L’histoire commence, pour ainsi dire, en 1742, quand deux navires de la flotte d’Inde en Inde basée à l’île de France, actuelle Maurice, sont envoyés par le gouverneur Mahé de La Bourdonnais à la recherche d’informations sur les îlots situés au Nord-Est de Madagascar. Ils abordent l’actuelle île de Mahé, sans doute à l’anse Boileau. L’archipel n’est pas totalement inconnu : il a sans doute été déjà fréquenté par des marins arabes, chinois, portugais, et, bien plus récemment (1609), anglais ; l’actuelle île d’Aldabra figure même sur des cartes de diverses origines. La description que donnent de l’endroit nos marins français est celle d’une île « déserte », à « la végétation très riche », aux « forêts pleines de bois utiles à la marine » (p. 17) mais infestée de crocodiles. Nul ne songeant alors à y fonder un établissement, on retourne, sans trop savoir où on va, à son port d’attache, Port-Louis de l’île de France. Lors d’une seconde expédition (1743), Picault baptise l’île d’Abondance puis tout l’archipel du nom du gouverneur Mahé. Une question mérite d’être posée : « Vaut-il bien la peine de s’intéresser à ces îles du bout du monde, qui ne sont pas sur la route habituelle des vaisseaux et frégates de la Compagnie française des Indes Orientales reliant l’Inde au port de Lorient ? » p. 27) A l’époque, le relevé des îles et leur positionnement sur des cartes n’a pas pour objectif de s’y installer mais bien plutôt « de les éviter » pour ne pas s’y perdre, ou, à la limite, « d’y mouiller, pour se refaire des forces. » (p. 29) Dans l’immédiat, ces « écueils » placés « sur une mer imprévisible » p. 30) doivent être évités autant que possible.
Au tout début de la guerre de Sept Ans (1756-1763), le gouverneur Magon de La Villebague y envoie une expédition afin d’en prendre possession officiellement au nom du roi et de la Compagnie française des Indes orientales ainsi que d’évaluer les ressources en bois de marine qui se raréfient à l’île de France. La prise de possession officielle de la plus grande île, Mahé, a lieu le 1er novembre 1756. Si cette île est rebaptisée pour devenir l’île Seychelle ou Séchelles, du nom du contrôleur général des finances Moreau de Séchellesauquel Magon voulait rendre hommage, l’archipel reste nommé Mahé. C’est au cours du dernier quart du siècle que l’appellation des îles se fixe, l’archipel étant dénommé « les Seychelles » et l’île principale « Mahé ». Même si l’on n’estime toujours pas nécessaire de fixer un établissement, on trouve en revanche un éventuel intérêt à y exploiter le bois, d’autant plus quand le comptoir de Pondichéry est détruit par les Anglais et qu’il en requiert beaucoup pour sa reconstruction. Le temps de la Compagnie française des Indes orientales dans les Mascareignes prend fin : ces dernières passent alors sous administration royale. On compte bien faire de l’île de France le carrefour des voies maritimes françaises dans l’océan Indien. Pourquoi donc ne pas faire des îles Mahé l’une des escales ? Marion-Dufresne cousin de Magon, se positionne pour une nouvelle expédition qui permettrait, selon lui, d’exploiter les bois de construction et de marine tout en se lançant dans la traite négrière, toutes activités dont Marion-Dufresne pense qu’elles pourraient lui rapporter de substantiels bénéfices… Les navires la Digue et la Curieuse , qui donneraient leur nom à deux des îles de l’archipel, transportent l’expédition à la fin de l’année 1768. Une quarantaine de Noirs est mobilisée pour abattre des quantités importantes de bois. Quand l’expédition retourne, chargée de ces dernières, à l’île de France au début de 1769, elle laisse « sur l’archipel cinq noirs marrons, qu’on doit compter pour les premiers habitants des Seychelles. » (p. 50) L’expédition a notamment permis de faire des relevés cartographiques plus précis et de rapporter à l’île de France de nombreux plants de cocotiers. Quant à Marion-Dufresne, il s’est enrichi. C’est alors qu’on rencontre l’intendant Pierre Poivre, favorable à une nouvelle expédition qui permettrait d’améliorer la route entre Port-Louis et Pondichéry : c’est le sens de la mission Grenier en 1769 qui ne met alors qu’un mois pour aller de Port-Louis jusqu’en Inde. « Avec le temps et l’expérience, la route Grenier sera progressivement reconnue comme la meilleure » (p. 67). Dès lors, comme le souligne G. Buttoud, le rôle d’escale des îles Mahé « sur la route commerciale de l’Inde va s’affirmer, et du même coup créer un marché local potentiel de nature à pousser des colons à s’y installer pour ravitailler les bateaux de passage. » (p. 68).
