Au moment où commence la transhumance des vacances, il peut être intéressant de se pencher sur une histoire qui appartient encore à la mémoire collective des populations de cette région située entre la Lozère et l’Auvergne. Dans ces terres où l’on pratique l’estive, où les hommes vivent au contact de la nature, un prédateur a sévi pendant trois ans, entre 1764 et 1767. La bête du Gévaudan, devenue aujourd’hui un symbole touristique. A Saugues, dans la Margeride auvergnate, un musée est consacré à cette bête qui a tué pas moins de 83 personnes, des enfants pour la plupart, qui gardaient les bêtes à la lisière des forêts. Plusieurs statues, comme à Aumont Aubrac représentent cet animal ayant « la taille d’un taureau d’un an, la queue grosse comme le bras, des pattes à six doigts et dont le père serait un lion. »

On peut le voir, les descriptions fantastiques de ce monstre ne manquent pas !
Jean-Marc Moriceau , auteur d’une monumentale Histoire du méchant loup, 3000 attaques sur l’homme en France. XVe – XXe siècleÉditions Fayard. 612 pages
http://www.clionautes.org/?p=1827 , s’est évidemment penché sur la bête du Gévaudan qui a été à la fois un fait divers d’ampleur européenne, un sujet de préoccupation à la Cour de Versailles, et qui a entretenu par la suite une abondante littérature.
Au moment où la réimplantation des loups, dans les espaces d’où ils ont été éradiqués à la fin du XIXe siècle, suscite des polémiques violentes, le livre de Jean-Marc Moriceau fait le point de façon précise, sans sacrifier au fantastique et à la théorie du complot. Mieux encore, il relativise ce « fait divers », en s’appuyant sur des épisodes équivalents, avant et après cette crise du Gévaudan, qui montrent bien que ce phénomène n’était pas isolé. Toutefois, le caractère un peu particulier de cette région, difficile d’accès, cloisonnée et en même temps ouverte sur la plaine languedocienne, a pu donner un retentissement particulier à cette histoire.

L’ouvrage se lit comme un roman, émaillé d’une succession de descriptions des attaques de ce loup fantastique. Peu à peu, c’est tout un tableau de la France d’Ancien régime qui apparaît. Les rapports de ces paysans avec la nature sauvage, les relations entre les Seigneurs et leurs dépendants, l’action des pouvoirs publics, de l’Intendant du Languedoc aux pouvoirs locaux, l’action de la Cour, le rôle de l’Eglise sont ainsi minutieusement décrits.

Entre les récits fantastiques, les témoignages recueillis, les longues descriptions de deuxième et de troisième main, Jean-Louis Moriceau mène une véritable enquête. Il élimine d’emblée l’irrationnel ou le crime perpétré par un serial killer se faisant passer pour un loup, pour confronter les sources et en arriver à une explication convaincante. On ne la déflorera pas dans ce compte rendu.

Autre élément tout à fait passionnant dans cette enquête, c’est la façon dont les pouvoirs publics ont été amenés à gérer l’affaire. Des seigneurs de Normandie, chasseurs de loups réputés ont été dépêchés par la Cour pour régler le problème. Il semblerait que ce soit plutôt les « notes de frais » que les d’Enneval se soient fait régler, sans que pour autant la bête ne soit abattue.

La bête aurait sévi à deux reprises, et l’on sait que celle-ci n’était pas seule. A chaque fois, le pouvoir politique a eu à se préoccuper de la question en raison des répercussions que ce fait divers avait dans l’opinion. La bête réveillait les peurs ancestrales mais, en plein siècle des lumières et au moment où commence la contestation de l’ordre d’Ancien régime, le pouvoir Royal ne pouvait pas se défausser face à ce problème. Il fallait donc le régler, y compris en permettant à des paysans de remette en cause l’ordre féodal en portant des armes de chasse et en organisant des opérations de relations publiques avec prime de 20000 livres et rapatriement de la dépouille embaumée de la bête abattue.

On peut donc emporter ce livre sur le GR 48, et espérer croiser la bête au détour d’un bois. Mais on peut aussi plus paisiblement le lire pendant l’été et découvrir, sous la plume de Jean-Louis Moriceau, l’origine de certaines peurs qui ressurgissent parfois dans l’opinion.

Bruno Modica © Clionautes