Le constat de départ est simple : il n’existait pas de supports pédagogiques permettant d’enseigner la géographie historique de la péninsule coréenne en anglais avant 2014. Sur le modèle d’atlas existant pour l’histoire chinoise (fin des années 1970) et japonaise (fin des années 1990), Michael D. Shin (Université de Cambridge) et son équipe ont publié le premier atlas sur l’histoire coréenne permettant aux étudiants et enseignants de disposer d’une base de donnée fiable sur l’ensemble de la péninsule. En effet, un village, mentionné dans un article universitaire, est rarement le seul à porter son nom : les homonymes sont fréquents dans la péninsule. Cet atlas permet donc de localiser précisément les différents espaces.
Une base de donnée considérable
La compilation de données est impressionnante. L’ouvrage présente aussi bien la quantité de poissons péchés par les marins coréens en 1912 que les principales exportations de Balhae vers l’Empire Khitan au Xème siècle siècle. Un consciencieux travail de traduction et de compilation de données présentées dans des tableaux clairs. Outre des cartes à l’échelle de péninsule, de nombreux plans s’intéressent aux principales villes : Kaesong (au XVIIIème siècle), Séoul aux XIVème, XIXème siècle, sous l’occupation japonaise). Chaque chapitre présente également de courts paragraphes sur l’économie, la politique et la culture de chaque période associés à des photographies présentant les principaux sites et oeuvres d’arts (palais, céramiques, monnaies, armes). Des cartes thématiques sont également visibles : les mouvements des populations, les affrontements militaires, les réseaux commerciaux, les sites culturels. A ce titre, la péninsule concentre de nombreux dolmens datant du Ier millénaire avant Jésus-Christ (35 000 pour l’ensemble de la péninsule, ce qui est la plus grande concentration en Asie du Nord-Est). A la fin de l’ouvrage se trouve une chronologie annuelle de l’ensemble des souverains et dirigeants coréens depuis -57 (Gapja qui dirige Silla). Ceci est loin d’être dénué d’intérêt puisque de nombreuses évocations dans des articles universitaires se rapportent à l’année de règne d’un souverain (par exemple, la 7ème année de Sejong ou de Chungnyeol)
Du peuplement de la péninsule à Kim Jong-un
L’ouvrage suit une logique chronologique. La période préhistorique s’attarde sur le peuplement de la péninsule (vers -40 000) au paléolithique, au néolithique en terminant par le début de l’âge du bronze (IIème et Ier millénaire avant Jésus-Christ). Ensuite, c’est la période Joseon (ancien ou tardif en français) allant du VIIème siècle avant Jésus-Christ jusqu’en -108 qui est cartographiée à travers les commanderies Han et les confédérations Samhan (Mahan, Jinhan et Byonhan). La période des Trois Royaumes est longuement développée avec un focus particulier sur Goguryeo (-37 à 668) et Gaya (au détriment de Baekje et Silla). Sous Goryeo (918 à 1392), la péninsule produit de grandes quantités de céramique (le céladon) dans un contexte d’affrontements avec les Khitans et les Mongols. Pour la période Joseon, une très belle carte à grande échelle aborde le palais Gyeongbok (au nord de l’agglomération séoulite aujourd’hui). Les périodes plus contemporaines (et mieux connues en Occident) depuis l’ouverture des ports du royaume coréen à la fin du XIXème siècle jusqu’à la guerre de Corée (1950-1953) concluent l’ouvrage.
Des controverses historiques
Les controverses historiques se situent principalement avec la Chine et le Japon sur les périodes antique et moderne. Les questions portant sur la géographie historique restent très vives sur la période allant du Vème avant Jésus-Christ jusqu’au Xème siècle. Par exemple, depuis 2002 le gouvernement chinois défend une intégration des Trois Royaumes (du Ier siècle avant Jésus-Christ jusqu’au VIIème siècle) dans l’histoire chinoise, ce qui s’oppose aux historiens coréens mettant en avant la genèse d’une civilisation originale : la civilisation coréenne. On y apprend notamment que le gouvernement chinois a dépensé plus de 2 milliards de dollars à des fins scientifiques sur cette question (depuis 2002). Concernant les quatre commanderies Han (Lolang, Xuantu, Zhenfan & Lintun), leurs localisations sont discutées : les historiens chinois insistent sur une localisation dans le Nord-Ouest de la Corée du Nord actuelle alors que les historiens coréens insistent sur une localisation en Mandchourie actuelle (donc hors de la péninsule). Ainsi, la commanderie de Xuantu est qualifiée de chinoise par le gouvernement chinois. Ceci permet ensuite d’affirmer que le plus grand des royaumes coréens, Goguryeo est l’ancêtre (chinois) de la civilisation coréenne.
Pour les périodes moderne et contemporaine, l’atlas renferme également de nombreuses informations sur les femmes de réconfort (coréennes mais également philippines, birmanes, indonésiennes, hollandaises…) et la souveraineté sur Dokdo. Cet île revêt un intérêt majeur puisque c’est le premier morceau du territoire coréen a avoir été colonisé par les Japonais en 1905 (par un rattachement à la préfecture de Shimane). Les auteurs utilisent notamment une carte en français, datant de 1737 pour appuyer leur développement.
Une véritable somme pour les étudiants abordant les études coréennes et les enseignants désireux de disposer d’un ouvrage fiable. Une traduction en français serait la bienvenue !
L’ouvrage existe à la fois en version paperback (ISBN: 9781107490239, £17.99) et en version hardback (ISBN: 9781107098466, £50.00).
</div align=justify>Pour aller plus loin :
Antoine BARONNET @ Clionautes