Par Cyril Froidure.
Cet ouvrage, paru sous le même titre en 1978 aux éditions Maspero, est ici réimprimé avec un avant-propos inédit. L’auteur, professeur des universités en littérature comparée et auteur d’articles pour des périodiques tels que Le Monde diplomatique, a rédigé plusieurs livres sur l’Allemagne et la culture allemande au XXe siècle parmi lesquels « la vie quotidienne sous la république de Weimar » ou encore « Nazisme et barbarie ».
Ici, Lionel Richard fait l’inventaire des conceptions culturelles des nazis en se proposant de replacer celles-ci dans l’histoire culturelle allemande, en contradiction avec certains auteurs qui les expliqueraient par des caractères propres à un esprit allemand et à d’autres qui penseraient qu’elles découlent uniquement de l’idéologie.
Son travail a pour objectif d’expliquer comment fut possible une production culturelle nazie et de quelles façons, les nazis trouvèrent, pour prendre les termes de l’auteur « des milliers de producteurs culturels ».
Lionel Richard met en évidence les rapports entretenus entre les nazis et la culture. Il évoque tout d’abord la manière dont les nazis envisagent la culture, son rôle dans la société. Dans ce domaine, la culture et l’art ont pour objectif de promouvoir les idées nazies afin de permettre de réaliser une société homogène. Pour cela, culture et art n’ont pas à innover mais à copier ce qui est accepté par les mentalités ; de ce fait, l’art pour les nazis, c’est un art éternel, un art mort qui doit mettre en valeur le sang et le sol, fondements de la communauté ce qui explique, entre autres, le rejet de l’art moderne qui pourrait compromettre l’unité de la volksgemeinschaft.
Les valeurs morales, revendiquées par le nazisme (patriotisme, obéissance et amour du chef, travail) et issues pour nombre d’entre elles du nationalisme, doivent permettre de déterminer ce qui est beau et ce qui ne l’est pas, ce qui est de l’art et ce qui n’en est pas ou relève de l’art dégénéré. L’auteur explique ici au passage que valeurs et conceptions nazies sur la culture ne sont pas neuves mais sont en partie celles qui avaient cours en Allemagne depuis 1871 et qui se sont diffusées à la fin du XIXe siècle puis au début du XXe dans une partie de la presse et de la littérature. Toutefois l’auteur effectue une mise en garde : les conceptions culturelles de cette époque ne menaient pas forcément au nazisme.
Une fois au pouvoir, les nazis allaient très rapidement imposer leur vision de la culture et de l’artiste. Les deux devaient être au service d’une propagande permettant de forger et de renforcer la communauté nationale. Pour cela, ils devaient être soumis, intégrés à l’état car le IIIème Reich devait être une totalité sans failles. Les premières mesures visant à contrôler la production artistique furent prises dès 1933 et permirent de mettre au pas les artistes ; nombreux furent ceux suspendus ou évincés, la section littéraire de l’académie prussienne fut dissoute car jugée trop imprégnée de l’esprit de la république de Weimar. Ces mesures répressives prirent un tour spectaculaire lors de l’autodafé de milliers de livres le 10 mai 1933.
A ces mesures de rétorsion s’ajoutèrent des mesures de contrôle de la production et de la consommation culturelle à travers la création d’un ministère de la propagande et de l’information dirigée par Joseph Goebbels. Celui obtint la haute main sur toutes les activités de l’esprit au grand désarroi de Rosenberg et de nombreux ministères qui se virent retirer leurs compétences qui touchaient de près ou de loin au domaine culturel. On a là un exemple typique des luttes de pouvoir qui traversèrent le IIIème Reich durant toute son histoire.
Du ministère de la propagande dépendait une chambre de la culture qui devait contrôler administrativement la culture.
Face à cela, quelles furent les réactions des artistes ? L’auteur s’attarde sur le cas des écrivains.
Un grand nombre se rapprocha des nazis ; il s’agit d’auteurs nationalistes mis en valeur par les nazis. La littérature nazie proprement dite existait avant 1933 mais prit son réel essor avec l’arrivée au pouvoir sous l’impulsion des dirigeants mais aussi d’associations et de revues telles que Die Neue Literatur qui définit un programme littéraire destiné à soutenir la littérature fidèle aux valeurs du peuple allemand. Ce programme, centré sur le retour au passé, une langue purifiée, le racisme, le retour à la terre, fut développé dans les quatre courants littéraires qui eurent cours de 1933 à 1945 : le courant nationaliste qui exaltait la guerre comme source de valeurs humaines, le néo-romantisme qui chantait une Allemagne éternelle, le régionalisme et la littérature de propagande.
Les autres eurent à choisir entre une prise de distance vis-à-vis des nazis tout en restant en Allemagne, c’est l’émigration intérieure et ceux décidèrent de quitter le pays en raison d’une conception du monde différente de celle des nazis. Quoiqu’il en soit, ces choix furent, le rappelle l’auteur, des choix individuels.
Le dernier chapitre de la première partie est consacré à la postérité du national-socialisme dans la culture, essentiellement en littérature dans l’Allemagne de l’après-guerre. En RDA, celui-ci n’eut plus d’influence alors qu’en RFA, la situation est plus ambiguë. Le discours officiel était celui de la dénazification or jusqu’en 1969, le développement d’une littérature de guerre, d’évasion qui idéalisait le passé, la publication des mémoires de hauts dignitaires (Albert Speer) ou d’artistes ayant soutenus le régime nazi (Blunck, Grimm) entretinrent le souvenir de l’Allemagne nazie. L’attitude de l’état fédéral ne fut pas en reste ; l’exemple des télégrammes envoyés par le président Lübcke et le chancelier Erhard à E.Junger pour ses 70 ans illustrait cette ambiguïté. Lionel Richard conclut en précisant que depuis les années 70, de nombreuses remises en question ont eu lieu sous l’impulsion des nouvelles générations tout en faisant remarquer qu’il n’était pas sûr qu’au jour d’aujourd’hui, le nazisme ait été collectivement surmonté.Ce livre permet d’avoir une vision globale des rapports entre nazisme et culture, rapports qui sont remis dans leur contexte, celui d’une Allemagne soumise depuis l’unification de 1871 à un discours porteur d’idées nationalistes reprises à leur compte par les nazis. Tout au long de son développement, l’auteur cite abondamment des sources contemporaines qui illustrent son propos ; cette dynamique est maintenue grâce à la présence de nombreuses annexes qui permettent d’approfondir les thèmes abordés dans son développement : les nazis et la culture, l’organisation de la chambre de la culture et une intéressante partie sur les différentes positions prises par des écrivains, allant de la compromission avec le régime nazi (Hanns Heinz Ewerz, Gottfried Benn) à l’émigration et à la résistance (Klaus Mann, Thomas Mann) en passant par le « martyr » (Carl von Ossietzky).Copyright Clionautes 2006.