Dans sa biographie parue aux éditions champ Vallon, Amaury Lorin entend revenir sur un profond paradoxe de l’histoire politique française : figure politique majeure de la IIIe République, Paul Doumer n’avait jamais été, jusqu’alors, l’objet de tout travail scientifique. Pour autant, l’homme offre un parcours social tout à fait exceptionnel. Né dans un taudis sous le second empire, fils d’ouvrier, Doumer a pu s’élever par la méritocratie qui est une valeur cardinale du nouveau régime républicain.
Il s’agit ici de décrypter les ressorts de son élévation sans pour autant tomber dans les travers mythologiques essentialistes sur le régime. Devenu coutumier de cet homme politique méconnu, Amaury Lorin a pu, grâce à l’accès aux archives personnelles de Paul Doumer, retracer le parcours atypique de l’Auvergnat en gardant en tête une question simple : est-ce que l’ascension et le parcours politique de ce dernier est caractéristique ou exceptionnel au regard du régime républicain dans lequel il fit carrière ?
Un homme du peuple
Paul Doumer est né à Aurillac le 23 mars 1857 dans une famille extrêmement pauvre. Son père est cheminot et sa mère femme au foyer. Premier fils de la famille, ils logent dans une petite chambre quasiment vide au-dessus d’une tannerie. La famille Doumer quitte rapidement le Cantal pour monter à Paris une fois le contrat de son père fini. Doumer gardera pour autant une forte attache à l’Auvergne.
La première rupture de sa vie intervient avec le décès de son père et le départ de sa mère pour Paris. Celle-ci se tue à la tâche, notamment dans les travaux de ménage, pour assurer l’éducation de son fils remarqué pour ses prédispositions. Celui-ci poursuivra des études, se révélant doté d’excellentes capacités qui rendront possible son ascension sociale sous la IIIe République. De basse extraction, Paul Doumer ne méconnaît pas le travail manuel et exercera pendant plusieurs années comme graveur. Celui-ci rencontre Blanche Richel et envisage de se marier avec elle. Son beau-père s’y oppose, jugeant que Paul est d’une extraction sociale trop basse. Il redouble alors d’efforts, devenant professeur de mathématiques à Mende, et menant une vie d’ascète afin de d’obtenir le plus rapidement possible sa licence. Doumer l’obtient du premier coup en 1878. Il épouse dans la suite Blanche et est muté dans les Vosges.
Un engagement radical
Dès son arrivée dans les Vosges, Paul Doumer adhère à la ligue enseignante et développe ses engagements républicains, notamment autour de la question éducative. À la suite d’un mauvais rapport d’inspection, Paul Doumer quitte l’enseignement et devient journaliste en 1883. Quelques années auparavant, celui-ci avait été initié en franc-maçonnerie. Il rejoint le Grand Orient de France en 1879 et y développe un fort réseau d’alliés et d’entregent qui lui sera utile au moment de son entrée en politique chez les radicaux. Il est le fondateur de la loge Voltaire, et devient secrétaire du conseil national du Grand Orient de France en 1882.
La franc-maçonnerie est alors un véritable creuset républicain. Il bénéficie du carnet d’adresses de son beau-père Clément Richel. Il s’implante dans l’Aisne qui deviendra alors sa terre d’accueil. Devenu journaliste dans Le courrier de l’Aisne en 1883 il en est rapidement renvoyé, devant des écrits jugés beaucoup trop virulents. Doumer fonde alors son propre média : La tribune de l’Aisne.
Il développe à travers le journalisme son influence. Doumer est élu conseiller municipal de Laon en 1887. Il fait alors son apprentissage politique comme premier adjoint. Ferme dans ses choix et fort dans ses convictions, Paul Doumer entend imposer ses projets notamment celui du tram. À travers ce grand chantier il se fait connaître et développe son action sociale. Une législative partielle se présente à lui en 1888. Il est porté alors par les républicains de l’Aisne comme candidat à la députation.
Il subit les attaques de son ancien journal Le courrier de l’Aisne. Face à lui se présentent Jacquemart, homme politique orléaniste, et le général Boulanger. Doumer est victime de calomnies sur ses origines régionales et sociales et se qualifie second, derrière Boulanger au premier tour. Ce dernier se retire et Doumer est ainsi élu sur une terre peu propice à sa cause politique (terre de grands propriétaires sensibles à la réaction boulangiste).
Son passage à l’Assemblée et de courte durée. Il y déploie une expertise et un soin particulier aux questions sociales et financières. Doumer s’oppose à Jaurès sur l’engagement socialiste et guerroie verbalement avec les boulangistes. Il est battu aux élections législatives de 1889 et devient chef de cabinet de Charles Floquet, président de la chambre. Son passage comme chef de cabinet assoit davantage son expertise politique et termine son apprentissage. Il est de nouveau élu à la Chambre en 1891, dans l’Yonne, sur une élection partielle. Il est réélu en 1893 il se spécialise alors dans les questions fiscales (celui-ci fait là une proposition de réforme visant à l’imposition d’un impôt progressif) et cléricales (marqueur radical par excellence). C’est au cours de cette mandature que se développent sa pensée coloniale qu’il va qui va largement marquer sa carrière.
Doumer connaît sa première gloire en devenant ministre des finances en 1895, à 38 ans, dans le gouvernement Bourgeois. Il se lance dès son arrivée dans l’ambitieuse réforme fiscale et propose la mise en place de l’impôt sur le revenu. Son projet de réforme est finalement un échec qui entraîne la chute du gouvernement en 1896. Peu de temps après, Doumer est nommé gouverneur d’Indochine par Méline, pourtant son adversaire politique.
L’Indochine, « école de virilité »
Cette nomination lui vaut de vives critiques de la gauche et notamment des radicaux (rupture des liens avec Emile Combes qui le perçoit alors comme étant bouffi d’orgueil et d’envie). À son arrivée en 1897 à Saïgon, Doumer trouve une colonie au bord de la faillite. Celui-ci a de grandes ambitions économiques néanmoins pour ce territoire : « gouverner mais pas administrer » voilà sa devise. Une des premières actions de Doumer sera la mise en place d’une administration efficace. En cela il se heurtera aux potentats locaux et aux pouvoirs intermédiaires, notamment en Cochinchine. Il met en place un budget général pour la colonie et institue une position forte. Doumer met en place des régies sur le sel, sur l’alcool, et sur le tabac. Les finances de la colonie s’envolent.
Parallèlement Doumer se lance dans des grands travaux, notamment le chemin de fer, qu’il viendra défendre à Paris. Est ainsi bâti le pont Doumer à Saïgon qui est inauguré en 1902. Doumer œuvrera également à la compréhension et à la connaissance de l’Asie en étant à la source de l’Ecole Française d’Extrême-Orient. Il participe également au développement des études scientifiques sur sa colonie. Il est à l’initiative de la station de Dalat, sanatarium de l’administration coloniale française. Doumer fait preuve en revanche de mauvaises approches diplomatiques sur la province du Yunnan en laissant, par ses faits et gestes, penser que la République française veut en prendre le contrôle. En cela il s’attire les foudres anglaises (après Fachoda) et chinoises.
Doumer rentre en métropole en 1902. Pourtant les critiques sont nombreuses (Clemenceau notamment est particulièrement virulent) et Doumer publie un ouvrage de ses souvenirs pour réhabiliter son passage dans l’empire colonial. Le bilan est pourtant clair : il a réussi à rendre la colonie bénéficiaire et faire de ce poids mort un des joyaux de l’empire français. On dit alors de l’Indochine qu’elle semble « former les chefs ». Malgré les réticences, Doumer rentre auréolé de gloire, ayant échappé aux scandales multiples qui ont agité la République durant sa mission (affaire Dreyfus), et renforcé dans ses ambitions par son voyage en Orient. Il ambitionne désormais les plus hautes fonctions.
L’ambition et ses errements
Réélu député à son retour, il brigue le poste de conseiller général de l’Aisne à Anizy-le-Château où il achète sa première maison détruite pendant la Grande Guerre. Doumer rompt alors avec la franc-maçonnerie à l’occasion de l’affaire des fiches. De même il se fâche définitivement avec Emile Combes qui deviendra un adversaire résolu. Il se recentre et s’éloigne de sa famille radicale. Doumer devient le premier président de la commission parlementaire du budget. Il la place alors au centre du jeu parlementaire. Il poursuit son ascension en se présentant au perchoir en 1905 et en étant élu contre Brisson.
Doumer apparaît comme un traître en fracturant le bloc des gauches. Quelques semaines après, Combes démissionne. Son élection est obtenue avec des voies venues de la droite. Ce faisant il est perçu comme un « Saxon » (comprenez un traître) par Jaurès et l’Humanité. Doumer accède à une fonction honorifique, peut-être la plus importante de sa carrière alors. Il s’impliquera que faiblement dans celle-ci. Il veut faire du perchoir un tremplin vers la présidence de la République. Face à lui se présente Falguière, président du Sénat et candidat du bloc des gauches. Doumer est lâché de tous les côtés et perd l’élection. En 1910 il perd également son mandat de député.
Doumer profitera de son absence de mandat pour intégrer de nombreux conseils d’administration et participer ainsi au développement de liens étroits entre les parlementaires et la grande industrie. Il « pantoufle » selon l’expression qui naît à cette époque. Sa plus grande participation se fera dans le conseil d’administration de la CGE (devenue aujourd’hui Alcatel). Il prend rapidement la présidence de celui-ci et il restera en poste jusqu’en 1927. Ses nombreuses participations industrielles s’inscrivent dans une trajectoire de plus en plus courante à son époque, que l’on qualifierait aujourd’hui de collusion. Il s’engage aussi dans l’aventure de la presse en participant à la fondation de l’Opinion qui rassemble la jeunesse libérale de l’époque. Il participe également aux délégations chargées de développer les liens avec le monde russe, notamment en fondant l’Institut Français de Saint-Pétersbourg.
Mais l’aventure parlementaire appelle de nouveau Doumer. Et celui-ci se présente aux élections sénatoriales en Corse. Malgré une campagne de sa part importante des radicaux Doumer est élu au premier tour ce qui a un retentissement national. À peine élu, Doumer relance la question du réarmement de la France à la suite des choix allemands. Il participe activement au vote de la loi des trois ans, quelques mois seulement avant le déclenchement de la Grande guerre.
L’épreuve de la Grande Guerre
Au moment où débute le premier conflit mondial, Doumer fait part de sa crainte pour la France à ses amis, mais est déterminé à participer à la hauteur de ses moyens à la défense de la patrie. Il sera un « patriote de l’arrière ». Il est très rapidement mis en avant par la percée allemande qui menace Paris à la fin de l’été 1914. Le gouvernement part à Bordeaux et la gestion de la capitale est désormais confiée au général Galliani qui se lie d’amitié avec le sénateur Doumer. À deux ils vont agir rapidement, prenant de multiples décisions pour défendre Paris, fusse au péril de sa vie pour Doumer.
Le tout bien évidemment sans en référer au gouvernement national réfugier à Bordeaux. On craint alors un potentiel coup de force, Galliani se défend de toute ambition politique et peste contre les intrigues politiciennes. Les Allemands à Senlis, Doumer mobilise des taxis de Paris pour acheminer des soldats sur le front : les taxis de la Marne sont nés. Un événement peu décisif mais fortement symbolique dont Doumer saura user pour sa propre gloire.
Au retour du gouvernement et des Chambres à Paris fin 1914 Doumer s’investit grandement dans la commission des armées. La vie parlementaire se calme durant le conflit et la vraie action se réfugie dans les commissions où il sera particulièrement actif. Le « parlementarisme absolu » dont il se fait le chantre déplaît. On l’accuse d’être un frein à l’action du pouvoir exécutif. Au contraire Doumer trouve ainsi que la République touche à sa plus pure forme : celle du contrôle parlementaire.
Ainsi Doumer multiplie ses rapports. Il devient vice-président de la commission sénatoriale sur l’armée en 1915. Son point d’orgue : les effectifs, qu’il juge insuffisants. Il est rejoint dans ses combats par Clemenceau, en adoptant une position très critique sur l’action gouvernementale et sur son inertie. Son intransigeance s’exprimera dans sa lutte avec le général Joffre qu’il rejette profondément et qui ne trouvent jamais grâce à ses yeux. Il est « nigaud », mauvais stratège, incompétent, à l’inverse de Galliani a qui Doumer est fortement lié.
Le conflit sera rude pour la famille Doumer. Paul perdra son fils André en septembre 1914. La guerre ne laissera pas de répit à la famille qui perdra quatre fils. Paul Doumer affichera une pudeur toute issue de l’éducation des hommes de l’époque et qui lui sera tout à la fois reprochée (Doumer préfère la France à ses fils) et reconnue (Doumer incarne le sacrifice consenti par tous les Français, y compris chez l’ancien président de la Chambre). Lucile, sœur des quatre fils Doumer, décédera également en 1923 en couche.
