Ouvrage retraçant les événements qui ont précédé le conflit de 1940 dans cette région, les opérations militaires ainsi que les conséquences de cette guerre
De la guerre des Alpes en 1940, on a le plus souvent comme références l’ouvrage d’Henri Azeau, la guerre franco-italienne de 1940 (presses de la Cité, 1967) et les deux ouvrages de deux acteurs, les généraux Montagne, la bataille pour Nice et la Provence et Olry, la bataille des Alpes écrits quelques années seulement après les événements.
Le présent ouvrage dû à la plume de deux spécialistes de la chose militaire de la région et même de cette guerre renouvelle l’histoire de cette courte période d’hostilité

 

Le plan choisi par Frédéric Le Moal et Max Schiavon présente tout d’abord les deux éléments qui précédent le conflit : les relations internationales ainsi que préparatifs militaires des deux côtés des Alpes avant de traiter les différentes phases du conflit.

L’echec de la diplomatie

Ils commencent donc par analyser l’état des relations entre France et Italie (Chapitre 1- l’échec diplomatique), grâce à un minutieux examen historiographique qui leur permet de brosser une situation dans laquelle la guerre ne paraissait pas une issue inéluctable aux relations franco-italiennes, malgré les différences de régimes politiques, les ambitions mussoliniennes et la complexité des rapports entre l’Italie et l’Allemagne. Peu à peu, cependant, et malgré les efforts des italophiles tels Laval, la guerre devint inévitable, l’Italie fasciste malgré son impréparation, ne pouvait courir le risque d’arriver après la bataille sans participer à l’estocade finale car son positionnement dans l’Europe future en dépendait.
Les auteurs se préoccupent ensuite de la situation militaire, ce qui les oblige à détailler les difficultés issues du tracé des frontières, ainsi que les réponses qui avaient été apportées à la fin du XIXe siècle, par la création de troupes alpines, bataillons de chasseurs, régiments d’infanterie et d’artillerie spécialisés, la France suivant l’exemple des Alpini italiens, par les fortifications ensuite. Le système Séré de Rivières de fortification des frontières qui se développa à partir de la fin des années 1870 correspondait aux moyens offensifs de l’époque mais malgré l’appartenance de l’Italie à la Triple Alliance, ne servirent pas pendant la Grande Guerre, les troupes alpines étant alors amenées sur le front du nord-est. Les menaces mussoliniennes ont ensuite provoqué la construction de la « ligne Maginot des Alpes », décrite minutieusement par Frédéric Le Moal et Max Schiavon, tout comme ils décrivent les éléments de tactique et de stratégie sur lesquels travaillaient alors les deux armées. En croisant de très nombreuses informations cette partie très novatrice et souvent technique souligne le bon niveau d’organisation et d’entraînement de l’armée française dans ce secteur, ainsi que la meilleure qualité des ensembles fortifiés français.
Les auteurs démontent aussi les logiques qui sous-tendent les stratégies des deux armées, confiance exagérée du côté italien sur le résultat obtenu par le nombre d’hommes qui donnera l’avantage dans une offensive vigoureuse, et inversement soin apporté aux installations de défense, aux transmissions, à ce que nous regroupons sous le terme de logistique du côté français, malgré les difficultés budgétaires.

Préparatifs et opérations militaires

Le troisième chapitre est consacré à la « veillée d’armes dans les Alpes, septembre 1939-9 juin 1940 », période incertaine puisque l’entrée en guerre de l’Italie n’était pas assurée, que l’organisation des unités se précisent de part et d’autre, malgré, du côté italien surtout, le manque d’équipements, de vêtements, d’encadrement formé, parfois même d’armement. Les auteurs, dont il ne faut pas oublier que l’un enseigne dans un établissement militaire et que l’autre est officier de l’armée de terre détaillent minutieusement la position des unités, l’organisation du commandement, la résolution des problèmes d’encadrement, fournissent en encadrés ou en notes la biographie des officiers supérieurs. Cette veillée d’armes tourne de plus en plus à la préparation d’opérations imminentes ce que la fin des espoirs français quant à la neutralité de l’Italie transforme en position de défense immédiate. L’échec des pourparlers diplomatiques déboucha en effet sur le discours de guerre de Mussolini du 10 juin 1940 alors que pour les Français le désastre s’amplifiait face aux armées allemandes. Face à ce qui est ressenti comme un « coup de poignard dans le dos », thème récurrent qui empoisonnera pour longtemps les relations franco-italiennes, les dernières dispositions sont prises du côté français : évacuation des dernières populations, repli dans les casemates et fortins des unités encore à l’extérieur, destruction de tous les ouvrages d’art qui permettraient une avancée des troupes italiennes.

