Dans sa préface, Olivier Pétré Grenouilleau qui vient de publier une synthèse fort utile sur les traites négrières, rappelle les précautions indispensables pour tout historien face à une source. Il nous restitue ce journal dans son époque : l’auteur Jean Pierre Plasse est un français travaillant pour un armateur français, à bord d’un navire hollandais faisant le commerce de traite à l’occasion. L’auteur qui est un habitué du trafic défend donc les intérêts de l’armateur, il présente son action et dit vouloir servir à ceux qui se lanceraient dans ce commerce. Son récit permet au lecteur de se faire une représentation de ce que pouvait être pour un Français, à l’époque, cette activité.
Ce journal quotidien, ou presque, a été remis en français moderne par un descendant de l’auteur.
Depuis son départ d’Amsterdam début mai 1762, l’auteur nous donne des informations sur la navigation, les rencontres avec les marines « ennemies » qui peuvent être plus inquiétantes même que la météo, les cartes incertaines et les hauts-fonds de la côte africaine. L’intérêt principal réside dans sa description très précise des lieux de traite, les conditions d’approche de la côte, les marchandises à acheter pour le voyage ou le troc en d’autres points de commerce (huile de palme par exemple) et des marchandises échangées (cotonnades, barre de fer, armes à feu), variables au long de la côte tant de par leur nature que de par leur valeur d’échange et bien différentes de la « pacotille » longtemps évoquée comme l’objet du commerce des esclaves. Ce journal dresse un tableau précis des intermédiaires africains : interprètes, courtiers…, des autorités côtières et des us et coutumes, des croyances des habitants. Le plus surprenant est la durée même de l’expédition. S’il faut moins d’un mois pour atteindre les côtes de l’Afrique de l’Ouest (le navire est face à la Gambie le 31 mai), le cabotage avec les premiers achats de captifs dure quatre mois suivi d’une longue escale sur la côte de l’actuel Bénin, très longuement décrite, pour compléter la cargaison. C’est l’occasion de percevoir les représentations d’un négrier tant sur ses futurs captifs que sur les populations à qui il les achète.
Si le navire repart le 14 mars 1763 c’est pour une nouvelle escale d’un mois à l’île du prince (actuelle São Tomé-et-Príncipe) pour « préparer les esclaves » avant la traversée de l’Atlantique ce qui permet l’évocation des conditions « humaines » nécessaires à un voyage sans trop de pertes. Il quitte enfin l’Afrique le 23 avril soit pratiquement un an après le départ d’Europe pour arriver en vue des côtes américaines le 14 mai et toucher au but le 19 juin sur les côtes du cap français (Haïti ) où notre homme souhaite vendre sa cargaison humaine. C’est là que s’arrête son journal qui hélas ne nous renseigne pas sur le sort des esclaves qu’il a ainsi acheminé vers l’Amérique.Ce périple raconté dans un style sobre présente pour un lecteur d’aujourd’hui l’intérêt certain d’une plongée dans l’univers mental d’un négrier du XVIIème siècle. Les considérations sur ses « partenaires commerciaux » montre toute la complexité de ce que fut la traite négrière.
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