Projet et méthode
Le rythme de sortie prévu est de quatre livres par an. L’idée est d’associer à chaque fois un écrivain spécialiste de la période et un auteur de bande dessinée. C’est donc « un regard croisé…qui propose un traitement graphique renouvelé de notre histoire ». L’ouvrage se compose d’une bande dessinée et d’une partie documentaire. Ce volume inaugural est l’occasion d’affirmer à la fois une méthode et des convictions. Les auteurs insistent sur les « fantasmes passéistes « et la « récupération politique » qui s’accrochent parfois à l’histoire. A certains égards, cette bande dessinée pourrait faire penser, dans l’esprit, à Astérix dans le sens où on peut suivre et apprécier l’histoire en tant que telle et aussi s’amuser des clins d’oeil glissés par les auteurs à travers les répliques des personnages.
Un road movie des origines
Le fil de l’histoire est donc de suivre six personnages plus ou moins réputés de l’histoire de France : Molière, Jules Michelet, Jeanne d’Arc, le général Dumas, Marie Curie et Philippe Pétain. Par ce choix éclectique les auteurs se sont donc gardés de n’aborder que des célébrités de premier plan ou consensuelles. C’est assez osé par exemple d’avoir mis le maréchal Pétain enfermé dans son cercueil. Tout ce petit monde visite donc la France en camionnette à la recherche des origines supposées du pays. On passe notamment par Lascaux, Paris ou encore Carnac. La fine équipe s’enrichit du soldat inconnu à un moment donné. Les auteurs n’hésitent pas à faire entrer l’histoire récente avec un migrant qui se glisse dans la camionnette à Calais.
Qu’est-ce que la France ?
Chemin faisant, la bande dessinée montre bien par exemple que l’histoire de France déborde du cadre métropolitain : il suffit pour cela de penser à Saint Domingue et de ce que représenta économiquement cette île au XVIII ème siècle. C’est en quelque sorte la validation de la démarche coordonnée par Patrick Boucheron dans « Histoire mondiale de la France ». A Huningue, les protagonistes s’étonnent de découvrir une frontière si calme. Arrivés à la roche de Solutré, les auteurs remettent en cause une idée longtemps avancée à propos des carcasses de chevaux retrouvées à ses pieds. Nulle technique de chasse en l’occurence mais simplement la trace d’un site de dépeçage de l’époque. Notre image du territoire change également et ce n’est qu’à partir des années 1920 que les touristes ont commencé à se baigner. A Lascaux, les protagonistes découvrent combien les hommes actuels sont contraints par le temps car ils doivent se présenter à la visite de 15h18. Notre façon de penser le temps a aussi évolué.
Ce qu’il faut maintenant savoir
Au fur et à mesure de l’histoire, le lecteur apprendra par exemple qu’il y eut au moins un général noir durant la Révolution française. Dans un autre genre on ne sait pas exactement à quoi ressemblait Jeanne d’Arc si ce n’est qu’elle mesurait 1 mètre 60 et était brune. Un autre détail la concernant est évoqué par un des protagonistes. Il est vain aussi de s’accrocher à l’image de paysages éternels car, comme le précise une des vignettes, le petit coin qui peut aujourd’hui sembler typique de France, abritait il y a dix mille ans des steppes froides, des rennes et des mammouths. Notre langue est le fruit de multiples emprunts comme avec la langue arabe. Au passage, les auteurs déboulonnent aussi quelques figures devenues tellement habituelles qu’on en a parfois oublié leur véritable histoire. Ainsi en est-il pour les bourgeois de Calais.
La partie documentaire
Cela représente une cinquantaine de pages organisées en plusieurs dossiers. Tout d’abord « Quelques Français », c’est-à-dire une biographie des six personnages rencontrés dans la bande dessinée. Le deuxième prolongement « La France, ça commence quand ? » revient sur la question des origines en allant de l’histoire racontée par les monarchies à l’histoire nationale pour déboucher sur l’histoire monde. Dans « Et avant la Gaule ? », les auteurs insistent pour dire que si Lascaux est situé en France, il est avant tout un trésor à préserver au nom de l’humanité toute entière. « Tours et tableaux de la France » revient sur ce lien français si particulier entre histoire et géographie et s’intéresse notamment à la question des frontières. « Histoire d’images » traite de l’image comme moyen d’apporter de la connaissance.
Le projet est donc ambitieux et il s’appuie aussi sur l’idée de ce binôme historien-dessinateur différent pour chaque volume. C’est en tout cas une proposition très intéressante et portée surtout par une rigueur scientifique qui n’est en rien sacrifiée à l’image.
© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes