Yannick Ripa, professeure d’histoire contemporaine à l’Université de Paris 8 et auteure récemment d’ « Une histoire féminine de la France », propose dans cet ouvrage de s’intéresser au destin de vingt femmes, illustres en leur temps, mais dont certaines sont ensuite tombées dans l’oubli. L’ouvrage est structuré en trois parties et chaque portrait de femme est introduit par une image, un sous-titre et se termine par quelques indications bibliographiques.
Ecrire l’histoire des femmes
En prologue, l’auteure dresse le portrait de Marguerite Durand (1864-1936). « Femme indépendante, journaliste accomplie, divorcée puis mère sans être mariée » elle n’est pas vraiment représentative des femmes de son époque. Cependant elle a accumulé durant toute sa vie de nombreuses archives qui ont servi ensuite à commencer à rendre visible l’historie des femmes. Yannick Ripa écrit de façon à nous faire sentir ce qu’elle éprouve quand elle étudie chacune des femmes qu’elle passe en revue.
Les « grandes femmes »
Yannick Ripa rappelle qu’au XXème siècle, quand on parle des femmes, c’est pour mettre en valeur une actrice, une reine oubliée ou une star plutôt qu’une résistante retournée à son quotidien après-guerre. Un des effets pervers, c’est qu’en soulignant l’exceptionnalité de certaines, cela conforte les idées reçues sur toutes les autres. L’exemple de la Résistance est très révélateur avec une disproportion importante avec six femmes décorées comme compagnons de la Libération pour 1024 hommes. Yannick Ripa fait remarquer aussi que, souvent, on dit que derrière un grand homme il y a une femme, alors que la formule est beaucoup moins vraie si on l’inverse.
Une folle mémoire
L’auteure dresse d’abord le portrait de femmes pour lesquelles exceptionnalité rime avec dangerosité. Elle commence par deux portraits de révolutionnaires : Théroigne de Méricourt et Olympe de Gouges. Pour la première, sa liberté a été vite assimilée à de la débauche sexuelle et, bien plus tard, la télévision n’a rien arrangé au portrait quand elle s’en est emparée. Olympe de Gouges est passée elle de l’oubli au mythe. Il a fallu attendre les années 70 et les combats féministes pour qu’elle réintègre l’histoire nationale. Trois autres portraits complètent cette partie dont Lumina Sophie au XIX ème siècle dont on ne possède pas de portrait.
Elle avait tout pour être oubliée car noire, elle est alors considérée comme inférieure aux blancs et comme tous les anciens esclaves elle subit leur domination. Madeleine Pelletier quant à elle est reçue avec mention très bien au bac de philosophie en 1897. Elle est l’auteure de formules que l’on pourrait croire de Simone de Beauvoir comme lorsqu’elle écrivit : « C’est à la femme seulement de décider si et quand elle veut être mère ». La partie se termine avec une figure plus connue, mais tout autant caricaturée pendant longtemps, Camille Claudel. Là encore, le cinéma n’a pas vraiment rétabli la vérité mais a plutôt conforté les stéréotypes. L’artiste n’obtint jamais une reconnaissance en singularité.
Une mémoire amputée
Dans cette deuxième partie, Yannick Ripa braque le projecteur sur celles dont on n’ a retenu qu’un aspect. Flora Tristan inaugure cette entrée. Elle chercha désespérément à être reconnue comme descendante d’une aristocratie car bâtarde alors « qu’elle n’aura de cesse de défendre les ouvriers que l’industrialisation naissante transforme en prolétaires ». Maria Desraimes fut la première théoricienne du féminisme à la fin du Second Empire mais sa pensée philosophique était bien plus vaste que ne le laisse à penser ce qualificatif. Julie-Victoire Daubié s’est battue pour que la condition de toutes les femmes progresse alors qu’on ne retient d’elle que son titre de première licenciée ès Lettres de France à la fin du XIX ème siècle.
Hubertine Auclert est peut-être plus connue car elle a intégré plusieurs manuels scolaires de collège. « Je ne vote pas, je ne paie pas ! » avait-elle coutume de dire. Elle réclame que les vendeuses puissent s’asseoir, que les noms soient féminisés et elle se fait remarquer en renversant une urne. On retiendra aussi la figure de Berty Albrecht, trop souvent définie comme « la secrétaire de … ». Pacifiste convaincue après avoir vu les dégâts de la Première guerre mondiale en servant comme infirmière, elle s’engagea dans la Résistance aux côtés d’Henri Fresnay. Arrêtée, elle se donne la mort par pendaison en 1943.
La partie se conclut avec Alexandra David-Néel, première femme a être parvenue en 1924 à Lhassa, cité interdite aux Occidentaux. Ce fait réduit souvent donc la richesse de sa personnalité à un exploit sportif. « De publications en conférences à travers le monde » elle diffusa son savoir tout en maitrisant son image médiatique.
L’exception qui confirme la règle du genre
Par cette entrée, l’auteur pointe le fait que tenir ce discours de l’exception permet paradoxalement de conforter les normes de genre. Elle considère que « c’est un outil de l’invisibilisation » des femmes. Parmi les portraits qu’elle dresse, retenons celui de Séverine qui fut notamment la première femme à diriger un journal au XIX ème siècle. Elle disait d’elle : « Je suis Séverine, rien que Séverine, une isolée, une indépendante ». Malgré les commémorations autour de la Première Guerre mondiale, Louise de Bettignies n’a pas vraiment retrouvé la juste lumière à laquelle elle a droit. Cette agent de renseignement, très efficace, n’est pourtant pas connue. Le chapitre se poursuit en évoquant Irène Némirovsky. L’auteure de « Suite française », parue seulement en 2004, fut à son époque une écrivaine connue.
Mais avec la Seconde Guerre mondiale, son destin bascule et elle meurt en 1942. Le livre se termine, on pourrait dire provisoirement, avec Marguerite Thibert reconnue comme une incontournable experte sur le travail des femmes et des enfants. Elle fut haut-fonctionnaire au BIT, Bureau International du Travail. Pacifiste convaincue, elle aida les réfugiées espagnoles et les Juives persécutées par le nazisme.
En conclusion, Yannick Ripa évoque encore d’autres femmes comme Maya Surduts figure incontournable de la deuxième vague féministe. En 2017, une allée reçut son nom à Paris et il faut reconnaître qu’il existe d’autres cas aussi de femmes qui mériteraient d’être mises en lumière. Cependant, presque au même moment de cette reconnaissance, eut lieu une mobilisation qui visait à sauvegarder la bibliothèque Marguerite Durand évoquée en introduction. Yannick Ripa redonne donc vie à vingt femmes et, tout en restituant le sens de leur combat et de leur vie, elle donne aussi à comprendre pourquoi pendant trop longtemps elles furent invisibilisées.
Jean-Pierre Costille