La Révolution Française est désormais un objet historique travaillé dans le moindre recoin. Aucune tendance politique ne s’est privée d’en écrire une analyse complète, des monarchistes aux anarchistes. Les historiens, d’ailleurs, n’ont pas attendu d’avoir du recul ni même des méthodes de travail plus efficaces pour s’atteler à la tâche. Dès le début de ce long XIXème siècle, chacun se donne à cœur joie d’apporter son interprétation. Dans ce contexte, écrire un ouvrage synthétique sur cette période prend l’allure d’un pari risqué. Le format de l’infographie apporte alors un grand coup de jeune aux connaissances proposées et, mieux encore, des points de détails dans l’analyse, des chiffres marquants exposant réellement l’ampleur de certains évènements.

Jean-Clément Martin, professeur émérite de l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, propose donc un travail de sélection des événements et des thématiques, de mise en valeur de chiffres-clefs pour faire rentrer l’essence de ce tournant politique majeur en 117 pages. Spécialiste de l’usage de la violence, de la Terreur et de la guerre de Vendée, il apporte un vision dynamique des faits et remet en cause des constats classiques que l’historiographie a ancré dans l’esprit collectif – sur Robespierre, la déchristianisation, l’émigration etc. Il est aidé en cela par la mise en forme de Julien Peltier, data designer, spécialiste du Japon féodal, issu de l’école nationale supérieure des arts et industries graphiques Estienne.

Forces et faiblesses de l’infographie comme support

Tout traitement d’un sujet se comprend par les choix réalisé en terme de sélection de l’information. Au sein d’une infographie, ces choix doivent se faire dans des médiums différents : évènements, explications, plans géographiques, organigrammes, chiffres …

Le choix des événements a du se faire en équilibrant les attendus des différents lectorats. Malheureusement la première partie de l’ouvrage – concernant la marche vers la République – totalement chronologique jusqu’en Septembre 1792 – n’apporte pas beaucoup de plus-valus, en dehors de quelques anecdotes amusantes comme celle de Palloy, chargé de la destruction de la Bastille dès le 15 juillet qui revend briques, serrures ou statues en souvenirs à travers la France via ses Apôtres de la liberté.

La chronologie des faits est désormais tellement connue et maîtrisée que, même esthétiquement mis en forme par Julien Peltier, on y passe peu de temps et n’apprend que peu de choses. Les deux parties suivantes, se concentrant sur des thématiques, sont bien plus enrichissantes et proposent des présentations contextualisées de courants de pensées, de groupes sociaux, de personnages ou bien de systèmes politiques.

Une des faiblesses majeures de l’ouvrage réside dans certains graphiques et certains organigrammes difficiles à lire. De nombreux défauts méthodologiques ressortent : absence de titre pour certains documents, légende incomplète, figures stylisées en volume mais ne permettant plus de relier les informations « du fond » de la figure avec l’axe des abscisses et/ou des ordonnées ou bien le manque d’indications concernant le sens de lecture.

On se sent parfois frustré de passer à côté de certaines informations : page 50 est proposé un organigramme du positionnement des femmes où couleurs, figurés et noms de femmes militantes se superposent difficilement, entraînant des confusions (comme la mise en lien involontaire d’Olympe de Gouges et de la prostitution). Bien entendu, l’ouvrage regroupe davantage de représentations graphiques réussies que de productions difficilement compréhensibles. Les schémas des régimes politiques, de la société d’ordre ou du Directoire notamment, sont particulièrement réussis et clairs.

Par ailleurs, une des grandes forces de cet ouvrage réside dans le fourmillement fabuleux des chiffres, rendant leur impact à tous les évènements et phénomènes forts de la Révolution. Quelques exemples : 1 100 à 1 400 morts lors des massacres de Septembre, plus de cinquante morts lors de la fusillades des pétitionnaires du 17 juillet 1791, 495 528 esclaves noirs pour seulement 27 727 blancs à St Domingue en 1790, 184 bovins/jour nécessaires aux 90 000 hommes de l’armée envoyée en Belgique en 1794, 19,4 % des émigrés contre-révolutionnaires sont des paysans, 1 200 arrestations après l’attentat contre Napoléon Ier rue Nicaise. De l’anecdotique au dramatique, tous ces chiffres ont un sens profond pour affirmer et illustrer le propos.

Les différents plans de Paris, cartes de France ou d’Europe sont une autre réussite graphique de cette infographie. Il est ainsi possible de localiser les différentes tendances de certains phénomènes, comme pour la fragmentation de l’Église romaine et constitutionnelle, ou de se projeter dans certains évènements, comme la fête de la Fédération en particulier.

Une histoire des groupes sociaux

Les deux dernières parties du livre se concentrent sur une approche thématique de la Révolution et, dans de nombreux cas, font le choix d’une entrée par les groupes sociaux. Ils sont nombreux à y être décrits, pour eux mêmes mais aussi pour ce qu’ils nous apprennent de la Révolution: femmes, esclaves et libres de couleur, clergé, militants et brigands, contre- révolutionnaires.

Les femmes ont une place à part pendant la Révolution. Rares sont les hommes, comme Condorcet, à les soutenir. L’explication mise en avant vient de la crainte qu’elles ont suscité lors de la marche d’octobre 1789. Elles y prennent une part majeure, certaines d’entre elles offrant des bouteilles à toutes celles prenant part au mouvement et, usant de violences, parfois meurtrières, contre les gardes du corps du roi. Des scènes d’hystérie collective sont relatées durant lesquelles des femmes trempent leurs mains dans le sang des corps de leurs victimes pour s’en couvrir le visage. De même la violence verbale à l’encontre de la famille royale déplaît aux « patriotes » qui tiennent la direction de la Révolution, comme les sans culottes déplairont eux aussi lors des violences lors de révoltes frumentaires.

A partir de ce moment, on observe la diminution de leur impact sur la Révolution : de leur entrée dans les clubs parisiens à leur exclusion complète validée par la Constitution du 24 juin 1793. Les femmes contre-révolutionnaires, ou suspectées de l’être, vont même recevoir des « fessées patriotiques » à Nantes et à Paris dès 1791, actes symboliques de leur infantilisation.

Concernant la contre-Révolution il est observable que l’émigration n’a pas touché uniquement les nobles. Bien au contraire ils ne sont que 16,8 % à quitter le pays, principalement en deux fois, à l’été 1789 puis à celui de 1791. Il est possible de suivre l’évolution des tendances politiques des gouvernements en observant l’évolution de la définition juridique des émigrés : amalgame des parents d’émigrés en 1792, vendéens en 1793 (la Vendée devient-elle alors symboliquement étrangère si terre d’émigration ?), puis fédéralistes avant d’en exclure les ouvriers, paysans, femmes et enfants en 1796 pour enfin les amnistier avec la bénédiction de Napoléon Bonaparte.

Les armées dressées contre la révolution ne comptent que 24 000 hommes. Pourtant leur désignation évolue beaucoup, et il est compliqué de définir ce qu’est un contre-révolutionnaire : émigré, vendéen, royaliste, robespierriste, ou bien même, selon certains, les Girondins. Être contre- révolutionnaire c’est s’opposer la marche inexorable de la Révolution. La Vendée apporte aussi une analyse de la République en miroir au développement du mouvement la bas : d’abord non-écrasée par manque de troupes, la réaction face à la levée en masse permet d’accuser les Girondins et d’entreprendre leur éviction du pouvoir. Le vide du pouvoir créé permet aux armées catholiques et royalistes, résultats de la manipulation du clergé et de la noblesse sur les masses paysannes, de s’organiser.

Aujourd’hui encore la lutte continue entre les deux camps, sur fond de conflit mémoriel – Jean Clément Martin ayant du se positionner sur le terme de génocide vendéen, l’ayant rejeté. Les méfaits des colonnes infernales de Turreau ont longtemps été oubliés de l’historiographie bleue, alors qu’elles sont productrices d’une armada de martyrs pour l’historiographie blanche.

Une analyse des régimes politiques

Au delà des groupes sociaux, Jean-Clément Martin nous apporte des éclaircissements techniques, idéologiques et historiographiques sur les régimes politiques polémiques – la Terreur – ou bien trop souvent ignorés – le Directoire. Il nous ait rappelé notamment que la légende noire de Robespierre et une réécriture posthume de l’homme par ceux qui l’ont fait tomber – par peur de

tomber eux-mêmes du fait de leur corruption – et ceux partageant la responsabilité des excès du gouvernement exceptionnel. On peut penser à Fouché, Tallien, Barrère ou Carnot. Une longue chronologie permet justement de relier le personnage de Robespierre aux faits positifs comme négatifs dont il est responsable : de la demande de l’abolition de la peine de mort à Défense de la liberté des cultes ou bien au sauvetage de 73 députés girondins (en Septembre 1793) en passant par son approbation des massacres de Septembre ou sa contribution à l’exécution des meneurs sans- culottes. Le gouvernement exceptionnel est le fait d’un moment de crise politique grave mais aussi d’aspirations populaires importantes. Son organisation est complexe et l’ouvrage permet d’identifier clairement ses organes de fonctionnement (tribunal révolutionnaire, comité de salut public, comité de sûreté générale, assemblée montagnarde …)

Concernant le Directoire, il s’agit finalement d’un régime « oublié » qui a pourtant duré aussi longtemps que la durée écoulée entre la tenue des États généraux et la chute du gouvernement exceptionnel. Jean-Clément Martin nous propose alors de comprendre à la fois les apports du Directoire, son fonctionnement mais aussi ses points faibles. Aidé par un excellent organigramme, on (re)découvre le partage de l’exécutif et du législatif entre, d’un côté, les cinq directeurs et, de l’autre, l’Assemblée Nationale, portée par le principe du bicamérisme et partagée entre les Anciens et les Cinq-cents.

Mis en place par les vainqueur de l’été 1794, le régime stabilise les acquis de cette minorité. Les mesures se concentrent sur le domaine économique, structurée autour d’un plan de relance libéral qui vise à réduire le commerce maritime face au contact au Royaume-Uni et à se tourner vers les hauts fourneaux et une industrialisation nouvelle. Cette politique est vectrice d’inégalités sociales mais permet la création et le renforcement d’une élite dont l’Instruction est facilitée, principe repris ensuite par Napoléon Bonaparte dès le consulat.

Malgré sa pérennité, le Directoire n’est pas exempt de problèmes ou de compromission. Connu pour son instabilité politique et ses coups d’État à la chaîne, le suffrage censitaire est rétabli. Les directeurs et les députés sont renouvelés tous les ans, un par an pour les premiers, un tiers par an pour les seconds. L’alternance des victoires royalistes ou néo-jacobines aux élections poussent les dirigeants de cette Révolution qui s’essouffle à briser les résultats des suffrages pour imposer une continuité d’idées et d’horizon. De même, le milieu politique est le terreau de la corruption. L’exemple le plus criant est le financement, contre faveur, de Barras, directeur central, par Gabriel-Julien Ouvrard, spéculateur prédisposé à l’enrichissement par l’investissement sans limites morales. Il sera ensuite un des financiers principaux de l’épopée napoléonienne.