A partir de 1770 se forme, sur l’île Sainte-Anne, un « établissement » à l’initiative d’un affairiste de l’île de France, Brayer du Barré. Ce dernier convainc les autorités de sa capacité à fournir l’île de France en bois, tortues, cabris et volailles pour nourrir les soldats qui y affluent alors. Il pense aussi pouvoir ravitailler les négriers de passage aux Seychelles et à se faire une place dans ce commerce si particulier. Si les premiers résultats semblent concluants, en particulier l’activité de récolte des tortues qui rapporte le plus mais suscite de nombreux conflits, l’administration n’entend pas confier le destin de l’archipel au seul Brayer qui voudrait étendre ses activités à d’autres îles. Poivre souhaite, quant à lui, fonder un second établissement à l’île Séchelle, sous la direction du capitaine de milice Gillotà qui il demande d’identifier un emplacement (Anse Royale) pour créer un jardin des épices qui ferait de l’archipel les futures Moluques françaises… Brayer, marginalisé puis condamné, est bientôt banni de l’île de France. Comme les premiers colons ne sont pas parvenus à établir une agriculture auto-suffisante et vivent dans la misère, l’Etat décide de s’investir davantage. Mais c’est finalement plus une promesse qu’une réalité. Quand La Pérouse, en mission, affirme formellement l’autorité du roi de France sur l’ensemble de l’archipel en 1773, il ne reste sur l’île principale « qu’une petite communauté de 38 personnes, composée à parts à peu près égales de colons blancs et d’esclaves noirs. » (p. 102). Ces premiers colons, qui sont-ils ? Disons, pour reprendre la prose de l’auteur, « de pauvres hères, […] refoulés ici par leurs voisins des îles de France et de Bourbon […] qui eux-mêmes, pour la plupart d’entre eux […], se mouchaient déjà du coude. » (p. 9).
A partir de 1787, la colonisation des Seychelles connaît un nouvel essor : un projet envisage de créer « de petites et moyennes exploitations agricoles intensives de type familial, reposant sur le travail d’un nombre minimal mais faible d’esclaves » (p. 120) de manière à nourrir la troupe qu’on implanterait pour la défense de l’archipel et, surtout, à « éviter l’accaparement du sol par de grands propriétaires qui prendraient le pouvoir effectif sur l’île en lieu et place de l’Etat. » (p. 121). L’officier du génie Malavois se voit, dans cette optique, confier le commandement des Seychelles en 1788. Outre la création des concessions agricoles, Malavois entend « promouvoir une véritable stratégie de développement et de conservation des ressources » (p. 125), en essayant par exemple de limiter l’exploitation du bois à quelques essences jugées rentables comme la production de courbes de takamaka pour la marine et de préserver les tortues de l’extinction par la création d’aires d’élevage. Mais Malavois manque singulièrement de moyens pour mener à bien tous ces projets. L’administration royale sise à l’île de France ne s’implique guère en faveur des Seychelles. Il n’en demeure pas moins que le port de Mahé est devenu une escale de rafraîchissement des bateaux négriers sillonnant la route qui mène de la côte orientale de l’Afrique à l’Inde et que de nouveaux colons viennent s’installer aux Seychelles.
À la suite des événements révolutionnaires en métropole, les citoyens de la colonie choisissent de s’administrer eux-mêmes. Mais si la revendication d’une plus grande autonomie de l’archipel ne cesse de s’affirmer au fil du temps, les Seychellois ne parviennent toutefois pas à échapper à la tutelle du gouvernement général des îles de France et de Bourbon. Les deux dernières décennies des Seychelles françaises (1793-1811) sont dominées par la figure consensuelle du commandant Quéau de Quinssy. Cet ancien officier du régiment de Pondichéry, passé par l’île de France et devenu grand propriétaire à Mahé, où il produit et vend du coton, va s’attacher à défendre une certaine identité seychelloise, soucieuse de se démarquer principalement de l’île de France dont l’archipel dépend administrativement, à maintenir les intérêts des esclavagistes un temps confrontés aux velléités abolitionnistes venues de la métropole et à veiller à la neutralité des Seychelles dans les conflits qui opposent Français et Anglais au cours de la Révolution et de l’Empire.
En ces années, les Seychelles servent souvent de lieu de déportation de condamnés politiques, par exemple ceux qui ont été reconnus coupables d’implication dans l’attentat de la rue Saint-Nicaise contre Bonaparte en 1800. Mais la plupart des Seychellois rejettent ces proscrits. Par ailleurs, les Seychelles sont devenues « une sorte d’entrepôt où sont débarqués les noirs en attente d’être vendus sur place [pour travailler sur les plantations de coton en plein essor dans les années 1800] ou redirigés vers l’Île de France ou la Réunion. » (p. 172). Dans ce contexte de développement économique, l’arrivée de nouveaux colons, des « petits blancs » en provenance surtout de la Réunion, inquiète les « grands blancs » déjà sur place car il ne reste apparemment plus de terrains à concéder…
Les Anglais, qui cherchent à sécuriser les routes maritimes qui conduisent en Inde, luttent surtout contre les corsaires, dont plusieurs ont pris l’habitude de relâcher aux Seychelles. Lorsque les Anglais font leur première entrée dans le port de Mahé en 1794, à la poursuite du brick d’Hodoul, devenu le plus riche habitant de Mahé, ils exigent que les Seychelles se soumettent. Quéau de Quinssy rédige alors des capitulations assez souples, les Anglais se contentant d’exiger la neutralité des Seychelles (l’archipel ne doit plus servir de refuge aux corsaires ennemis de la Grande-Bretagne et les mouvements des navires britanniques ne doivent pas être communiqués aux autorités de l’île de France). Régulièrement, à partir de 1801, les Anglais s’y montrent : les habitants, à chaque fois, se soumettent, au grand dam du gouverneur Decaen, bien conscient toutefois que les Seychellois ne sont pas en état d’opposer une résistance farouche aux Anglais… A la suite de la prise de l’île de France en décembre 1810, les Seychelles finissent par tomber pour de bon dans l’escarcelle britannique. Quand en avril 1811, la capitaine Beaver ait hisser le drapeau britannique à Mahé et remplace Quéau de Quinssy (qui a d’ailleurs anglicisé son nom en Quincy) par un « agent civil et commandant du gouvernement britannique aux Seychelles », il est devenu clair que les Seychelles ont changé de tutelle. Le transfert de souveraineté ne change toutefois rien au statut des Seychelles puisqu’elles sont rattachées à Maurice… D’ailleurs, le Congrès de Vienne ne considérait-il pas Rodrigues et les Seychelles comme des « dépendances » de l’île de France ? Quand les Anglais prennent officiellement possession des Seychelles en 1817, ils imposent du même coup au commerce de ces dernières de passer par Maurice.
L’ouvrage de G. Buttoud, s’il privilégie une trame événementielle, constitue sans nul doute une bonne synthèse sur la période française des Seychelles. Il s’appuie sur quelques sources et éléments bibliographiques incontournables. Le récit est complété par quelques tableaux, une bonne chronologie et un petit dictionnaire des personnalités qui ont marqué cette histoire. On pourra, tout au plus, regretter l’absence de cartes.
Manque la reference à Jean Charles de launay de la Perriere
Bon livre, mais vous en saurez presque autant en lisant l’étude en ligne sur pierre-poivre.fr « Découverte et colonisation des Seychelles », étude qui a servi à M. Buttoud comme base de travail.