Ce compte-rendu est complémentaire de celui de Dominique Chathuant qui a rédigé celui de la première édition et du compte-rendu de la conférence de Blois 2015 – L’empire comanche du XVIIIe au XIXe s. Blois, 10 oct. 2015 par Frédéric Stévenot

La vision ambiguë de l’empire comanche dans le Sud-Ouest des États-Unis
Il existe au Nouveau Mexique une pièce de théâtre vraisemblablement crée à la fin du XVIIIe siècle et jouée jusqu’à nos jour. Il existe deux versions de Los Comanches. Dans la première, les populations du Nouveau Mexique et les Comanches sont présentées comme des parents métaphoriques et des alliés potentiels liées par des relations économiques, sociales et culturelles. La pièce décrit un phénomène d’interdépendance entre les 2 groupes et se termine par la promesse d’échanges commerciaux.
Dans la seconde version, la pièce célèbre une victoire sur les Comanches. Cette version insiste sur la puissance, la sauvagerie des Comanches et sur leur richesse matérielle. Cette version de la pièce n’offre aucune possibilité de coexistence et se termine par un massacre et un pillage des richesses des Comanches.
Cette pièce donne une idée de la complexité des relations que les Comanches ont su créer avec leurs voisins aussi bien avec les empires européens qu’avec les autres peuples amérindiens.

Un empire construit dans une région convoitée
Du XVIIIe au milieu du XIXe siècle, les grandes plaines comprises à l’Ouest de la basse vallée du Mississippi au Nord du Rio Grande et à l’Est des Rocheuses était une région frontière disputée entre les grandes puissances coloniales, la France, l’Espagne, le Mexique et les États-Unis. Mais cet espace était contrôlé par l’Empire Comanche, alors à son apogée. Cette position centrale a permis aux Comanches de jouer une puissance impériale l’une contre l’autre au gré de leurs besoins commerciaux et militaires.

Une culture adaptative : l’agency des Comanches
Pekka Hämäläinen présente une histoire renouvelée des Comanches dans le cadre de la New Indian History. L’auteur insiste sur les capacités culturelles des Comanches à l’adaptation. En effet, la Comancheria a connu, entre 1780 et 1870, de nombreuses modifications économiques, sociales et politiques et les Comanches ont toujours s’adapter.
Le nom des Comanches provient du terme « kumantsi » (ennemi) que leur ont donné les Utes qui leur ont enseigné comment monter à cheval. La maitrise du cheval leur permet de contrôler un espace plus vaste. Les Comanches migrent vers les grandes plaines du sud, aux confins du Nouveau-Mexique, du Texas et du nord du Mexique actuels dont ils chassent les Apaches devenus sédentaires. Le cheval leur permet de dominer de vastes réseaux commerciaux et de lancer des raids sur plusieurs centaines de kilomètres.
L’économie comanche combine la chasse aux bisons, l’élevage et le commerce des chevaux. Cette économie renforce le caractère hyper-protéiné de leur régime alimentaire, ce qui les oblige à se procurer par le commerce ou par le vol et le pillage les légumes et les céréales dont ils ont besoin. La vente des chevaux et des peaux de bison leur permet de se procurer les armes et les munitions dont ils ont besoin pour défendre leur territoire contre les autres amérindiens et les puissances coloniales.
La spécialisation de leur économie sur le commerce des peaux de bison transforme la société comanche en entrainant une spécialisation des tâches : les femmes pour la production de viande et de peaux, les jeunes garçons pour la surveillance du troupeau de chevaux et les adultes pour la chasse, le commerce et les raids. Pour soutenir la demande de leurs produits, les Comanches devinrent d’importants propriétaires d’esclaves. Leur succès économique se transforma en croissance démographique (20 à 30 000 individus entre 1780 et 1840). Contrairement aux autres nations autochtones, les Comanches ont su résister aux forces centrifuges et maintenir leur communauté par une recherche permanente de consensus au cours des réunions communautaires qui réunissaient les chefs des factions régionales, les rancherias.

L’impérialisme comanche
L’empire comanche s’est bâti aux dépends de la présence multiséculaire apache dans les prairies du Sud-Ouest mais aussi contre les Osages. De plus, les Comanches contrôlaient des réseaux d’alliances commerciales et politiques qui réduisaient leurs voisins au rang d’États clients, de marchés et de zone de pillages. Enfin, la Comancheria est un ensemble de peuples plus ou moins assimilés, d’alliés, d’esclaves et de parents adoptés qui ont la possibilité de devenir Comanche. Leur culture et leur langue se diffuse largement en dehors de leur zone d’influence directe chez les autres peuples autochtones amis aussi au Nouveau Mexique. L’expansionnisme des États-Unis en dans la région fut facilité par les destructions causées par les raids comanches et l’auteur pense que « au nord du Mexique, l’impérialisme américain fut l’héritier direct de l’expansionnisme comanche ».
L’impérialisme comanche est lié à la spécialisation dans l’élevage des chevaux et des mules de plus en plus poussé. Cette spécialisation entraine une demande en pâturages, en glucides et en esclaves. Ce pastoralisme fixa aussi les limites de leur influence et de leur domination directe. Les Comanches avaient besoin de sociétés agricoles à leurs frontières pour pouvoir échanger ou piller ce dont ils avaient besoin.
Les Comanches ne disposaient pas d’une idéologie impérialiste et n’ont jamais eu de plan d’expansion préétabli. Ils ont tout d’abord bénéficié et répondu au chaos géopolitique crée par les puissances coloniales européennes en s’emparant des espaces dont ils souhaitaient contrôler les ressources en bisons, en pâturages et en eau.
La présence comanche modifie les rapports de force dans la région du Sud-Ouest. Les raids comanches ont ruiné le Texas espagnol puis mexicain, entrainant l’appel aux colons venus des Etats Unis et à l’indépendance du Texas. L’expansionnisme des États-Unis en dans la région fut facilité par les destructions causées par les raids comanches et l’auteur pense que « au nord du Mexique, l’impérialisme américain fut l’héritier direct de l’expansionnisme comanche ». Au Nouveau Mexique, le commerce comanche et son intégration dans leur zone d’influence culturelle éloignent ce territoire économiquement et politiquement du Mexique. Pour Pekka Hämäläinen, la conception de la mexicanité comme race mêlée et subordonnée par les Étatsuniens est liée aux nombreux métissages qu’a connu la Comancheria. Par ailleurs les codes culturels comanches et les liens historiques avec la Comancheria sont revendiqués par les ouvriers agricoles métis du nouveau Mexique
L’absence d’idéologie impériale a accentué le déclin rapide de la Comancheria.

L’effondrement
L’hyperspécialisation dans la chasse au bison et l’élevage des chevaux et des mules a hâté la fin de l’empire comanche. La succession de sécheresses, entre 1845 et 1865, précipite la fin de l’économie comanche dont les prélèvements en bisons étaient excessifs et les troupeaux de chevaux trop nombreux pour les ressources de leur territoire.
A partir de 1850, les troupeaux de bisons déclinent rapidement, la population comanche s’effondre. Les comanches ne peuvent plus entretenir leurs réseaux commerciaux, extorquer des tributs. Ils abandonnèrent une partie du Texas et la structure politique de la Comancheria qui jusqu’alors avait réussi à survivre aux transformations de la société comanche, disparait car l’unité des rancherias se délite.
La poussée américaine s’accentue après les succès contre les Espagnols et les Mexicains, notamment la guerre de 1846-1848 et surtout après la fin de la guerre de Sécession. La pression des migrants devient alors de plus en plus importante. En 1867, la décision est prise par Sherman et Sheridan « d’éradiquer la race indienne » : l’idée est de renforcer la destruction des bisons qui est la ressource principale des Comanches, de détruire les campements et les réserves. Mais contrairement aux grands peuple des plaines du Nord, comme les Cheyennes ou les Sioux il n’y a pas eu de grandes bataille pour marquer la fin de la Comancheria. Ceci explique en partie l’oubli de la culture comanche car la politique de la « terre brulée » n’entre pas dans la mythologie de la Conquête de l’Ouest et de la Destinée Manifeste.