Difficile aujourd’hui d’imaginer se passer des apports des neurosciences. Cependant, si les perspectives pédagogiques sont alléchantes, c’est aussi un thème qu’il faut aborder avec précaution comme le précise Mireille Cifali dans la préface. L’objectif de cette publication est d’allier neurosciences et psychanalyse dans un échange le plus fructueux possible. L’ouvrage est complexe et nécessite une attention soutenue.

A la croisée des neurosciences et de la psychanalyse

Mireille Cifali plaide pour une approche qui allie science et considération de l’humain. Le profil des trois auteurs témoigne de cette attention : une psychologue et professeure en adaptation scolaire à l’université d’Ottawa, une enseignante dans le secondaire, conseillère pédagogique et formatrice d’enseignants et une orthopédagogue et professeure en adaptation scolaire à l’université du Québec. L’ouvrage est structuré en six parties, elles-mêmes subdivisées en chapitres et comprend, outre un cahier central et des documents téléchargeables, les habituels bibliographie, index et table des matières. Mireille Cifali précise également que c’est un ouvrage à lire et à relire pour en faire son bénéfice. Il nécessite du temps pour être pleinement approprié. De même, chacun est laissé libre d’aller et venir dans l’ouvrage avec parfois des indications pour passer rapidement tel ou tel passage selon les connaissances et objectifs de chacun. Les auteurs mettent en avant le concept de « corps pensée ». Les auteurs le définissant ainsi : « Le corps, le corps senti et l’émotion qui résulte de sa mise en liaison avec la pensée constituent » ce « corps pensée ». Ils convoquent également le modèle neuroscientifique proposé par A.R Luria qui se développe selon trois axes : gauche-droit, haut-bas et avant-arrière. « Chaque axe contient des spécificités dont la combinaison peut seule expliquer la complexité neuronale». Ainsi, gauche-droit renvoie à la recherche de sens (axe cognitif), haut-bas est lié à l’aspect affectif, et avant-arrière représente le plan d’action ou axe métacognitif.

Un dispositif pour s’interroger

On ne peut que souscrire au projet des auteurs qui insistent sur le fait suivant : « vous saisirez que chaque élève étant une singularité apprenante c’est par tâtonnement qu’il s’agit de chercher les ouvertures possibles… ». Dès l’introduction, les auteurs rappellent quelques données de base sur le cerveau. L’essentiel c’est que « nous ne détenons pas un cerveau à la naissance… nous l’acquérons au fil de nos échanges… ». Ils cherchent à impliquer le lecteur par un jeu de questions-réponses qui est une façon de mettre en avant nos représentations avant de lire tel ou tel passage. Les deux premières parties de l’ouvrage parlent de la représentation en trois axes évoquée ci-dessus, la troisième porte sur les conditions pour qu’un apprentissage prenne place et sur la situation neuronale devant toute situation nouvelle. Les parties 4 à 6 allient en quelque sorte les précédents chapitres. En plus de cette structuration, il y a trois dispositifs complémentaires intitulés « les coins de l’expérimentation », « les coins de la réflexion », « les coins de l’intervention ». A la fin de l’introduction les auteurs prennent aussi le temps de dire en quoi chaque partie relie les neurosciences à la question de l’accompagnement. Le livre fournirt aussi des exemples pour aider à incarner tel ou tel aspect théorique qui vient d’être évoqué. Un certain nombre de pastilles sont présentes tout au long du livre pour mettre en avant des idées fortes.

Aller à la rencontre de soi

Les auteurs insistent sur l’idée qu’il faut mieux se connaitre, c’est-à-dire qu’il faut réaliser son profil apprenant avec cette idée forte cependant à savoir que rien n’est fixé définitivement. Cette partie développe tout d’abord les différents axes avec ensuite une présentation de portraits types. On est là sur le fil car, comme l’ont bien précisé les auteurs, il ne s’agit pas d’enfermer les personnes dans des profils mais de dégager des tendances en quelque sorte. A ce titre, on trouve un questionnaire de 42 items pour déterminer le profil d’une personne selon les trois axes. Pour citer un exemple, le premier axe pose l’interrogation suivante : « Quand je me trouve dans cette situation qui pose énigme, j’ai tendance à soit, demander des précisions avant de commencer le travail, ou alors à commencer le travail en me fiant à ce que je comprends en gros ». Les auteurs nous guident ensuite dans l’analyse et l’interprétation des résultats obtenus. Tous ces éléments n’ont qu’une finalité : «  le questionnaire du profil apprenant n’est certes pas une photographie, mais plutôt un arrêt sur images qui dès que nommé modifie vos manières de penser d’agir du simple fait de les rendre explicites. »

Aller à la rencontre de l’autre

Il s’agit de savoir comment être le plus efficace pour favoriser le « apprendre à apprendre ». Il faut déjouer un certain nombre d’obstacles comme la tentation de vouloir faire apprendre l’autre comme nous apprenons. Les auteurs décrivent ensuite comment le questionnaire peut être utile et utilisé. A ce titre, ils proposent des versions, plus ou moins détaillées selon l’âge des apprenants, et insistent également sur un certain nombre de modalités pratiques pour que ce soit efficace. Il faut ensuite déterminer un plan d’actions. Le chapitre 6 revient sur ces trois axes mais sans questionnaire c’est-à-dire grâce à l’observation. Parmi les modalités pratiques proposées, on trouve un jeu de plateau, un cahier des pôles ou encore des aide-mémoires. Les auteurs développent ensuite des exemples de situations.

Voyage au coeur de la conscience

Les auteurs mettent en avant « le rôle de quatre filtres chimiques qui éclairent la réaction … du cerveau à l’environnement ». Ils précisent ce qu’ils sont et comment ils influencent le cerveau. C’est l’occasion de rappeler et d’insister sur l’importance des sensations comme l’a montré l’ouvrage désormais fameux d’Antonio Damasio. Les auteurs soulignent qu’ « outre la nécessité de ressentir une impression de confort, pour qu’il y ait activation des aires préfrontales, désir d’explorer une situation nouvelle …. qui pose défi pour apprendre d’elle, deux autres conditions sont requises à savoir la vigilance et l’attention ». Le chapitre 12 revient sur les modalités pour maintenir le fil de l’attention et propose des dispositifs concrets pour le mettre en place comme évaluer la copie d’un autre ou utiliser le système du porte folio.

Le cerveau interprète, le cerveau juge

Parmi les exemples concrets proposés, on peut évoquer le problème du zèbre pour lequel les auteurs fournissent toute la démarche. Cette situation illustre la question du blocage devant une situation problème. Le lecteur est directement interpellé dans le cours de la lecture pour récapituler ce qu’il sait, ce qu’il a appris ou ce qui n’est pas encore fixé ! Les chapitres suivants s’intéressent à l’apprenti lecteur et à ce qu’il est possible de faire pour faciliter cet apprentissage. A travers ces éléments, c’est une autre façon de dire l’importance de la confiance en soi. En effet, comme le rappellent les auteurs, les « neurosciences confirment ce qu’avaient compris aux XVIII et XIXème les philosophes Spinoza et Kierkegaard ainsi que Freud père de la psychanalyse : il n’y a pas d’émotion sans corps, il « n’y a pas de pensée sans émotion ». Pour ancrer encore plus cet incontournable que constituent les émotions, les auteurs citent plusieurs cas et expériences. Ils soulignent qu’on a trop tendance à faire une césure entre les compétences affectives et les compétences cognitives et métacognitives. Ils se montrent donc très sceptique sur les tests d’intelligence.

Le cerveau acteur de sa vie

« Aucune neuroscience ne peut expliquer qui nous sommes, mais les neurosciences prises comme un tout nous semblent un incontournable pour …..nos décisions lorsqu’on a charge d’accompagner ». Les auteurs abordent dans cette partie un certain nombre de dispositifs comme la classe inversée, l’enseignement réciproque et le tout à la lumière des neurosciences. Parmi les idées fortes affirmées, celle qui veut qu’ « un savoir faire entretient des liens avec d’autres savoir faire reliés … le savoir écrire entretient des liens très directs avec le savoir dire et le savoir lire. Plus l’apprenti scripteur gagne en force dans un de ces savoirs, plus les deux autres s’améliorent ». Pour s’en convaincre et avoir un exemple précis, les auteurs explicitent le processus de « la phrase dictée du jour ».

En conclusion, Michelle Bourassa, Mylène Menot-Martin et Ruth Pilion reviennent sur quelques idées fortes comme «  restituer à ceux que nous accompagnons leur véritable place, c’est aller avec, sans pour autant prendre en charge ». C’est un livre exigeant, à découvrir à son rythme et qui nécessite des allers et retours, des temps d’intégration avant d’y revenir et de continuer à explorer. On ne peut que souscrire à la citation de Kierkegaard faite par les auteurs « Oser, c’est perdre pied momentanément. Ne pas oser c’est se perdre soi même ».

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes