Avec cette seconde édition enrichie, Eugénie MérieauMC Droit, Paris 1  convoque tous les faux-semblants propres à la perception des régimes autoritaires contemporains pour dessiner au final les contours de régimes hybrides, piochant ici dans l’escarcelle démocratique, là parmi des outils dictatoriaux. La démarche écarte le discours binaire appliqué aux dictatures, porteur en soi d’une pensée sinon dictatoriale, du moins réductrice.

Cinq grilles de lecture organisent l’ouvrage qui bénéficie par ailleurs d’une bibliographie sélective et commentée très éclairante. La première grille est passionnante puisqu’elle met en perspective les dictatures et l’histoire. La deuxième scrute l’Etat de droit et livre quelques surprises qui questionnent entre autres notre République. La troisième, économique, analyse les liens avec la mondialisation. La quatrième offre un panorama géopolitique, tandis que la cinquième s’essaie à la psychologie sur le mode du topos les dictateurs sont-ils tous fous et irrationnels ?

Libéralisme vs autoritarisme ?

Selon les géopoliticiens occidentaux, il y aurait aujourd’hui sur notre planète le monde de la démocratie libérale et celui de l’autoritarisme moderne. Ce paradigme serait hérité du moment 11 septembre et de la naissance de “l’Axe du mal”. Plus sûrement, il fait aussi écho au pluriséculaire “narcissisme occidental (G. Corm) ou la revendication occidentale de suprématie universelle” (p21) pourtant à l’origine de tant de désillusions, de guerres inutiles et de rancoeurs enracinées. Toutefois, l’autrice demande : la dictature se confondrait-elle forcément avec l’arbitraire, le pillage, l’irrationalité et le bellicisme, tel un épouvantail pratique à agiter (Occident vs Orient, Bien vs Mal…) ?

En y regardant de plus près, au XXIe siècle, un certain autoritarisme semble transcender les frontières habituellement reconnues de son expansion. Il ne serait plus tout à fait un apanage barbare. Il affecterait même l’Etat de droit et le libre-échange. En ce sens, des flux s’opèrent qui dé-démocratisent des démocraties libérales et au contraire libéralisent des dictatures, donnant naissance à des régimes hybrides parfois très complexes. Dès lors, la dynamique politique mondiale à l’oeuvre serait-elle celle d’une autocratisation rampante ? Le développement de ce phénomène autoritaire suppose un dépassement de la pensée binaire du ou démocratie ou dictature, exigé pour saisir une partie de notre monde.

Clichés mais aussi tendances

Battant en brèche les clichés propres aux dictatures, l’auteur dévoile ensuite des tendances et propose des mises à jour bien contextualisées. Comme le fait que les coups d’état militaires déclinent. S’y substitue « désormais le coup d’Etat constitutionnel ou judiciaire : le droit deveint l’outil privilégié des régimes autoritaires » (p 103). A méditer, aux échelles nationale et supranationale. Encore, la lutte d’un monde libre contre des axes du mal traduit souvent « les mutations du discours de légitimation de la politique étrangère américaine (…) à des fins d’extension de l’empire, de l’Amérique latine au Moyen-Orient » (p62). Par ailleurs, la supposée étroite relation entre archaïsmes (religion, communautarisme, résistances à une modernité) et dictatures est interrogée. Suède et Chine, aux antipodes démocratiques, sont néanmoins parmi les pays les moins religieux au monde ; et plus globalement, le communisme érigea l’athéisme au rang de valeur cardinale. La modernité politique, cette dynamique véhiculée par l’Occident et son cortège de référents – la science, la raison, le droit – voudrait que la constitution soit l’apanage de la démocratie. A contrario, les dictatures en seraient donc dépourvues. C’est mal connaître la typologie inhérente à ce type de texte régulateur de la vie sociale et politique. Le constitutionnalisme peut être « d’apparence » (M Weber) avec une constitution dite « nominale », c’est-à-dire sans effets. Il peut également être « sémantique » quand une constitution inscrit dans le droit les pleins pouvoirs du chef de l’exécutif. Exit la binarité.

Du miracle économique autoritaire

Le couple développement économique – dictature, ou « le mythe du miracle économique autoritaire » (p 122) persiste. C’est un lointain héritage de Tocqueville pour qui les dictatures redistribuant moins les richesses, taxeraient moins la population, donc favoriseraient la croissance économique. Des instances supranationales s’en font l’écho dans leur politique d’aide au développement, à l’instar du FMI qui a financé nombre de dictatures en Amérique latine et en Afrique subsaharienne. Mais la réalité de ce pseudo miracle se situe davantage du côté de l’effet de rattrapage économique propre aux états développementalistes d’Asie par exemple. Les crises économiques imputables à des dicateurs incapables de sortir leur état de l’ornière de la pauvreté – ou pire l’aggravant – ne sont pas rares. R Mugabe et l’hyperinflation du Zimbabwe. La junte militaire birmane et ses démonétisations fantasques.

Cet ouvrage est particulièrement intéressant, pour tout enseignant du primaire au supérieur, mais plus spécialement dans le cadre de l’EMC (voire de la philosophie), en particulier pour les classes de terminale avec le thème démocratie. Il permet un approfondissement de cette notion par le sondage de ses contraires. Il dessine les dynamiques institutionnelles et économiques contemporaines et démontre qu’il ne faut rien négliger lorsqu’on ausculte un régime politique : droit, économie, histoire, géographie, institutions nationales et internationales. En somme, un avant-goût des études en sciences sociales.

La présentation de l’ouvrage par l’éditeur :

http://www.lecavalierbleu.com/livre/dictature-antithese-de-democratie-2/