Présentation

Journée d’une directrice ordinaire

S’occuper de l’administratif, écrire le compte rendu du conseil d’école, récupérer les commandes des photographies de classe, lire les mails du jour et y répondre. Voir les collègues pour signer le papier sur la grève, préparer les deux ESS de l’après-midi, une restitution avec la psychologue et une mère d’élève…. Avec également la préparation de la journée de classe d’un cours triple (CE2-CM1-CM2) à 27 élèves

Cela devait être ma journée d’hier, déchargée administrativement comme 12 fois dans l’année. Je suis directrice d’une petite école rurale de 3 classes donc sans journée de décharge dans la semaine. Autant dire que je la planifie cette journée (ce qui n’empêche pas le travail de direction de toutes les autres journées) pour la rentabiliser au maximum…. Et patatras, la personne qui me décharge habituellement est malade. Pas de remplaçant malgré les essais de la secrétaire de circonscription. Plus personne de disponible…. J’ai donc repris ma classe au matin. Tant pis l’administratif et jonglé l’après-midi entre mes élèves et les réunions que je ne pouvais pas annuler…. Une maman m’aperçoit : «  on voit que Madame E. est la directrice, elle court tout partout ! »

Un ouvrage réaliste ?

Autant dire que le titre de l’ouvrage de Cécile Roaux m’a interpellé « La direction d’école à l’heure du management. » et fait un peu peur. Voir entrer un terme comme management venant du privé dans l’école, cela peut inquiéter. Voir quelqu’un écrire sur la direction, on espère que cette personne sait de quoi elle parle….

Et à la lecture de ce livre, je n’ai pas été déçue. Cécile Roaux sait de quoi elle parle et cela parlera à tous les directeurs et toutes les directrices, qu’ils/elles soient comme moi, dans une petite école de 3 classes ou un grand établissement de 30 classes avec décharge totale.

L’auteur

Cécile Roaux est docteure en sciences de l’éducation, sociologue de l’éducation et des organisations rattachées au laboratoire Cerlis de l’Université de Paris, mais aussi ancienne directrice d’école pendant 14ans. Elle se penche sur cette question « qu’est que la direction d’une école primaire ? «  Quel pouvoir a-t-il ou n’a-t-il pas ? » En effet, pour la plupart des personnes, le directeur est celui qui dirige l’école, qui prend les décisions, qui fait « tourner » l’école. Mais dans la réalité, le directeur est un simple professeur des écoles qui a le poste de directeur. Il n’est pas le supérieur de ces collègues, c’est l’Inspecteur de l’Education Nationale qui l’est. Ce non statut hiérarchique des directeurs est complexe à appréhender, il dirige l’école sans la diriger, il prend des décisions tous les jours mais n’a pas de pouvoir décisionnel…..

Introduction

Après avoir présenté dans l’introduction les raisons qui l’ont poussée à mener cette recherche, Cécile Roaux présente l’objet de son livre. A savoir « interroger la réalité de l’organisation qu’est l’école, au-delà de son apparence officielle, dans un contexte de réformes et d’émergence d’un nouveau référentiel lié au « nouveau management public ». « Faire émerger les stratégies des différents acteurs afin de reconstituer son fonctionnement concret à partir de cet acteur central qu’est le directeur d’école. » Et ce n’est pas une mince affaire. Le mot pouvoir est très présent dans cet ouvrage. Mais de quel pouvoir s’agit-il ? Le directeur ou la directrice n’en a pas vraiment puisque ce c’est un collègue comme un autre. Mais en même temps, il doit prendre des décisions qui impactent le fonctionnement de l’école et ses pairs. Il agit, anime l’équipe pédagogique, se fait le relais des injonctions ministérielles…

Une étude documentée

Cécile Roaux pour son étude s’est appuyée sur un panel très représentatif d’écoles. Celles-ci sont aussi bien des petites structures à 3 classes jusqu’à une école à 21 classes, situées en zone rurale, rep, rep+, ville etc, d’enseignants et de directeurs non déchargés à décharge totale. Il est à rappeler que le temps de décharge est proportionnel au nombre de classes. Jusque 3 classes pas de décharge, c’est-à-dire que le directeur n’a pas de journée dans sa semaine pour faire son travail administratif. Celui-ci se fait alors hors temps scolaire. Il dispose néanmoins de 12 jours dans l’année où il peut être déchargé et remplacé dans sa classe. Ensuite il dispose soit d’une journée, ou deux jours ou décharge totale à partir de 12 classes dans son école.  Les annexes en fin d’ouvrage détaillent la répartition des échantillons étudiés. L’auteur s’appuie également sur bon nombres d’entretiens et de données de recherche afin de présenter sous forme de chroniques et d’observations ce qu’est le travail du directeur au quotidien.

