Les éditions Autrement proposent une nouvelle collection intitulée  » leçon de choses », référence clairement assumée à Georges Perec. C’est donc à un voyage au pays des objets que nous invite dans le cas présent Philippe Artières.

Un auteur habitué aux chemins de traverse

Philippe Artières est donc chargé d’inaugurer cette série. Il est directeur de recherches au CNRS. C’est également un historien qui a déjà produit un certain nombre d’ouvrages, souvent très précurseurs. Il s’intéresse depuis sa thèse à une histoire des écritures ordinaires aux dix-neuvième et vingtième siècles. Citons par exemple son très intéressant « Rêves d’histoire » où il envisageait un certain nombre de pistes à explorer pour les historiens en s’appuyant par exemple sur les objets trouvés ou encore les emails frauduleux. Dans ce même ouvrage, il livrait d’ailleurs déjà quelques pistes autour de la banderole. Plus récemment il est l’auteur de « Vie et mort de Paul Gény ».
Cet ouvrage s’inscrit aussi comme un continuum dans son œuvre car il a également publié un livre dédié aux enseignes lumineuses.
Le livre commence par un cahier en noir et blanc, ce qui est un peu dommage pour certaines photographies. Il est également ponctué d’un certain nombre d’intermèdes entre chaque chapitre, comme autant de cas particuliers.
Signalons enfin que Philippe Artières anime avec d’autres aussi un blog nommé scriptopolis.

Re-voir l’objet

La banderole est tellement familière qu’on a tendance à ne plus la voir. En même temps elle s’inscrit dans une histoire contemporaine de l’écrit. Elle apparaît comme une « légende intégrée dans l’image ». Philippe Artières propose d’ailleurs une définition large de la banderole en incluant par exemple le corps des Femen.
Signalons que pour aller plus loin, le livre se conclut par une chronologie partielle et subjective de « l’écrit exposé contestataire » selon les termes mêmes de l’auteur. Il y a aussi une bibliographie et un léger appareil de notes.
L’auteur cherche donc à définir son champ d’étude et s’appuie ainsi sur les travaux de Danielle Tartakowsky en rappelant les quatre formes de manifestations identifiées par l’auteur ; autant donc de prétextes à utiliser des banderoles ! Philippe Artières dresse parfois des parallèles audacieux comme lorsqu’il affirme page 38 :  » entre les tatouages de marin que l’on exhibe …, le foulard des militants du jihad et l’écharpe tricolore de l’élu de la République française, la distance est moins grande qu’il n’y paraît ». Si on peut adhérer à cette idée, elle mériterait d’être reprécisée et davantage étayée.

La banderole à travers les époques et les lieux

L’auteur nous fait voyager en évoquant la Chine avec le cas des dazibaos. Il parle aussi de la Pologne, avec notamment Solidarnosc en incluant sa réflexion dans quelque chose de plus large, avec le rôle des cartes de voeux. Il développe des cas et des comparaisons plus inattendus autour de la banderole et la mort. Il narre alors le contexte de la mort de Pierre Overney, militant de la gauche prolétarienne en 1972, et celle de Cleews Vellay, ancien président de l’association Act-up. Il cherche alors à démontrer que la banderole peut être synonyme de mort dans le premier cas et d’appel à la vie dans le second.

Elie Kagan, le spécialiste

Ce photographe, décédé en 1999, est qualifié « d’archiviste des banderoles » et son travail, longtemps peu connu, s’avère aujourd’hui essentiel. Il a « défilé pendant plus de quarante ans dans les rues de Paris, collectant et créant en même temps une mémoire des manifestations, et donc des banderoles. Il utilisait d’ailleurs trois techniques : la ronde, l’affut et l’immersion. Chacune de ces techniques est illustrée d’un exemple précis.

Le football, un cas plus classique

Philippe Artières n’oublie pas de consacrer un chapitre à la banderole dans les stades. A travers quelques cas qui ont déchainé les passions, il montre l’impact puissant de la banderole sur le moment, mais finalement plus faible ensuite. En effet si l’on pense à la condamnation qui a pesé sur les responsables d’une triste et célèbre banderole sur les Lensois, elle est finalement faible au regard de l’émotion suscitée sur le moment.

Cet ouvrage, assez bref, nous fait voyager dans le temps, les lieux et les supports. On pourra parfois être surpris du balisage du champ de recherche autour de la banderole, en considérant qu’une définition plus étroite aurait permis de mieux cerner le sujet. Néanmoins, en même temps, c’est aussi l’intérêt d’un tel ouvrage que de suggérer des pistes, des rapprochements parfois iconoclastes au premier abord. A chacun ensuite de voir s’il y adhère. Ce livre met donc en appétit sur le sujet et creuse un peu plus le sillon original de cet auteur à suivre.

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes.