Professeur à l’université de Caen, président de l’association d’histoire des sociétés rurales, Jean-Marc Moriceau fait partie de ces auteurs « fétiches » de La Cliothèque, puisque jamais il ne manque, depuis notre rencontre au rendez-vous de l’histoire de Blois, de nous faire parvenir ses ouvrages. C’est donc avec beaucoup de plaisir, et pour la quatrième fois, (Voir en post-scriptum) que je pars à la rencontre, sous sa houlette, cet instrument servait parfois aux bergers à se défendre contre les loups ! d’un animal sauvage dont le statut s’est profondément transformé au fil de l’histoire.
Ce dernier ouvrage de près de 500 pages tout de même, n’est pas seulement une version allégée du précédent, publié en août 2007 chez le même éditeur, mais une utile mise au point permettant de situer dans l’histoire un débat qui resurgit fréquemment dans l’opinion publique, à savoir les attaques de loups.
Passé du statut de prédateur à éliminer par tous les moyens à celui d’une espèce protégée, le loup suscite dans les zones de montagne où il a été en partie réintroduit, l’inquiétude des éleveurs qui le considèrent comme un ennemi et celle des défenseurs de la nature qui en font, avec l’ours, l’icône de leur combat. Quand ils ne font pas du taureau sauvage, le seul animal qui tue pour asseoir sa domination une victime.
Mon intérêt pour ces questions, Jean-Marc Moriceau ne l’ignore pas, tient au rapprochement que je suis en permanence tenté d’effectuer entre la défense du taureau sauvage de race espagnole combattu dans les arènes et celle du loup. Il suffit d’ouvrir l’ouvrage la page 248 pour y voir la photographie des oreilles d’un loup tué en 1790, servant de preuve pour l’obtention de la prime. À l’origine, les oreilles du taureau, servaient au matador de justificatif pour obtenir le paiement de son cachet qui incorporait le prix de la viande vendue à l’étal.
Point n’est besoin de faire d’autres rapprochements, mais ces réflexions sur le loup, comme révélateur, au même titre que les passions que soulève la tauromachie, du rapport de l’homme à l’animal, nous interpellent forcément.
Le loup est un carnivore, et à ce titre un ennemi commun des animaux et des hommes qui les élèvent. Sur le territoire français, sa présence et massive, mais on remarquera sur les cartes sur la densité des loups en France à la fin du XVIIIe siècle que ce ne sont pas les régions de montagne qui sont les plus touchés à l’exception peut-être du Massif central. Les zones les plus sombres, celle où les captures enregistrées sont les plus nombreuses, se situe à la pointe de la Bretagne dans les pays de Loire, en Bourgogne, mais aussi dans les Vosges et les Ardennes. Il semblerait que l’altitude entre 500 et 800 m soit la plus favorable au loup. Tout simplement par ce que les résineux, qui se développent au-dessus de 800 m sont moins favorables au développement du gibier favori des loups, à savoir les rongeurs.
Le loup réintroduit, là où il fallait pas ?
C’est d’ailleurs le paradoxe actuel, l’introduction du loup ou en tout cas sa préservation dans des zones relativement pauvres en gibier, c’est que le prédateur se tourne vers des proies que l’homme met à sa disposition, à savoir les animaux d’élevage. En réalité, le loup a disparu du territoire à partir du début du XIXe siècle, l’espèce indigène s’est éteinte entre 1880 et 1930. La pression de l’homme sur le loup s’est effectuée en trois étapes, dans les régions du Nord et du Nord-Ouest et dans le sud-ouest, pendant la période de l’empire et de la restauration, où la population de ce grand canidé a commencé à se clairsemer, alors qu’elle était quasiment homogène auparavant. Pendant près de 50 ans, entre 1826 et 1876 la population de loup connaît une relative stabilisation. Le loup reste présent sur un gros tiers du territoire et les fortes densités rurales de l’époque rendaient les possibilités de rencontre beaucoup plus fréquente.
Après 1880, avec l’augmentation du nombre de chasseurs, la plus grande efficacité des armes à feu, l’espèce est totalement éradiquée et il faut attendre l’infiltration de loups venus d’Italie ou d’Espagne à travers les Alpes et des Pyrénées pour retrouver ce prédateur dans des montagnes, où il n’était pas forcément présent de façon massive, les siècles précédents. Dans le premier chapitre « des loups partout », Jean-Marc Moriceau évoque aussi le cas des loups « urbains », un phénomène plutôt rare mais qui est relaté par les chroniqueurs de l’époque. Le journal d’un bourgeois de Paris le mentionne en 1421 et en 1438. Il pointe son museau à Vesoul en 1503, à Besançon en 1640, comme une sorte de clin d’œil à l’un de nos plus prolifiques rédacteurs de La Cliothèque, Jean-Pierre Costille bien sûr !avant de se montrer à Amiens en 1703. Il se fait plus rare au XIXe siècle, mais on le retrouve encore à Saint-Étienne, Chalon-sur-Saône et Mâcon, mais sa dernière mention se situe à Saint-Flour en 1890.
Les extensions urbaines, l’existence de zones intermédiaires entre la ville et la campagne, l’attirance aussi en cas de raréfaction des gibiers pour les restes des humains, peuvent expliquer ces tentatives d’infiltration. Paradoxalement, en ce début du XXIe siècle, l’animal sauvage peut faire sa réapparition dans les villes de France. Dans les départements du sud-ouest et du Languedoc les extensions des villages par le biais des lotissements, les zones de jardins d’agrément plus que de maraîchage, et encore une fois la présence de déchets comestibles attirent de plus en plus souvent des sangliers Il y en a un qui est passé il y a deux ans au Lycée Henri IV de Béziers, et un autre qui a traversé Cazouls les Béziers dans la zone de la grande surface, ce qui ne va pas sans poser de problèmes sérieux pour la circulation automobile.
La transformation du loup en ennemi public s’est effectuée du VI siècle avant Jésus-Christ au milieu du XVIe siècle. Isidore de Seville, qui est considéré comme le saint patron des informaticiens, a présenté le loup dans son encyclopédie comme une bête féroce, juste après le lion, le léopard et le tigre. Il semblerait que dans l’antiquité classique, si le loup était considéré comme un adversaire dangereux pour les bergers et surtout leurs troupeaux, les rencontres étaient relativement rares. Les densités rurales étaient peut-être plus faibles, mais peut-être aussi que les populations s’en accommodaient. Il est fait mention tout de même de battues organisées contre des loups qui attaquaient les troupeaux transhumants, d’attaque contre les hommes, même si ces après la chute de l’empire romain d’Occident, et sans doute encore une fois en raison de la diminution de la pression rurale, que la menace du loup se manifeste et que le « méchant loup » devient une véritable calamité.
L’ennemi public
Les peuples barbares qui avaient peut-être, comme occupants des sombres forêts de Germanie, un commerce plus fréquent avec le loup prenne des mesures particulières des avants le septième siècle. Chez les Burgondes, les Saxons, les Wisigoths, les Lombards la chasse au loup fait l’objet de mesures particulières. Par contre, vers 800, ce Charlemagne lui-même qui met au point la première organisation de louveterie en ordonnant une lutte sans merci contre ce prédateur. Le loup pénètre également dans l’imaginaire religieux, en même temps que la diffusion du christianisme, l’animal étant identifié à une créature du diable. Les saints protecteurs contre le loup,font leur apparition. En Wallonie une quarantaine de Saints, rien que ça ! Interviennent pour lutter contre le. Un rapport est très vite effectué entre le loup et le mal incurable de la rage. Saint-Hubert devient en même temps que le patron des chasseurs le saint spécialisé contre le mal qui porte son nom.
