Alors que le dérèglement climatique et les crises géopolitiques fragilisent le monde, la question de la faim est toujours d’actualité. Nourrir et réparer la planète sont les enjeux pour le XXIe siècle. Franchir l’Everest alimentaire en 2050, le sous-titre dit l’ambition de cet ouvrage. Sébastien Abis file la métaphore de la conquête de l’Everest dans les différents chapitres. Les défis qui nous attendent demandent, comme pour une ascension en montagne, réflexion, engagement, responsabilité et coopération. Son ouvrage invite à refuser le pessimisme.

Il était une fois l’Everest

L’auteur propose un détour par la conquête de l’Himalaya, depuis la première ascension en 1953 du plus haut sommet du monde jusqu’à la surfréquentation actuelle qui interpelle sur la lucidité des humains. L’auteurSébastien Abis collabore avec différents médias sur les défis agricoles et alimentaires, il est conseiller scientifique et membre du comité de rédaction de Futuribles, la revue de prospective développe sa métaphore : « Nous sommes tous sur place, au pied de la montagne et dans les camps de base, avec l’obligation d’atteindre le sommet.[…] Franchir l’Everest alimentaire de ce siècle, c’est construire une sécurité alimentaire pour le plus grand nombre… » (p ? 20-21)

Sécurité : le camp de base incontournable

Comme le montre l’histoire, la faim peut ébranler les structures sociales et politiques. L’alimentation est la base de la sécurité individuelle et collective.

Dans les décennies à venir, la population mondiale va continuer à augmenter. L’ONU estime qu’on atteindra le sommet à 10,4 milliards d’humains en 2086C’est le scénario médian malgré le ralentissement de la fécondité. L’Afrique devrait connaître la plus forte croissance démographique : 200 millions en 2000, 400 millions attendus en 2028, alors que la part de l’Europe va continuer à reculer.

Trois milliards d’humains vivent en zone rurale, chiffre stable depuis les années 1990, du fait de la croissance démographique et malgré l’urbanisation galopante. Le monde rural et le monde urbain sont de plus en plus ignorants l’un de l’autre.

D’autre part, le vieillissement de la population et le développement des classes moyennes influent sur la demande alimentaire, les flux d’approvisionnement augmentent.

La croissance de la consommation mondiale devrait être de 15 % d’ici 2032.

Soutenabilité : l’expédition inévitable

Le contexte du changement climatique vient aggraver la situation et ses effets sont sensibles sur toutes les agricultures. Si la production mondiale permet de nourrir tous les humains, cela suppose un niveau moyen de consommation. L’auteur ouvre des pistes de réflexion, à commencer par la lutte contre les pertes agricoles et les gaspillages alimentaires. Il évoque la nécessité de mieux utiliser l’eau nécessaire à l’agriculture. Cette question de l’accès à l’eau est de plus en plus importante et génératrice de tensions entre utilisateurs et entre pays.

La question du foncier est aussi envisagée, notamment à propos de la concurrence entre la culture et élevage, mais aussi l’artificialisation et l’appauvrissement des sols. Pour l’auteur, la déforestation pour cultiver et produire de l’alimentation n’est pas une solution.

Il rappelle que l’agriculture, au niveau mondial, est responsable de 20 % des émissions de GES. IL faudrait nécessairement une agriculture moins émettrice, d’autant qu’elle est directement exposée aux aléas climatiques.

Santé : L’artère vitale

Dans ce chapitre, il est question de l’allongement de l’espérance de vie au cours du XXe siècle, de vieillissement de la population mondiale et des conditions pour une vie en bonne santé.

Celle-ci repose, en particulier, sur l’accès à une eau potable, eau qui est trop souvent utilisée pour des usages non-essentiels.
D’autres aspects sont évoqués comme l’obésité, la recherche de régimes alimentaires équilibrés, soutenables. L’auteur revient sur la question du poids des ressources utilisées pour nourrir les animaux d’élevage, sans oublier les animaux domestiques.

Souveraineté : le versant instable

Pour éviter que la conflictualité en matière d’accès aux ressources alimentaires augmente, les coopérations multinationales sont indispensables.
L’auteur dresse un bilan des changements géoéconomiques en route : place de la Chine et de l’Inde, existence de grands accords (ALENA, MERCOSUR…), multipolarisation géoéconomique, mais aussi événements perturbateurs des grands rendez-vous internationaux : la COVID, la guerre en Ukraine. Il résume les grandes évolutions géostratégiques.

L’agriculture et l’alimentation, un temps reléguées à l’arrière plan, reviennent sur le devant de la scène.

La souveraineté se définit ainsi : « un État exerce un pouvoir sur son territoire en étant le régisseur et en opérant de manière indépendante, assurant l’approvisionnement dans les domaines déterminants à la vie de la nation. »(p. 96)

L’arme du nationalisme y compris en matière agricole réapparaît.

Stratégies : les Sherpas de la réussite

L’auteur insiste sur la nécessité de conjuguer agriculture et écologie, même si ce « chemin de l’Everest » n’est pas évident : produire des aliments sains avec une empreinte écologique la plus neutre possible et pour le plus grand nombre d’humains, c’est-à-dire choisir une « agriculture écologiquement intensive ». Les précurseurs, comme Marcel GriffonQu’est-ce que l’agriculture écologiquement intensive ?, Editions Quae, collection Matière à débattre et décider, 2013, ont déjà proposé des solutions. L’auteur montre l’importance d’un soutien politique pour les diffuser. Comme pour gravir une montagne, la solidarité est indispensable.

L’UE avec ses objectifs de « pacte vert » ne saurait réussir dans un monde qui continuerait à consommer sans restriction, notamment de la viande en excès. L’auteur se veut malgré tout optimiste :

« Nous devons éviter les scénarios mortifères de la décroissance du progrès, du développement insoutenable, de la mondialisation ultra-libérale et du nationalisme de repli.» (p. 112) « Confiance, constance et cohérence constituent trois vecteurs précieux pour affronter l’épreuve qui s’érige face à nous et pour laquelle nous devons penser de manière positive pour faire la différence. Nous devons à, la fois regarder de face l’Everest alimentaire inutile de nier la complexité et nous donner pleinement et dès maintenant dans l’effort commun qu’il exige. »(p. 115)

Pour réussir, il faut miser sur l’éducation alimentaire à l’école et tout au long de la vie.

Conclusion :

Nous devons manger sans nuire à la planète. Si de multiples scénarios existent, « Cet Everest alimentaire, nous l’avons vu, doit nous conduire à la prudence, à la modestie et à l’entraide. » (p. 127)

Cette réflexion d’un spécialiste des questions agricoles vient à point nommé en cette période de crise agricole, alors que s’ouvre le salon de l’agriculture et que l’écoanxiété gagne du terrain.