CR de Catherine DIDIER – FEVRE, professeure au lycée Catherine et Raymond Janot à Sens et au collège du Gâtinais en Bourgogne à Saint Valérien.

Depuis 5 ans, les Editions Le Cavalier Bleu proposent une collection organisée autour de la thématique des idées reçues. Voir le compte-rendu du volume sur La Géographie Contemporaine : http://www.clionautes.org/?p=1344. Le format de la collection (nombre de pages, taille) a toutefois trouvé ses limites et l’éditeur a choisi de proposer, dans un même ordre d’idées, des volumes plus importants. La Clé des villes inaugure, en géographie, cette nouvelle formule. Cet opus propose de déconstruire les idées reçues ayant attrait à la ville. Celles-ci sont d’autant plus nombreuses que, après avoir fasciné, la ville d’aujourd’hui serait le théâtre de tous les maux.

Les deux auteurs se sont donc attelés à rassembler les idées reçues qui circulent à l’échelle de la planète : celles-ci sont nombreuses dans la littérature (cf. Verhaeren, Baudelaire, Le Clézio), mais aussi en sociologie, en géographie et dans les guides touristiques. Ils s’attachent ensuite à déconstruire les clichés afin de faire la part des choses et de proposer une grille de lecture du phénomène urbain.

Marc Dumont est maître de Conférences en aménagement urbain à l’Université de Rennes-2, chargé d’enseignement à l’Institut d’Etudes Politiques (Sciences-Po) de Paris. Ses travaux portent sur les questions d’urbanisme à petite échelle (espace public, plans lumières) et de développement territorial (suburbanisation, gouvernance urbaine). Christina d’Alessandro-Scarpari est géographe à l’université Lumière Lyon 2.

Leur ouvrage s’organise en quatre parties.

La Ville

Si on retient l’exemple de l’image de la ville, force est de constater que toutes les villes ne se ressemblent pas. La forme urbaine traduit d’une manière ou d’une autre l’organisation spécifique d’une société, son système productif, ses modes de vie et leurs évolutions. Les villes du Tiers Monde sont le fruit de centres urbains préexistants à la colonisation et des opérations d’urbanisme des colonisateurs. Toutefois, le modèle européen fascine. Ainsi, au Burkina Faso, les dirigeants (Sankara puis Compaoré) depuis 1983 affichent la volonté de faire de Ouagadougou une ville moderne. Les quartiers centraux ont été rasés pour laisser place à Ouaga 2000 dans les années 1990 un mix de CBD et quartier résidentiel.
Les auteurs s’attachent à réfuter la vision misérabiliste proposée par Mike Davis (Le pire des mondes possibles : http://www.clionautes.org/?p=1141) sur la ville du Sud et à chercher les raisons de cette situation en invoquant le poids de la colonisation, les PAS, la mauvaise gestion de la chose publique, la corruption. Ils apportent une vision nuancée au phénomène en insistant sur l’importance du secteur informel. Les villes du Tiers Monde reflètent une accentuation des clivages riches / pauvres. Les auteurs insistent sur les initiatives positives. Exemple : A Ivory Park, township d’Afrique du Sud, création d’une coopérative pour aider à la construction d’habitations pour lutter contre les crues du fleuve.

De même, face à l’accroissement des mobilités, la dissociation ville / campagne n’a plus lieu d’être dans les pays développés. Le brouillage de la frontière entre les deux espaces date du XX° siècle, sous l’effet de la métropolisation et de l’explosion urbaine.

Les espaces urbains

Cette partie est l’objet d’une réflexion intéressante. Les auteurs font le constat que l’urbanisme n’est pas une science exacte. Les lieux ont leur propre alchimie. La centralité ne se programme pas, même si elle peut être orientée par l’offre de services proposée. Ils reviennent sur l’idée reçue qui prévaut concernant l’absence de nature en ville, en rappelant la place importante tenue par les espaces verts. La ville de Nantes offre ainsi un espace Natura 2000 avec la Petite Amazonie.

La vie et les sociétés urbaines.

La question des légendaires embouteillages urbains est analysée. Conséquence de la croissance de la mobilité des personnes et des marchandises, l’automobile ne résume pas à elle seule les déplacements urbains. C’est souvent des réseaux insuffisants pour absorber le trafic qui sont responsables des encombrements.
De même, l’idée qui consiste à penser que les logements dans les quartiers centraux sont coûteux est fausse dans bien des cas, y compris en Europe. Le clivage riche / pauvre ne se limite pas à celui Centre / banlieue. Les choses sont plus compliquées : inclusion des espaces les uns dans les autres.

Le monde urbain et son avenir.

Dans ce domaine, les idées reçues font florès. Elles sont d’autant plus difficiles à analyser qu’il s’agit de prospective ou de subjectivité. Ainsi, l’idée qui consiste à penser que les villes ne cesseront de grandir a pu s’appuyer sur la croissance exponentielle de la ville de Mexico. Toutefois, Mexico ne compte aujourd’hui que 15 millions d’habitants au lieu des 51 millions pronostiqués. L’étalement urbain, les retours en brousse (en Afrique) sont des phénomènes qui n’avaient pas été prévus. De même, l’idée qui circule concernant une dégradation de la sécurité en ville est invérifiable. Il s’agit d’un domaine subjectif : la peur et le sentiment d’être en danger.

Voilà rapidement tracé quelques idées stimulantes qui peuplent ce livre. La déconstruction d’idées reçues est une approche intéressante. L’ouvrage est d’une lecture aisée. L’analyse d’une vingtaine d’idées reçues est accompagnée d’un glossaire et d’une bibliographie commentée qui englobe des références littéraires, poétiques et architecturales. Une filmographie accompagne le tout. Il faut dire que tout au long de l’ouvrage les références cinématographiques sont nombreuses et variées : Play Time, Land of the dead, Métropolis, Soleil vert, Edward aux mains d’argent pour n’en citer que quelques unes. Les auteurs renvoient, à cette occasion, à l’ouvrage La ville au cinéma de Julie Barillet, Françoise Heitz, Patrick Louguet et Patrick Vienne. Arras, Presses de l’Université d’Artois, 2005.
La lecture de cet ouvrage est stimulante et trouvera toute sa place dans la préparation d’un cours sur le fait urbain en sixième (Les paysages urbains) ou en seconde (Dynamiques urbaines et environnement urbain). On peut même envisager de commencer le cours par une évaluation diagnostique proposant aux élèves les idées reçues examinées dans le livre. En partant des clichés des élèves, on pourra être mieux à même de construire le cours.

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