Claude MEYER
La Chine, banquier du monde.
Fayard, janvier 2014, 20€.

Claude Meyer est de retour ! On se souvient de son remarquable ouvrage de 2010 : Chine ou Japon, quel leader pour l’Asie ? Docteur en économie, enseignant à Sciences Po et chercheur associé au CERI (tout le monde connait le CERISCOPE !), l’auteur publie, en cette année 2014, La Chine, banquier du monde, dans lequel il passe à l’étape suivante de la montée en puissance chinoise.

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Le sujet est en effet majeur, et pas toujours bien traité dans nos quotidiens d’information générale (c’est un understatement !). Les professeurs d’histoire-géographie, dont la Chine constitue un aspect essentiel des programmes de collège comme de lycée, auront à cœur la lecture de cet ouvrage qui répond aux questions que nous nous posons tous, par exemple : « Mais qu’est-ce que ces Chinois peuvent bien faire des excédents commerciaux gigantesques qu’ils dégagent chaque année sur notre dos ? »

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Dans une première partie, Claude Meyer analyse l’impératif que constitue l’expansion financière pour Pékin. Investir à l’étranger est une nécessité stratégique clairement perçue par l’Etat-Parti. Les entreprises chinoises sont en effet encore peu internationalisées, et l’économie chinoise est de ce fait vulnérable. Dans la gestion des flux de capitaux, l’Etat-Parti est à la fois stratège, régulateur et acteur : une sorte de colbertisme à la chinoise dont on ne voit plus bien ce qu’il peut encore avoir de socialiste… L’auteur dresse un portrait fort intéressant et original de quelques grands banquiers chinois, dont le parcours montre la permanence de l’autorité du Parti ! L’économie chinoise reste, pour une part, pilotée d’en haut ! Une économie toujours en quête de ressources pour alimenter la croissance, cette croissance qui est l’une des branches du pacte social à la chinoise : l’enrichissement contre la stabilité.

Aussi la Chine déploie-t-elle une stratégie planétaire ciblée (2e partie) sur la compensation de ses points faibles et l’exploitation de ses points forts : recherche des ressources naturelles à l’échelle mondiale, dont l’auteur rend un compte particulièrement détaillé, avec des exemples dont la profusion révèle la dimension planétaire ; rattrapage technologique et internationalisation des entreprises chinoises (avec, là encore, un beau tableau de chasse) ; emploi de ses réserves financières colossales, qui alimentent la dette américaine pour l’essentiel, avec des diversifications plus récentes vers l’Europe, mais aussi vers les pays du Sud, pour lesquels la Chine est devenue une sorte de Banque mondiale bis.

D’où provient cette phénoménale expansion financière ? Qu’est-ce qui l’explique ? Tel est l’objet de la 3e partie. A partir d’un exemple concret particulièrement frappant par son universalité, et des données stupéfiantes (mais réelles), Claude Meyer montre que l’essentiel vient d’une épargne colossale : l’épargne brute de l’ensemble des acteurs économique frôle les 51% du PIB !!! Les ménages épargnent 27% de leurs revenus, des revenus qui, depuis 2000 et malgré les augmentations récentes, n’ont été multipliés que par 3 (!), quand le PIB l’a été par 4, les bénéfices des entreprises par 5, les recettes fiscales par 6 ! Pays riche, peuple pauvre ? Certes, la formule est réductrice. Mais il est vrai que ce sont les entreprises et l’Etat central (et non les pouvoirs locaux) qui ont profité de l’essentiel de la croissance. L’envolée des excédents extérieurs constitue la deuxième explication de l’expansion financière, même si la valeur ajoutée chinoise proprement dite est bien moindre que celle qu’indique le made in China des produits manufacturés.

Cependant, dans une 4e partie, la puissance financière chinoise mondialisée est encore handicapée par les éléments mêmes qui en font la force. Le système financier reste sous contrôle de l’Etat-Parti et la monnaie chinoise, le yuan, peine à prendre une dimension mondiale tant qu’elle demeure une monnaie non librement convertible et flottante au gré de l’offre et de la demande. Il faudra encore du temps et le dollar peut être tranquille pour quelques décennies encore, enfin disons une ou deux. Mais l’exemple japonais offre une référence dont les gouvernants chinois dont leur profit.

