Le maréchal Vauban (1633 – 1707) est resté célèbre dans les mémoires avec sa théorie du pré carré destiné à défendre les frontières du royaume de France. Défenseur du royaume d’un Louis XIV tout puissant, il fut un serviteur zélé, un de ces hommes d’Etat qui ne comptait ni son temps, ni sa santé. Proche du roi, fidèle au roi, il n’hésita cependant pas à faire part de son indignation contre l’oppression religieuse puis l’expulsion des protestants, au nom de la liberté de conscience et d’opinion.
Les deux auteurs ont réussi à croquer le portrait de cet homme, non pas sous le prisme de l’ingénieur militaire dont l’art de la poliorcétique et de la fortification n’avaient plus aucun secret, mais sous l’angle d’un personnage résolument moderne et tourné vers le siècle des Lumières qui s’annonçait. Et le temps d’une Révolution qui ne disait pas encore son nom mais qu’il sentait poindre dans tout le royaume.
Vauban le poliorcète
La ceinture de fer dont Vauban dota le royaume n’avait pas pour but de stopper définitivement l’ennemi, mais de le retarder au maximum, de lui causer le plus de pertes possibles afin que ce dernier mobilisât un nombre très important de troupes. Ces places fortes furent cependant rendues peu à peu caduques à cause des progrès de l’artillerie. De nos jours, douze ouvrages de Vauban, regroupés au sein du réseau Vauban, sont classés au patrimoine mondial de l’UNESCO.
C’est donc sous l’angle politique que les auteurs, Alain Monod, historien de formation et avocat au Bareau de Paris et Pierre Joxe, ancien ministre de l’Intérieur, de la Défense et avocat, et Jean-Louis Fousseret, Président du Réseau des sites de Vauban, ont souhaité présenter ce maréchal tout botté et tout cuirassé.
L’ouvrage se base sur deux documents placés en annexe, deux textes et deux grandes causes plaidées par Vauban. Il s’agit de son Mémoire pour le rappel des Huguenots (1689) et de son projet de réforme fiscale intitulé Dixme royale (1707). Malgré ces combats qu’il mena avec acharnement, le roi n’accéda pas à ses demandes, non sans avoir lu, semble t’il, ces textes.
Vauban a connu ses deux plus cuisantes défaites entre 1685, année de la Révocation de l’Edit de Nantes et son décès en 1707, à l’aube d’une nouvelle ère du siècle des Lumières dont les auteurs estiment qu’il fut un précurseur. Ce ne furent donc pas des échecs militaires mais politiques. Le Roi-Soleil tenait en très haute estime son ingénieur militaire en chef. Il l’écoutait, le lisait sans doute, mais ne l’entendait pas quand il s’écartait de sa mission de commissaire général aux fortifications. Le roi reste inflexible à ses appels.
Vauban le critique de son temps
Vauban dénonça les vices et l’inefficacité du système fiscal moyenâgeux du royaume. Le roi se borna à faire saisir ses écrits, mais sans inquiéter l’auteur qui, d’ailleurs, était alors à l’article de la mort. Malgré ses échecs, Vauban reste d’une totale fidélité au roi et au pouvoir absolu sans renier pour autant ses propres convictions. Ainsi, pour plaider la cause des protestants, il mit en avant les principes de liberté de conscience ou l’imposture des conversions forcées. Mais, sachant que ces voies seraient des impasses, il prit un autre chemin pour se faire entendre du monarque.
Il plaida la fuite des capitaux, des cerveaux, en un mot, l’affaiblissement de la puissance du royaume. Il estima la perte du royaume à 100.000 personnes et un manque à gagner pour les caisses de l’Etat royal de 30 millions de livres. Cet exode eut, également, pour effet de renforcer les équipages des marines européennes notamment anglaises et hollandaises. Nombre d’officiers et de matelots étaient d’obédience protestante. Vauban perçut avant tout le coût politique et militaire de cette révocation. Et le risque stratégique décidé par le Roi-Soleil. Vauban redouta même pour la sécurité de la France, désormais menacée par l’alliance des Etats catholiques et Protestants, mais également pour la sécurité intérieure où de nombreuses révoltes éclatèrent. La France survivra t’elle écartelée de la sorte ?
Lui-même le dit dans cette France écrasée d’impôts : tout souffre, tout pâtit et tout gémit. Que sait-on, si une infinité de catholiques ruinés et appauvris ne serait pas bien aise de voir réussir les ennemis extérieurs ? Et causer une révolution dans l’Etat ? »
Vauban le réformateur fiscal
Vauban ne fut pas non plus écouté, 25 ans plus tard. De sa profonde et précise connaissance d’un royaume qu’il avait parcouru, eut l’idée de refonder le système fiscal dont il percevait bien toutes les inégalités et l’inanité. Son projet de Dixme royale se basait sur un impôt proportionnel sur tous les revenus de tous les sujets du roi – donc les nobles – ! Il avait constaté la misère paysanne, les villages misérables, les disettes, l’insécurité, le vagabondage, la mendicité criante…
Son projet de dîme était novateur. Pour cela et grâce à son expérience empirique et son talent de mathématicien, il s’appuya sur des statistiques, des analyses financières, économiques. Vauban débouchait sur le constat que la monarchie absolue avait encore le temps de se réformer pour redresser l’économie et éviter, ainsi, la faillite et une guerre civile. Il tenta ainsi afin d’accroître ses chances de succès, de s’en remettre à l’oreille de Madame de Maintenon, pour lui expliquer la situation du pays et qu’il était encore temps d’éviter, dans un avenir proche, un naufrage de la monarchie.
Peine perdue, une fois de plus refoulé aux portes du pouvoir malgré un énième entretien avec Louis XIV sur ce sujet, au soir de sa vie, Vauban décida de faire publier sa bombe politique. Il fit donc imprimer, sans l’autorisation du monarque, son ouvrage et le fit distribuer à plusieurs centaines d’exemplaires, peu de semaines avant sa mort.
Saint-Simon (1675 – 1755) déclara : Le livre de Vauban fit grand bruit. Admiré du public, détesté par les financiers, abhorré des ministres dont il alluma la colère. »
Vauban ne fut pas emprisonné et mourut à son domicile quelques jours plus tard.
Au final, cet ouvrage est original, car il dépoussière l’image de ce serviteur zélé de la monarchie absolue, dévoué à son Roi mais qui n’en pensait pas moins pour autant. Vauban fit partie de cette génération d’homme d’Etat et de travailleur infatigable. Il mit tout son zèle, son énergie au service du Roi mais, ce qui l’importait par-dessus tout, ce fut le service de la France pour qu’elle puisse demeurer. Homme moderne avant l’heure, il n’hésita pas à faire part de sa désapprobation sur la révocation de l’Edit de Nantes directement au Roi-Soleil.
Parcourant le royaume en tous sens, pendant plusieurs dizaines d’années, il fut frappé par la pauvreté de la paysannerie, du petit peuple des villes réduit à mendier, des inégalités criantes et de l’inefficacité du système fiscal. Vauban, la mauvaise conscience du roi, un titre accrocheur pour une étude atypique. En fin d’ouvrage, on trouve une abondante bibliographie et de nombreux documents très utiles pour un éclairage complet.