Christian Lévêque, hydrobiologiste, après une longue carrière à l’IRD notamment au Tchad et en Côte d’Ivoire, est aujourd’hui président honoraire de l’Académie d’Agriculture. Il propose dans cet ouvrage de prendre du recul sur la question de la biodiversité et des relations homme-nature, sans nier le rôle destructeur de l’homme mais en le nuançant. Il inscrit volontairement sa réflexion sur le seul territoire de la France métropolitaine et veut envisager un compromis entre les intérêts de la nature et de l’homme. Une réflexion sur les futurs possibles d’espaces anthropisés dans une Europe où les espaces naturels sont bien rares.

Un livre qui, à n’en pas douter, agacera les « écolos » mais qui propose une réflexion utile à l’aménageur comme au citoyen.


Si le mot biodiversité est né en 1986 sa définition s’inscrit naturellement en introduction. Un mot qui porte de facto une notion pessimiste, une menace humaine sur la nature contrairement au terme plus neutre de diversité biologique que l’auteur choisit d’employer. Il rappelle le contexte de la création du mot biodiversité, les enjeux de pouvoir et les affrontements idéologiques entre ONG de protection de la nature, industriels des biotechnologies et états. L’auteur précise ses objectifs : la recherche d’un compromis raisonnable dans un processus de co-adaptation dans des systèmes écologiques dynamiques.

Evaluer la diversité biologique, un véritable casse-tête
Christian Lévêque pose la question des informations qualitatives et quantitatives à retenir pour évaluer la diversité biologique et la question de l’échelle spatiale de l’étude. Allant de la vieille idée d’inventaire du monde vivant à la complexité de la notion d’espace née des études génétiques il montre un second niveau d’analyse : la notion d’habitat, d’écosystème et la difficulté de définir des indicateurs pertinents. Quel statuts pour les micro-organismes pourtant si nombreux et souvent mal connus ? L’auteur montre la difficulté à qualifier la fonctionnalité d’un écosystème.

L’histoire sans cesse renouvelée de la diversité biologique
Ce second chapitre revient sur la construction progressive sur le très long terme des écosystèmes dans lesquels nous vivons, de l’apparition des premières formes de vie à la dernière phase post-glaciaire en passant par les grandes extinctions de masse de l’ère primaire ou du crétacé, mettant l’accent sur l’évolution des écosystèmes depuis 12 à 13 000 ans et le rôle des changements climatiques.

La diversité biologique métropolitaine est une coproduction homme-nature
De quelle nature parle-t-on ? L’auteur développe l’idée d’anthroposystème coproduit de la relation homme-nature et ce dès l’époque préhistorique : sélection d’espèces utiles ou transfert d’une région à une autre, défrichements, asséchements. Des exemples illustrent le propos. Dès lors les aménagements détruisent-ils un anthroposystème  ? Deux exemples servent le raisonnement : le lac du Der ou lac-réservoir Marne conçu pour protéger Paris des inondations, le réservoir-Marne dit « lac du Der-Chantecoq » a pour but de renforcer le débit de la Marne en étiage et d’en atténuer l’ampleur des crues. Situé sur l’un des principaux axes migratoires français pour les oiseaux, ce site est reconnu aujourd’hui pour son importance ornithologique et a été classé en Réserve Nationale de Chasse et de Faune Sauvage et la Camargue, ce vieux polder perçu comme espace naturel. Si ces deux exemples montrent des espaces riches de biodiversité, l’industrialisation de l’agriculture ou l’urbanisation ont un effet inverse.

Réflexions d’un écologue
L’auteur rappelle les évolutions du discours scientifique des écologues : mythe de la nature vierge, nature immuable, universelle face à des sociétés diverses. Les études montrent qu’il est illusoire de concevoir la nature comme un équilibre et que prévoir le futur est d’autant plus difficile que le climat change. L’auteur insiste sur le mutualisme présent dans des écosystèmes au même titre que la compétition, il réfute tout dogmatisme à partir du cas des trames vertes et bleues La trame verte et bleue est une démarche qui vise à maintenir et à reconstituer un réseau d’échanges pour que les espèces animales et végétales puissent, comme l’homme, circuler, s’alimenter, se reproduire, se reposer… et assurer ainsi leur cycle de vie.

Qu’en est-il de l’érosion de la diversité biologique en métropole ?
Christian Lévêque récuse l’expression de 6ème grande extinction de masse tout en reconnaissant la fragilité de nombreuses espèces. Il décrit la situation en France métropolitaine avec un zoom sur les milieux marins et aquatiques continentaux dont il est spécialiste. Il montre que l’érosion de la diversité biologique est souvent liée à une modification des pratiques notamment agricoles et en déduit une responsabilité de chacun : mode de consommation, choix des animaux de compagnie

Les limites floues de la naturalité
Ce chapitre est une réflexion sur l’idée de nature : wilderness des Américains, héritage patrimonial né de l’activité humaine depuis des siècles. L’auteur, après un rapide rappel des représentations de la nature au fil du temps, pose la question du sauvage en ville à partir d’exemples d’espaces aquatiques créés, de leur évolution spontanée puis encadrée par les gestionnaires (Villepinte, Valenton).
Qu’est-ce que le paysage en Europe entre nature sauvage et nature patrimoniale ?
Des lieux de dynamiques dont l’auteur met en évidence les contradictions comme dans le cas de la déprise agricole des Causses, du bocage ou de la forêt méditerranéenne.

Les relations homme-nature : un débat qui fait recette
L’auteur résume les débats nés de la Conférence de Rio (1992) autour de la protection de la nature : la place de l’homme, en fait-il ou non partie ? Un tableau des divers points de vue : vision naturaliste, vision anthropocentrique amène Christian Lévêque à conclure sur la nécessité d’une approche systémique. Il resitue les représentations sociales de la nature dans le contexte socio-culturel et historique de chaque collectivité, de la nature transcendée, de l’idéal éthique de Rousseau à la Deep écology aux relations des scientifiques entre sciences et croyances.

La diversité biologique : un patrimoine à préserver ?
Préservation, conservation, exploitation raisonnée à long terme des milieux et des ressources, l’auteur distingue la position des experts de celle des citadins qui vivent « une relation ambiguë faite d’intérêts et de craintes mais aussi au travers de leur sens et émotions. » (p.90). L’auteur s’interroge sur la possibilité et les moyens de préserver une diversité biologique patrimoniale dans un environnement socio-économique changeant comme c’est le cas d’espaces ruraux dont les pratiques agricoles évoluent : remembrement au dépens du bocage, enfrichement et fermeture des paysages de déprise agricole. Il pose la question des changements d’usage et d’attente des populations rurales, urbaines ce qui l’amène à expliquer le concept de « services écosystèmiques » que peut rendre la nature.

Peut-on piloter les trajectoires de la nature ?
Il serait illusoire de vouloir « fabriquer une nature dont nous rêvons » d’autant que les attentes sont plurielles, parfois contradictoires. Si les écologues peuvent fixer trois objectifs : recréer de l’hétérogénéité, de la variabilité et réduire la pollution chimique ils sont impuissants à prédire les évolutions en particulier à cause du changement climatique et de la complexité des écosystèmes. L’auteur évoque la tentation d’une nature jardinée et pose la question de qui décide par exemple des mesures compensatoires des grands aménagements ou de la politique face aux espèces invasives exemple de l’ibis sacré sur la côte atlantique. Il propose de redonner la parole sur ces questions aux citoyens et acteurs de terrains notamment les agriculteurs face à la fois aux technocrates et aux mouvements environnementalistes et donne comme exemple de réconciliation le cas des prairies fleuries des Alpes du Nord.

Essayons de résumer
Un essai de synthèse de la réflexion menée au fil des pages de cet ouvrage et une conclusion poétique en forme de clin d’œil.