En conclusion, Claude Meyer s’interroge sur la tentation hégémonique de la Chine. Une question bienvenue, car si, jusqu’à présent, la Chine fait plutôt figure de « passager clandestin » de l’économie mondiale, faisant croître sa puissance sans en assumer les responsabilités, elle est devenue le 2e créancier mondial (derrière le Japon, justement !). D’ici 2050, l’économie chinoise pourrait représenter 4 fois celle des Etats-Unis ! La Chine créerait alors plus du tiers du PIB mondial ! Comme le dit l’auteur, « saura-t-elle résister à la tentation hégémonique de toute superpuissance ? »

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Comme dans son précédent opus – dont je me permets de vous recommander chaudement la lecture : il n’a rien perdu de son acuité – Claude Meyer fait preuve d’une virtuosité intellectuelle qu’il faut saluer ! J’encourage d’ailleurs les collègues à lire ces chapitres, et à les donner en exemple à nos élèves : le raisonnement est clair, remarquablement enchaîné, les problématiques toujours affûtées, les transitions d’une fluidité cinématographique ! On se prend à rêver, parfois, de lire des copies de bac, voire de brevet, où le propos serait, comme ici, dénué de la moindre lourdeur. Sur le plan de la méthode intellectuelle, Claude Meyer ne craint personne.

Le livre est d’ailleurs remarquablement documenté. Le propos fourmille de chiffres et de données variés, qui étayent le raisonnement d’une manière implacable. L’analyse économique s’appuie sur l’Histoire et se prolonge en prospective. L’analyse des bases de données succède aux portraits de dirigeants. Pourvu de trois indices (index des noms de personnes, de lieux et thématique), d’une bibliographie sélective de quatre pages, d’annexes et de quinze pages de notes et de références, l’ouvrage répond à toutes les critiques de fond. Les sources sont indiquées, permettant à chacun de s’y reporter, de vérifier le propos de l’auteur, d’aller chercher des indications complémentaires ou des données pour un cours ou un dossier…

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Peut-on faire l’esprit chagrin ? Cherchons bien.

D’abord, quelle idée a eu l’éditeur de renvoyer les notes en fin de volume ? Nous ne sommes pas dans la Pléiade ! Les notes étant, par ailleurs, (hélas) d’un grand intérêt, on passe une partie de son temps à jongler entre les pages, ce qui rend la lecture moins aisée. Votre serviteur a fini par lire les notes in extenso, chapitre par chapitre, afin d’éviter cette navigation incessante.

Ensuite, quelqu’un pourra-t-il m’expliquer pourquoi Diable ! un tel ouvrage, dont l’auteur est chercheur au CERI et proche de nos amis de l’atelier de cartographie de Sciences Po, mais pourquoi Diable ! est-il totalement dépourvu de cartes ? Et ne venez pas me dire que les données manquent pour en faire ! Même en noir et blanc, il eût été possible d’illustrer ce livre. Quel dommage !

Un bémol pour terminer. Au fond, ce n’est rien de moins que de l’avenir du monde dont il s’agit ici. La conclusion de Claude Meyer ne laisse aucun doute sur l’expansion polymorphe de la puissance chinoise. Pourtant, tout lecteur familier de Suntzu (et des petites phrases des apparatchiks chinois) sent, derrière ces déclarations d’intention pacifiques que ne manquent de répéter ces lénifiants potentats, un projet hégémonique dont Claude Meyer minimise peut-être trop la réalité. Mais peut-être est-ce là aussi, de la part de votre serviteur, faire preuve d’une paranoïa excessive ? L’avenir le dira.

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Tant pour ses qualités méthodologiques que pour son contenu, courez lire le nouveau livre de Claude Meyer ! J’ai eu la chance d’en prendre connaissance avant un débat avec mes élèves sur la Chine et la mondialisation. Les pauvres en sont ressortis passionnés et, au final, fort troublés. Comme quoi ce livre suscite l’appétit intellectuel à tout âge !

http://www.franceculture.fr/oeuvre-la-chine-banquier-du-monde-de-claude-meyer