Marc-André Comeau retrace l’installation d’une famille de pêcheurs normands sur les côtes acadiennes, les Mallet à la baie des Chaleurs de 1680 à 1763. C’est l’histoire démographique franco-métisse sur quatre générations et deux continents, une aventure de pêcheurs de morue sur la côte de Gaspé à Miramichi, à la baie des Chaleurs.
L’introduction rappelle la production historiographique sur l’histoire de l’Acadie, de nombreux titres pour qui voudrait en savoir plus. La « côte de Gaspé » est d’autant plus intéressante qu’elle est une marche frontière entre colonisations française et britannique. L’auteur dresse un rapide tableau des sources primaires relatives à la baie des Chaleurs.
Les racines normandes des Mallet d’Acadie
Ancêtres normands des Mallet d’Acadie
Jean Mallet est le premier ancêtre des Mallet d’Acadie en Nouvelle-France. La famille vit non loin de Granville, au village de Bouillon. L’auteur décrit cette famille de pêcheurs à partir des registres de catholicité. C’est aussi l’occasion de présenter la politique maritime de Louis XIV et le système de l’inscription maritime. Jean Mallet, d’après son registre matricule a commencé sa carrière de marin au service du roi vers 1700, c’est aussi la date de son mariage avec Jeanne LeGros. Quand elle meurt en 1714 ils ont déjà quatre enfants. Jean Mallet se remarie avec Marie Lenorais qui lui donne deux enfants.
Les premiers voyages de Jean Mallet
Ce second chapitre montre les conditions des voyages de pêche à la morue au large de Terre-Neuve au début du XVIIIe siècle. L’île est alors partagée entre Français et Britanniques. Des conditions rendues difficiles par la guerre de Succession d’Espagne qui montrent que pêche et guerre de course ne sont pas, pour les armateurs, très éloignées. L’auteur décrit une saison à la pêcherie de l’île Saint-Pierre, les raids entre Français et Anglais. En France l’hiver 1709 n’est guère plus clément que l’hiver à Terre-Neuve, les femmes de pêcheurs assument seules cette période difficile : « Deux ou trois semaines avant son départ, le pêcheur recevait bien une somme initiale, appelée pot-de-vin, qui permettait au marin de payer les dettes accumulées pendant l’hiver et de s’équiper pour son voyage en mer.[…] Mais, ce qu’il restait du pot-de-vin était rarement suffisant pour les besoins de sa famille durant son absence. » (p. 38).
De l’île Saint-Pierre à l’île Royale
Décembre 1709, Jean Mallet est de retour à Bouillon. L’escale est de courte durée il retourne dès mars 1710 à l’île Saint-Pierre, une saison difficile face aux corsaires. Par le traité d’Utrecht (11 avril 1713) la France remet Terre-Neuve, l’Acadie continentale et la baie d’Hudson à l’Angleterre. Les Français doivent établir d’autres pêcheries ou prêter serment d’allégeance à la reine Anne d’Angleterre.
Jean Mallet est de retour en mer en 1716, cette nouvelle campagne est marquée par la mauvaise volonté des autorités britanniques de Terre-Neuve. Son fils aîné François, 15 ans commence sa vie de marin sur un caboteur. En 1719 on retrouve Jean Mallet à l’île Royale où se sont installés les pêcheurs normands. En 1720 Jean et son fils sont présents à Niganiche. Jean se noie lors de la campagne de 1721. L’auteur évoque le sort de la veuve et de ses enfants ; les trois fils de Jean seront tous marins et pêcheurs.
François Mallet, fils de Jean – De la baie du Mont-Saint-Michel à la baie des Chaleurs
François dans le sillage de son père
Après un premier embarquement à 15 ans pour de courts voyages de cabotage, il suit son père à Terre-Neuve en 1920. On suit le jeune marin à la Grande Baie en 1922, une pêche morutière dominée par les Malouins. L’auteur décrit cette pêche dite sédentaire : le navire qui a permis la traversée est mis au sec et la pêche se fait, à la journée, sur de petites chaloupes. Le poisson est séché sur la côte. Il la compare à la pêche dite errante sur les bancs de Terre-Neuve. Il décrit de façon détaillée la traversée, une journée de pêche et le travail à la sécherie ; une vie difficile comme l’atteste notamment une chanson de Terre-Neuviens1 ?