Les opérations, décrites dans le quatrième chapitre avec une précision digne d’un enseignement de l’Ecole de Guerre, débutent très rapidement, sur tous les théâtres d’opérations, de la Savoie à la Méditerranée : les auteurs abordent successivement chacun d’entre eux, en montrant en permanence l’astuce et l’énergie de l’équipe animée par le général Olry, qui malgré le départ de la plus grande partie des troupes du Sud-Est vers le Nord-Est réussit à organiser une défense solide et dangereuse pour les troupes italiennes comme le montre dans le Briançonnais la destruction partielle du fort du Chaberton, principale menace pour la lace forte de Briançon. Lorsque les troupes allemandes menacèrent le Rhône, c’est toujours avec la même énergie et parfois même le recours à des troupes en repli que la défense parvint à les arrêter jusqu’à l’armistice. Les auteurs dans ces conditions n’hésitent pas à parler de la Victoire des Alpes mais la guerre avait été perdue ailleurs. Les opérations n’avaient duré que quelques jours, sans grandes pertes du côté français, beaucoup plus du côté des armées italiennes qui n’avaient pratiquement pas avancé. Frédéric le Moal et Max Schiavon mènent une analyse précise de cette situation dont il font porter la responsabilité principale à Mussolini, pressé de participer à l’effondrement de la France, dont les armées, malgré le courage des soldats, n’étaient pas préparées à mener à bien une telle attaque, par absence d’objectifs clairs, par défaut d’équipement (les cas de gelures ont été nombreux en montagne) et d’une façon générale par défaut de logistique. Les responsables militaires n’avaient alors pas été écoutés.

Un armistice difficile et de nombreuses conséquences

Cet échec rendit la position de Mussolini moins confortable par rapport au leadership allemand, puisque les hostilités s’arrêtaient sans qu’il y ait eu victoire. L’armistice, objet du cinquième chapitre, fut finalement signé à la Villa Incisa près de Rome, non sans tergiversations. Les auteurs se livrent à un fort intéressant croisement de sources pour expliquer comment on arriva aux pourparlers et pourquoi finalement les demandes initiales (la Corse et le territoire allant jusqu’à la vallée du Rhône) ont été revues à la baisse. Ils examinent successivement les positions allemandes : ne pas exercer de pression exagérée sur la France pour qu’elle ne continue pas la guerre, (la suite a montré qu’il suffisait d’attendre un peu…) et lui laisser sa flotte, pour que celle-ci ne rejoigne pas les Britanniques. L’appétit de Mussolini se heurte également à des considérations purement italiennes, puisque prendre le contrôle des côtes adriatiques est une priorité et qu’une armée d’occupation aurait mobilisé trop d’hommes. L’ensemble de ce chapitre, tout comme celui qui suit, présente des croisements de sources, le recours à des documents peu ou pas encore utilisées, une confrontation de l’historiographie qui en font des éléments de premier intérêt pour qui s’intéresse à la période.
Ce n’est pas par l’armistice laborieusement mis au point que se termine l’ouvrage, mais par un sixième chapitre, « la France vaincue dans l’Europe fasciste été-automne 1940 ». Dans ce chapitre, les auteurs examinent le complexe équilibre qui s’installe à partir de la défaite française, entre l’Allemagne et le pays qu’elle a vaincu : la France, l’alliée : l’Italie, et l’Espagne qui essaie de se faire une place aussi dans l’Europe nouvelle. Toute ambiguïté sur la position française à l’égard des Britanniques ayant été levées par la résistance offerte aux désastreuses expéditions de Dakar, la France devient un pays qui inquiète Mussolini dans la construction de cette Europe sous direction allemande, parce que pays qui peut y avoir une place.
Cependant sa vision d’une France, vieux pays ploutocratique dépassé, ne permet guère de se concilier avec les pays régénérés tels que les voit le dictateur. Une paix des braves étant impossible compte tenu des piètres résultats obtenus par les armées italiennes, les relations franco-italiennes sortirent donc totalement dégradées à l’issue de cette période.

La conclusion est une bonne vision synthétique des traces durables laissées par cette courte guerre et le sentiment de trahison ressenti par les Français au point de rendre parfois difficile la collaboration entre maquisards français et italiens qui combattaient pourtant le même ennemi ainsi que les relations futures des deux pays.
Le mot de la fin relève du domaine de la stratégie sur l’intérêt dans certains cas des positions défensives, ce que cette courte guerre illustre parfaitement.

Ce très intéressant ouvrage s’achève par une bibliographie qui fera gagner du temps à nombre de lecteurs et deux index, un des noms de lieux, un des noms de personnes. Ma seule réserve, malgré l’existence d’un glossaire détaillé porte sur l’utilisation d’abréviations empruntées au langage militaire; pour qui n’en est pas familier, cela ralentit la lecture.

Alain Ruggiero