Philippe Veyrunes a enseigné les sciences de l’éducation à Toulouse de 2005 à 2015 après avoir été notamment instituteur, conseiller pédagogique et formateur. C’est donc le fruit de nombreuses années d’expériences et de recherche qu’il propose dans ce livre. Centré principalement sur le niveau primaire, il envisage également le secondaire.

Il s’intéresse aux façons de faire cours en réfléchissant, par exemple, à ce qu’est un cours magistral ou un cours dialogué. L’ouvrage est structuré en trois temps avec une approche d’abord historique pour savoir comment ces formats sont apparus et se sont imposés, puis une partie plus contemporaine et enfin une qui se veut plus prospective. L’ouvrage comporte une importante bibliographie pour développer tel ou tel aspect selon ses centres d’intérêt.

La mise en place des formats pédagogiques

Philippe Veyrunes prend le soin et le temps de définir d’abord un certain nombre de mots clés ou d’expressions comme format pédagogique. On entendra par là des « dispositifs du travail scolaire, caractéristiques de la culture scolaire, organisés par des composantes culturelles, construits au cours de l’histoire de l’école, en fonction des contraintes et des possibles liés à la forme scolaire, aux prescriptions, au travail d’enseignant, au métier d’élève et aux pratiques sociales en contexte scolaire ». Si la définition peut sembler longue, elle permet néanmoins d’attirer notre attention sur ce que c’est de faire cours et donc de ne pas oublier de réfléchir aux composantes de cette modalité. Le cours dialogué et le travail individuel écrit des élèves occuperaient, selon certains chercheurs, jusqu’à 75 % du temps scolaire. Is sont donc très anciens et font preuve d’une relative immuabilité alors que le monde change. L’auteur revient dans cet historique sur ce qu’on a appelé le mode simultané et le mode collectif avec la victoire du premier. Il parle également de la lecture orale et collective au tableau et du travail par groupes. A chaque fois, il en retrace la genèse et montre au final que les chercheurs ont davantage étudié le cours magistral que le cours dialogué. Les transformations de la classe existent mais elles sont lentes et elles ne s’expliquent pas seulement par des préconisations mais aussi en fonction du contexte politique, religieux et culturel.

L’activité en classe aujourd’hui

Cette deuxième partie est structurée en trois chapitres. Il s’agit d’abord d’exposer le cadre d’analyse puis, à partir d’études de cas, d’étudier la manière dont les formats pédagogiques se traduisent aujourd’hui dans les classes et enfin il propose une analyse de ceux-ci sous deux angles, à savoir leur viabilité et leur stabilité.
Philippe Veyrunes s’intéresse à la notion d’activité sous l’angle des acteurs que sont les élèves, les étudiants et les enseignants. Il présente ensuite les résultats d’une recherche menée dans une classe de CM2. C’est une description très fournie et très éclairante sur la façon de faire classe. L’auteur souligne par exemple quelles sont les préoccupations de l’enseignante dans le cours dialogué et il indique en contrepoint celles des élèves. Il retranscrit des exemples de dialogues et insiste sur la question des feed backs et des relances y compris au moyen de graphiques qui décortiquent l’enchainement des phases lors d’un cours dialogué. Toujours dans ce souci de s’ancrer dans la réalité, on peut signaler un schéma qui matérialise les déplacements et interactions lors d’une séance en classe avec le temps passé auprès de chaque groupe d’élèves. A chaque point qu’il aborde, l’auteur propose une revue de littérature pour préciser l’état de la recherche.

Et demain ? Comment transformer la classe ?

Dans cette dernière partie, Philippe Veyrunes envisage la question des réformes pédagogiques, de l’innovation, des nouvelles technologies mais aussi de l’architecture scolaire, tous ces éléments étant identifiés comme des potentiels de changement. Il montre d’abord les difficultés. Là encore, l’auteur choisit utilement de se donner un peu de profondeur historique pour considérer cette question de la transformation de l’école. Il reprend à son compte une des formules chocs d’Antoine Prost : «  à la limite on peut tout changer dans l’Education nationale, sauf la façon d’enseigner ». Il poursuit son propos en tentant un bilan du dispositif « plus de maitres que de classes ». Il pose également une question comme « pourquoi les réformes échouent-elles généralement ? » et propose comme piste que l’environnement scolaire et les caractéristiques du travail des enseignants sont plus favorables à l’innovation qu’à la réforme. Ensuite, Philippe Veyrunes développe plusieurs exemples de transformation possibles comme les nouvelles technologies ou les classes inversées. Il s’arrête également sur le cas des tableaux blancs interactifs avec des exemples qui montrent que le « i « est souvent oublié au profit simplement d’une simple vidéoprojection de meilleure qualité. Il poursuit son tour d’horizon avec l’architecture scolaire car, dit-il, « se pose la question de savoir si l’architecture doit précéder, suivre ou accompagner les évolutions des pratiques éducatives ». Il montre comment certains espaces non prévus comme tels sont investis dans les établissements par les usagers. Il termine par la question de la formation des enseignants et parle notamment de Néopass@ction, qui est une plate-forme avec des enregistrements de séances. L’auteur montre que la question des formats pédagogiques est un peu un angle mort de la formation et plaide donc pour qu’on enseigne aux futurs enseignants ce qu’est le cours dialogué.

En conclusion, Philippe Veyrunes réinsiste sur quelques éléments forts et souligne que le conservatisme n’est pas forcément la caractéristique majeure du monde enseignant. Il se montre aussi très prudent sur l’équation qui voudrait qu’innover c’est améliorer les choses. Il est donc nécessaire d’avoir une vue élargie dans le temps et dans le cadre de la société et de réfléchir aussi autour de l’idée de « culture de métier ». Il conclut en reprenant les travaux de Germain Poizat qui s’intéresse aux transformations induites par la révolution numérique autour de cinq scénarios. Le grand mérite de l’ouvrage de Philippe Veyrunes est donc de mettre en lumière certains aspects qui pourraient sembler avoir la force de l’évidence, comme le cours magistral, et de montrer que c’est un objet en tant que tel à analyser pour améliorer l’école.

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes