, comment la Réforme et la Contre-Réforme se situent entre le jeu perçu comme indispensable à l’équilibre des hommes et le jeu réputé dangereux au regard de la religion et même de la morale sociale. De très nombreux textes et auteurs sont cités, proposant une approche du rapport entre hasard et volonté divine qui montre que ces réflexions de l’époque ont un véritable enjeu d’autant qu’au XVIII ème siècle on perçoit le danger social du jeu et de ses dérives. L’auteure montre comment du discours religieux on passe au discours philosophique et moral et même comment ce thème devient très présent dans la littérature et le théâtre. Enfin il est rappelé
que les mathématiciens s’emparent du sujet avec Pascal et qu’il existe un discours juridique autour de la nécessaire protection des personnes, femmes et enfants, face aux dettes de jeux notamment au XVI Ième siècle.
La seconde partie porte sur une présentation des “pratiques”. D’abord les jeux de balles: jeu de paume et ses variantes, les lieux et les règles de la pratique, on nous montre l’intérêt de l’entourage royal pour ce type d’exercices et leur vocation éducative, leur déclin à partir du XVII ème siècle.
Puis il est question du jeu de l’oie et autres jeux de table: échecs, dames, tric-trac…une énumération minutieuse des divers jeux en vogue avec leur origine datée, localisée, la présentation des règles et des supports utilisés, les conditions matérielles et sociales de pratique.
Ces jeux sont mis en relation avec l’apparition en 1539 et le développement des loteries dont l’Etat espère des revenus financiers. L’analyse de ces pratiques est mise en relation avec les discours moraux ou juridiques et montre la dialectique entre divertissement et jeux illicites, tolérance et répression. Au XVIII ème siècle c’est la victoire des jeux de cartes et lotos qui quittent la cour pour l’ensemble de la société. Ils sont étudiés à travers les nombreux “traités”publiés à l’époque.
L’auteure montre ensuite comment l’évolution des jeux et des pratiques sont révélateurs de l’idéologie des groupes sociaux qui s’y adonnent, de l’aristocratique jeu de paume au modèle de comportement de l’honnête homme qui s’exprime dans les divers traités de jeux. De même elle met en relation le développement des jeux d’argent et le progrès de la société marchande. Un chapitre est consacré à la police des jeux à partir des archives judiciaires et carcérales.
La troisième partie est consacrée à l’économie des jeux, leur développement a constitué une chance et un “marché’ pour certaines corporations. On voit même apparaître de nouveaux métiers comme les paumiers ou les raquetiers-brossetiers qui profitent de l’engouement pour le jeu de paume au XVI ème siècle ou les cartiers au XVII et XVIII ème siècle. L’auteure tente une évaluation économique: nombre d’emplois, évolution au fil des trois siècles.
L’étude chiffrée des baux concernant les emplacements de jeux donne de nombreuses indications, toutefois on regrettera l’absence de référence sur d’autres prix comme élément de comparaison.
Suit une longue et minutieuse description de la fiscalité puis des techniques de fabrication des cartes par 220 maîtres et plus de 1000 ouvriers et apprentis.
Cette économie est mise en parallèle avec le discours répressif sur cet “instrument de débauche”, l’analyse montre la dialectique entre répression du jeu et des fraudes et justification d’une fiscalité destinée à venir en aide aux pauvres, taxes qui furent de faible rendement, difficiles à percevoir au moins jusqu’au XVIII ème siècle. En tout état de cause il semble bien délicat d’évaluer les flux monétaires engendrés par les jeux d’argent, même si les lieux de cette activité clandestine mais fréquentée par la meilleure société: les “brelans” sont très présents dans les sources judiciaires.
Voilà un ouvrage très pointu, plutôt descriptif, très détaillé, s’appuyant sur des sources nombreuses et variées mais qui manque cependant de synthèse au point que l’ambition d’une vision globale de la société annoncée n’est guère atteinte.
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