Le grand argentier
À la suite de la guerre, le Bloc National remporte les élections et Doumer revient aux affaires plusieurs fois comme ministre des finances. Sa compétence et sa réputation d’homme rigoureux le précède. Il va devenir ainsi le « grand argentier de la République ». Il agira notamment sur le plan des conséquences de la guerre, notamment au sujet des indemnités versées aux anciens combattants ainsi que dans la reconstruction du département de l’Aisne dont il est toujours conseiller général et qui est le département le plus sinistré. Réélu sénateur de Corse, Doumer devient ministre des finances en 1921.
Son action se concentrera sur les conséquences internationales de la guerre, notamment sur la négociation des réparations allemandes et sur le retour à l’équilibre budgétaire qui sont les priorités du gouvernement. Il propose alors de doubler la taxe sur le chiffre d’affaires pour combler le déficit. Le projet de réforme est rejeté par les Chambres et Doumer est la cible de fortes critiques. Il résiste, fait voter le budget contre toute attente, mais doit quitter son ministère à la chute du gouvernement Briand en janvier 1922.
Durant toute cette période, Doumer ne se départit pas de ses chevaux de bataille : la dureté envers l’Allemagne (il s’oppose alors au président du Conseil Briand sur cette question) et la réduction du train de vie de l’État en parallèle. Clemenceau retiré de la vie politique, il devient le réceptacle des attentes de la Chambre « bleu horizon ». La création d’un parti des anciens combattants est même envisagée sous le nom des « amis de la France ». Doumer ne se lance cependant pas dans cette expédition vers l’Élysée.
En 1924 le Cartel des gauches parvient au pouvoir et l’expertise de Doumer est mobilisée. Sur les questions financières il n’est plus que jamais le grand expert de son temps. Il opère à la même époque un net virage à gauche et se rapproche de la gauche radicale qu’il avait quitté en 1913. L’objectif est alors clair : devenir président du Sénat, ce qui sera chose fait en 1927. Blum parlera de lui comme d’un « déraciné politique ». Avant cela Doumer redevient en 1925, pour la troisième fois, ministre des finances. Il applique alors les mêmes recettes : orthodoxie budgétaire et impôt comme pièce maîtresse du dispositif de redressement budgétaire. Le gouvernement tombe sur le vote d’une série de mesures fiscales en mars 1926.
Doumer ne sera pas rappelé dans les gouvernements successifs et se concentrera alors sur le travail au Sénat tout en profitant de la nouvelle maison achetée par la famille dans la Nièvre. Fin 19126 Doumer devient président de la commission des finances du Sénat. C’est l’année suivante qu’il atteint le sommet du palais du Luxembourg en accédant à la présidence de la Chambre Haute. Il est réélu successivement quatre fois, le poste lui convenant parfaitement de l’aveu de ses opposants politiques.
Au cours de son mandat, Doumer est réélu président du conseil général de l’Aisne en 1927 et d’une très courte tête sénateur de Corse en 1929. Au cours de son mandat de président du Sénat il aura la charge de défendre les fruits de la colonisation sans jamais la remettre en cause. Il enterrera en 1929 le maréchal Foch et Clemenceau. Il se prépare déjà à la présidence de la République.
L’Elysée s’ouvre
L’opportunité se présente en 1931 alors que Doumergue ne se représente pas. Doumer se lance et devra faire face à la candidature adverse de Briand, ministre des affaires étrangères et « artisan de la paix » avec l’Allemagne. Les deux camps préparent leurs armes. Le Sénat soutient comme un seul homme Doumer, la Chambre des députés est plus partagée, notamment chez les radicaux. Au final Doumer remporte la victoire. Certains verront la victoire de la guerre sur le principe de la paix que portait Briand. Cette approche masque néanmoins les véritables dynamiques à l’œuvre. La présidence est en effet une fonction de consensus et d’unité, ce qu’incarne alors davantage Doumer, aux engagements politiques bien plus modérés.
Élu le 13 mai 1931, Doumer entre en fonction le 13 juin. Aucune célébration ou explosion de joie chez lui. C’est l’aboutissement d’un long parcours politique. Il réserve son premier déplacement en tant que président à la ville de Laon où il quitte le conseil général. Doumer s’arrête en chemin à Anizy fleurir le monument aux morts où sont inscrits les noms de ses quatre fils. Le président se rend également dans les premiers jours de sa présidence à Montmartre dans l’école primaire où il avait reçu une éducation des dizaines d’années plus tôt et où il rappellera son attachement à l’enseignement et à la méritocratie comme bases du pacte républicain.
Doumer est un homme connu pour sa grande rigueur. Tous les jours il se lève aux aurores pour s’occuper de son courrier personnel avant de rejoindre Blanche pour le petit-déjeuner. Il s’accorde quelque promenades au parc de Saint-Cloud et des déjeuners dominicaux avec la famille. En dehors de ces distractions, Doumer travaille près de 18 heures par jour, ne dormant que quelques heures et ne s’accordant que des repas frugaux et simples. Pas d’alcool ni de tabac. Il apporte au Château son train de vie austère et, tel Caton l’Ancien, traque le superflu pour faire des économies.
Sa présidence s’ouvre en pleine Exposition Coloniale qui rappelle la conviction absolue qui l’anime : celle des bienfaits du colonialisme. C’est un fait absolu, irrévocable pour la France, sous peine de déclin fatal. Sur le plan international, Doumer conserve son animosité envers l’Allemagne et entend poursuivre le réarmement du pays. Il se tourne vers une forte alliance avec le Royaume-Uni, voulant réactiver la Cordiale Alliance qu’il avait défendu en 1904. Le vieux républicain qu’il est gagne en popularité au cours de son mandat bref.
6 mai 1932
Une rumeur d’attentat se répand en France début mai 1932. Doumer s’inquiète mais n’en parle pas à ses proches. Le 6 mai est donnée une réception pour la visite de Faysal d’Irak. Doumer s’y rend mais interrompt le déjeuner pour se rendre à l’inauguration du salon des écrivains des anciens combattants. Au cours de la visite Doumer est assassiné de trois balles dont une perfore l’artère axillaire. C’est ce dernier tir qui lui est fatal, faute de soins adéquats. On dira que Doumer est mort de gaffes plus que des coups de feu. Le décès est prononcé le lendemain. Avant de perdre connaissance Doumer s’inquiétera de l’identité de son tueur : il s’agit d’un russe du nom de Gorgulov. Au moment d’entrer dans sa présidence, Doumer l’avait prédit : « je ne verrai pas la faim de mon septennat. Je serais assassiné. »Amaury Lorin, Paul Doumer, la République audacieuse, 2022, page 312.
Le 12 mai 19132 Doumer est enterré au cours de grandes funérailles nationales suivies par des milliers de personnes. Du monde entier affluent les marques de désolation et de condoléances. Gorgulov, fasciste russe, est condamné à mort et exécuté le 14 septembre 1932. L’enquête est complexe. S’agit-il de l’acte d’un déséquilibré, d’un attentat soviétique pour contrer la politique internationale de Doumer ? D’un attentat fasciste pour incriminer les communistes à deux jours des législatives annoncées gagnantes pour la gauche ? D’un attentat des russes blancs ?
La thèse de l’acte individuel est finalement retenue et l’enquête refermée. Les élections sont maintenues et remportées par la gauche deux jours plus tard. Lebrun est élu président de la République le 10 mai 1932. L’assassinat de Doumer participe à la construction d’un parcours de martyr républicain qui aura été, auparavant, le sauveur sur le modèle de Cincinnatus. Le culte républicain autour de Doumer perdure, notamment à Aurillac sa ville d’origine.
Le parcours de Doumer est à l’image de la IIIe République tout en étant très singulière. Fait de passages flamboyants et de traversées du désert, le parcours de Doumer est contradictoire, à l’image de son époque. Héritier d’une culture politique syncrétique, inclassable et difficilement saisissable, et illustrant les contradictions fondamentales de la IIIe République, à la fois démocratique mais impérialiste, Doumer est finalement un être d’une profonde complexité, républicain libre, « dernier stoïcien ». Le travail biographique d’Amaury Lorin participe activement à la redécouverte d’une figure politique méconnue mais dont les enseignements ont beaucoup à dire à notre pays près de 90 ans après sa mort