Du 13e au début du XIXe siècle le loup devient un ennemi qu’il convient d’éradiquée par tous les moyens, avec un pic entre 1570 et 1713 que Jean-Marc Moriceau qualifie de grande époque du méchant loup. Le loup attaque les hommes, les dévore éventuellement, il leur transmet une maladie mortelle et a le mauvais goût de désorganiser l’économie pastorale !
Face à ces adversaires redoutables, les sociétés humaines ont pris des mesures de prévention et de protection. Certaines sont traditionnelles comme l’utilisation du feu, d’autres plus aléatoires comme l’utilisation de sonnailles, et même du violon, « puisque cet animal est tellement ennemi de l’harmonie, que le son des instruments le fait fuir ».
Le violon, voici la solution !
Peut-être que ce sont les gammes hasardeuses des violoneux de village qui faisaient fuir le loup dont l’ouïe est particulièrement fine. Évidemment, le chien de berger, était sans doute une réponse plus adaptée à la menace du prédateur. Le chien des Abruzzes et en Espagne le berger des Pyrénées, sont les représentants de ces gardiens vigilants, très tôt utilisés par l’homme comme un moyen de défense. Ces chiens sont protégés des morsures du loup par des colliers de fer dont il est fait mention dès le XIVe siècle. Toutefois, face au loup, il semblerait que l’efficacité de ces molosses soit très relative, d’autant que le coût de leur entretien n’était pas anodin. La protection absolue, consistant à enfermer le bétail la nuit apparaissait aux yeux des éleveurs comme une contrainte qui avait de surcroît l’énorme inconvénient de nuire à la qualité de la laine des moutons. Colbert explique la qualité des laines anglaises qui est en partie fonction de l’alimentation des animaux laissés en plein air jour et nuit. Les Anglais ont éradiqué le loup beaucoup plus précocement qu’en France, semble-t-il.
En dernier recours, rien ne vaut la religion pour se protéger du prédateur. Jean-Marc Moriceau évoque un véritable « folklore de la peur » avec une association surprenante entre le Pater Noster et le méchant loup, venu de «l’enfer» sans doute pour les besoins de la rime. On pourra découvrir avec bonheur différentes formules de conjurations dont certaines visent plutôt à déplacer le problème que le régler. Celle-ci : « pater du loup, ventre vidé, ventre saoul, sauf chez moi va-t’en partout, étrangle brebis moutons, sauf chez moi, va-t’en partout pour mal faire sauf dans ma maison. » On appréciera cette élégante façon d’inviter l’animal à aller chez son voisin.
Avec le développement de l’administration, une organisation de la lutte contre le prédateur se développe. Un système de primes est mis en place mais très vite il se heurte aux problèmes juridiques, techniques et sociales du port des armes par des roturiers. En fait, pour des raisons d’efficacité une certaine tolérance semble avoir été de mise. À partir de 1790 l’octroi du droit de chasse pour tout propriétaire et l’établissement du permis de port d’armes à feu en 1810 permet la généralisation de la chasse au loup, de façon plus « démocratique.
Encore une fois, c’est toujours avec beaucoup de plaisir que nous accompagnons Jean-Marc Moriceau à travers les bois et les forêts, dans les taillis et les futaies, à la chasse au loup.
Le loup est un prédateur qui tue essentiellement pour se nourrir, mais parfois aussi lorsqu’il a peur. Face à lui, la cohabitation n’est pas simple, et il convient d’arbitrer entre la nécessité pour les hommes de protéger leurs troupeaux et celle du maintien de la biodiversité. Après avoir été longtemps considéré comme un ennemi absolu, le loup pour les « naturalistes », devient porteur de toutes les vertus, un bon sauvage en quelque sorte.
À leurs yeux, l’homme qui occupe le territoire avec les troupeaux devient un intrus quand il n’est pas un escroc qui attribue de façon systématique au loup ou à l’ours les pertes de son troupeau, grassement indemnisées d’ailleurs.
Encore une fois, je ne peux que m’élever contre les travers de tous ordres et notamment ceux qui visent prêter aux animaux des qualités que l’on serait tenté de dénier aux êtres humains.
© Bruno Modica