Premier voyage de pêche en Gaspésie
La baie des Chaleurs était plutôt le lieu de pêche des Basques ? Ce secteur se développe dans les années 1720. Un rapport de 17242, renseigne sur les mouillages français à la « côte de Gaspé ». En avril 1723 François Mallet embarque à bord du Patriarche de Saint-Malo. Ce voyage nous apprend les difficiles conditions d’un embarquement, la rémunération des marins : François a reçu 174 livres pour sa campagne de pêche.
Voyages de pêche et commerce triangulaire
A partir de 1724 François va alterner campagnes de pêche et voyages triangulaires de la morue sèche. Après une campagne de pêche le long des côtes américaines le navire va vendre sa cargaison de morue sèche au Levant (Marseille] où il charge une cargaison méditerranéenne : coton en laine et filé, noix de galle, alun de Rome, fruits (prunes, pruneaux, raisins, noisettes, anchois, olives, câpres), huile d’olive, vins de muscat, liqueurs, etc. pour le retour vers les côtes normandes pour repartir vers l’ouest3.
On suit le jeune normand en 1724 : Saint-Malo–Gaspé–Marseille–Morlaix–Saint-Malo puis sur les campagnes suivantes. En 1718 où il s’arrête quelques mois.
Début d’un temps nouveau à la baie des Chaleurs
Les Malouins délaissant la baie des Chaleurs, les navires grandvillois prennent la relève. L’auteur décrit cette économie de la ville de Granville que rejoint François Mallet, sa cité de naissance. En novembre 1729 il reste en Gaspé pour passer l’hiver à la sécherie.
C’est à cette époque que Pierre Lefebvre de Bellefeuille, devient le premier seigneurs de la côte de Gaspé à s’établir sur son domaine et à l’exploiter, alors que les autres seigneurs demeurent à Québec. ; peut-être le premier engagement terrestre de François Mallet. Dès 1730 les rapports se tendent entre les Lefebvre de Bellefeuille qui souhaite contrôler l’escale de Pabos et les capitaines des navires qui veulent retrouver leurs sécheries d’été.
A la recherche de son personnage l’auteur décrit les familles installées en Gaspésie.
Les racines métissées des Mallet d’Acadie – Le clan Caplan
Les origines du clan métis des Caplan
Les premières familles métissées de la baie des Chaleurs remontent à 1678 quand Denys de Fronsac installe au moins trois colons à Népisiguit. Ces premières installations conduisent à des mariages avec des femmes autochtones. En 1688, sur les terres de Fronsac on recense 104 colons français et métis mais aussi il compte « deux villages de Sauvages », un à la baie des Chaleurs (60 familles soit environ 400 Amérindiens), et un autre à Miramichi (environ 500 Amérindiens).
Guillaume Capela ou Capelan, un jeune Gascon, dont l’auteur présente la famille aisée, arrive comme passager sur Le Sauvage de Bordeaux4 en 1688. C’est l’époque où Denis Riverin, ancien secrétaire de l’intendant Duchesneau, cherche à développer des établissements de pêche en Gaspésie mais c’est aussi le début de la guerre de Ligue d’Augsbourg durant laquelle la flotte anglaise de William Phips va mettre le siège devant Québec. Les installations françaises d’Acadie sont menacées. Les postes de Gaspé et de Percé sont presque désertés après 1690.
La paix signée en 16975 relance les activités en Gaspé. Guillaume Caplan est présent à Percé d’après un acte notarié du 22 septembre 1702. Ce sont ces actes notariés qui permettent de décrire les affaires rendues difficiles par guerre de la Succession d’Espagne et la famille de Guillaume dont les fils épousent des Femmes Micmac. On les retrouve au recensement de 1765 parmi les « sauvages de Restigouche ».
Le clan Caplan
L’auteur dresse un tableau de la population de souche européenne à la baie des Chaleurs de 1713 à 1719 avant de présenter en détail la famille Caplan dont Marguerite Caplan : l’aînée de la famille serait née vers 1700 et qui épouse vers 1719, François Larocque, propriétaire d’une sécherie à Port-Daniel. Leur fille Madeleine, ayant du sang micmac par sa mère épousa François Mallet en 1742.
François Mallet et Madeleine Larocque, Pêcheur normand et famille métisse
Établissement de Grande-Rivière
Durant cette période François Mallet s’adonne à la pêche. Il s’est installé au havre de Grande-Rivière qui offre une bonne protection aux petites embarcations.n Le lieu semble être un lieu de troc actif autour de la morue et du sel entre les navires venus de France, les habitants du lieu et des marchands de Trois-Pistoles ou Québec.
Au printemps, dès la fonte des glaces, commence la saison de pêche. Quand arrivent les marchands de la vallée du Saint-Laurent ou de France, les habitants-pêcheurs négocient à crédit des fournitures (sel, biscuits de mer, équipement pour leur chaloupe). Après un été passé en mer ou sur la grève pour le séchage du poisson, les familles retournent à la maison d’hiver comme le montre les fouilles archéologiques de Pabos. L’hiver se pratique la chasse pour la viande et la trappe pour les fourrures.
La guerre de la Succession d’Autriche et la Gaspésie
La vie quotidienne et économique est rapidement perturbée par le nouveau conflit à partir de 1744. La prise de Louisbourg le 17 juin par les Britanniques menace la baie des Chaleurs où on connaît la disette. Face aux attaques de la marine anglaise Grande-Rivière se défend grâce à une milice de 30 à 40 pêcheurs. En 1748 ramène la paix et Le havre de Grande-Rivière a retrouvé son activité pour la campagne de pêche.
Un François qui arrive et un autre qui s’en va
De 1749 à 1755, environ 10 navires reviennent pêcher sur la côte de Gaspé, dont la baie des Chaleurs sans compter les Malouins et les Basques. De nombreux marins s’établissent sur les bords du Saint-Laurent dont François II le jeune frère de François Mallet à l’île Royale. En 1750, Il s’installe avec sa famille venue de France au havre de la Baleine au nord-est de Louisbourg. On suit la famille dans des déplacements et ses activités de pêche et sécherie.
En 1752 François Mallet se noie à l’entrée du havre de Grande-Rivière, il a 51 ans. Sa veuve se remarie EN 1753dans un nouveau climat de tension entre colonies française et anglaise.
Préambule à la guerre de la Conquête
L’auteur décrit les activités en ce milieu du XVIIIe siècle et plus particulièrement celles de la famille Mallet. Pendant ce temps les affrontements reprennent entre la France et l’Angleterre au printemps de 1755. La prise du fort de Beauséjour, le contrôle anglais sur le golfe du Saint-Laurent entraîne la perte de l’Acadie malgré la résistance des Acadiens, aidés par les Micmacs et les Malécites.
La baie des Chaleurs, dernier tison de la Nouvelle-France
La guerre devient très prégnante dans la vie des familles de la baie.
La guerre s’étend de l’île Royale à la Gaspésie
Au printemps 1756, aucun morutier n’arrive de France. Devant la menace anglaise une milice est constituée. L’auteur décrit les ruses et attaques anglaises durant l’été et un hiver de disette. 1757 est la dernière année d’exploitation de leur site de Petit-Laurembec pour François II Mallet et sa famille. 1758 est marqué par le siège de Louisbourg, c’est le début de l’exode pour les Acadiens avant la déportation des habitants des îles Royale et Saint-Jean dont la famille Mallet qui de retour à Saint-Malo démunie de ses biens après dix ans de dur labeur voit s’achever le rêve canadien.
L’auteur décrit le siège de Louisbourg. Le 15 août, James Wolfe reçoit l’ordre de détruire les postes français à Gaspé et à Miramichi.
L’expédition de Wolfe et Hardy en Acadie du Nord (automne 1758)
Dans ce chapitre, il est question de la chute de l’Acadie. On voit les préparatifs et les temps de l’expédition anglaise qui a conduit au départ des Mallet. La destruction méthodique de tous les établissements français de la baie des Chaleurs : Gaspé, Pabos, Grande-Rivière s’appuie sur le journal du capitaine Bell. Le bilan6 est lourd : 200 prisonniers, plus de 120 maisons et 15 autres bâtiments détruits, une perte d’environ 1,5 million de livres (36 100 à 40 100 quintaux de morue).
À la rescousse de Québec
On suit les Acadiens après la prise de Louisbourg7, entre retour pour sauver ce qui peut l’être et aide à la défense de Québec. Un bataillon d’environ 300 miliciens réunis à la demande du gouverneur Vaudreuil se dirige vers Québec. Ces Acadiens, Micmacs, Malécites et Francométis n’y parviennent que le 18 juillet les Britanniques ont déjà commencé le bombardement de la ville.
Marc-André Comeau montre l’ampleur de l’effort de guerre des marins et armateurs La situation dans les points reculés de la baie des Chaleurs, notamment à Restigouche, non atteints par les Anglais, s’annonce difficile à l’entrée de l’hiver 1759-1760, un hiver de disette.
La baie des Chaleurs, dernier tison du Régime français
Début mai 1760, deux navires de la Royal Navy sont à m’ancre dans la baie de Gaspé. Quand quelques faibles renforts arrivent de France, trop peu et trop tard pour défendre la Nouvelle-France. L’auteur fait le récit de la bataille qui s’engage entre les bateaux français dans la rade et la Royal Navy8. Les 16-17 juillet 1760 le havre de Paspébiac est détruit.
Rebelles pour une cause perdue
Ce chapitre décrit les suites de la bataille. Giraudais et son équipage repartent pour la France, au poste de Restigouche le recensement du 5 août donne : 144 familles acadiennes, 200 Autochtones, 161 soldats et 171 membres d’équipage, nombre qui ne cesse d’augmenter au cours de l’été du fait de l’arrivée de réfugiés acadiens qu’il faudra nourrir. L’été est occupé à la guerre de course contre les Anglais.9 Les prises sont dûment enregistrées.
La capitulation de Montréal sonne le glas de la résistance. A la reddition il reste 17 familles normandes et métisses.
Que faire avec les Acadiens de la baie des Chaleurs ?
Une administration militaire temporaire est mise en place non sans concurrence parmi les Anglais pour gouverner la baie des Chaleurs. Dans le même temps les réfugiés de Restigouche essaiment autour de la baie des Chaleurs. L’augmentation de population entraîne des querelles avec les Micmac qui demandent l’aide des Anglais face aux Acadiens. Les autorités anglaises reçoivent aussi des plaintes pour piraterie venant des dirigeants de la Nouvelle-Écosse et du Québec. La querelle entre gouverneurs anglais débouche sur deux propositions contradictoires : un déplacement des Acadiens vers Québec ou Montréal, qu’ils refusent ou une déportation vers les colonies américaines. Au recensement de 1761 on compte : environ 300 acadiens, 85 franco-métis, dont des familles que l’on a suivies depuis l’installation des Mallet.
Alors que les Micmac signent un accord avec les Anglais, que quelques familles acadiennes se rendent à Québec, les familles métisses souhaitent demeurées sur place.
Pour en finir avec les rebelles de la baie
Durant l’été 1761 la lutte contre les pirates permet aux Anglais de faire prisonniers près de 200 personnes (hommes, femmes et enfants). 1762 voit quelques soubresauts français contre Terre-Neuve et Belcher, gouverneur de la Nouvelle-Écosse voit, alors, dans les Acadiens de la baie des Chaleurs une menace. Les activités du marchand Gamaliel Smethurst nous renseignent sur les événements de l’été 1762 et attestent de la présence des marchands anglais. La fin de l’aventure française à Terre-Neuve met définitivement fin à la guerre de Sept Ans.
1763 – Année de transition
C’est l’année du Traité de Paris. Les habitants de la Nouvelle-France deviennent, s’ils le souhaitent, sujets du roi d’Angleterre tout en restant catholiques.
Les marchands anglais s’installent en Gaspésie non sans incidents.
La baie des Chaleurs est coupée en deux par la Proclamation royale du 7 octobre 1763. La côte nord, gaspésienne, est rattachée à la nouvelle province de Québec quand la partie au sud de la baie, y compris l’île Royale et l’île Saint-Jean10 ces territoires sont rattachés à la Nouvelle-Écosse.
ÉPILOGUE
Un avenir difficile attend Jean Mallet et la communauté métisse. Les Franco-métis de la baie des Chaleurs forment un groupe tourné vers la mer et la pêche, distinct des Acadiens et des Micmacs plus tournés vers les activités terrestres. De rares intermariages expliquent peut-être un parler, encore aujourd’hui différent. L’analyse de l’ADN mitochondrial permet d’en savoir plus sur cette communauté originaire de Normandie. Cette population fut longtemps victime de ségrégation professionnelle mais aussi du rejet par l’Église du métissage. L’auteur retrace à grand trait l’histoire de la famille de Jean Mallet.
Une interview de l’auteur : https://www.pressreader.com/canada/acadie-nouvelle/20211101/281565178981041?fbclid=IwAR2Lc-vX5kINFl_v2aWEi9U7t6mdGgkeUt354pqmK5uAXuOm5fXQuCMtSQI
1Citée p. 63
2Rédigé par Jacques L’Hermitte, ingénieur, cartographe et lieutenant du roi à Trois-Rivières – Carte p. 69
3Carte p. 78
4Cargaison de vin pour Québec avant la saison morutière.
5L’Acadie et les postes de pêche de Terre-Neuve retournent à la France
6Tableau p. 189
7Carte p. 192
8Carte p. 215-216
9Il reste encore 14 navires après la bataille de Restigouche
10 L’’île Royale devient le Cap-Breton et l’île Saint-Jean l’Île-du-Prince Édouard