Ce livre s’organise autour de 6 chapitres.

Eclairages socio historiques

Il présente l’évolution de la place du  directeur dans l’histoire. C’est en 1889, avec les enseignants devenus fonctionnaires d’Etat, la montée des effectifs, que la fonction de directeur s’officialise pour les écoles de plus de 2 classes. Au fil du temps, le directeur prend en charge de nombreuses tâches. Veiller à la bonne marche de son école et assurer la coordination nécessaire entre les maîtres sans bénéficier de formation car l’emploi est une fonction et non un grade (1965) dont le fameux projet d’école qu’il rédige avec ses collègues. Il doit le mettre en place dans la pratique mais il n’a aucun pouvoir pour le faire appliquer. Parallèlement, dans le secondaire, en 2001, les chefs d’établissement sont intégrés dans le nouveau corps des personnels de direction alors que pour les directeurs il  n’en est rien. Les différentes lois d’orientation qui vont se succéder vont apporter plus de travail pour les directeurs, mais toujours dans le même cadre très limité d’actions. L’auteur parle très souvent de pouvoir mais quel(s) pouvoir’s) a le directeur ? Elle précise la définition de pouvoir d’un point de vue sociologique et présente le postulat

le directeur d’école au cœur de la complexité ou l’émergence du problème

Après avoir précisé la définition de «pouvoir » d’un point de vue sociologique dans le cadre étudié, à savoir « que ce n’est pas à considérer comme une simple délégation descendante tout en prenant en compte l’imprévisibilité du comportement de l’individu ». Il ne peut y avoir de modèle organisationnel parfait. Et c’est tout à fait cela, le directeur a un référentiel métier qui définit ses tâches et ses missions sans pour autant induire le pouvoir de celui qui doit les réaliser. Il est donc très difficile de comprendre le rôle d’un directeur dans la réalité de son terrain d’exercice. Il évolue dans un univers où il est confronté à une hiérarchie pyramidale (inspecteur, Dasen etc). Le directeur doit composer avec les municipalités qui n’ont pas toujours les mêmes objectifs que la hiérarchie mais aussi les familles, les intervenants, les enseignants. Il est au centre d’un réseau d’acteurs. Informé de tout,il doit passer les informations, doit faire coopérer tout le monde mais n’a autorité sur aucun des réseaux. De ce fait, il est le premier interlocuteur mais aussi le premier responsable. Le fait d’avoir également une classe en charge pour la grande majorité des cas, le place à être un pair parmi les enseignants de son école mais en même temps leur directeur. C’est une position qui peut être très inconfortable.

Céline Roaux a réalisé un tableau comparatif entre un directeur d’école et un chef d’établissement. On y trouve beaucoup de points de convergence sur les missions dont ils ont la charge. La grande différence, les chefs d’établissements ont des moyens humains (CPE, secrétariat…) et matériels que les directeurs n’ont pas. Certains directeurs peuvent avoir dans leurs écoles autant d’élèves que dans un petit collège. Et le directeur doit s’occuper également des locaux, des commandes, du matériel etc etc….. Il ne peut pas prendre certaines décisions sans avoir l’aval de son supérieur hiérarchique. Ce qui peut poser souci dans des situations d’urgence comme par exemple la gestion de la crise Covid avec l’annonce du confinement en fin de semaine effectif en début de semaine suivante !

La direction d’école au quotidien

Dans son troisième chapitre, l’auteur explore le quotidien d’un directeur d’école. Et c’est tout à fait cela pour le vivre moi-même au quotidien ou pour échanger avec d’autres collègues directeurs. Certes, il y a toutes les tâches administratives, les mails, les enquêtes, les demandes parfois étranges…. Mais c’est surtout « les micro conflits avec les autres professionnels de l’école, avec sa hiérarchie ou avec les usagers » qui rend ce métier si « usant ». Le directeur est également mis en avant par les collègues comme le « chef » de l’école vis-à-vis des élèves et parfois des parents. Notamment les élèves que l’on pourrait qualifier de difficile et qui sont envoyés dans le bureau du directeur ou de la directrice. De même avec les parents quand des relations conflictuelles apparaissent et qui se règlent bien souvent dans le bureau du directeur. On pourrait dire que c’est le « sale boulot » confié au directeur alors que le vrai travail, c’est-à-dire enseigner est celui des professeurs. Et en même temps cela donne une « reconnaissance » du rôle de directeur avec un pouvoir qui n’est en rien effectif.

L’équipe : mythes ou réalités ?

La plupart des enseignants pense que si le directeur a un statut, il en serait fini du travail d’équipe car celui-ci ne serait plus véritablement un collègue. Mais y-a-t-il vraiment une équipe dans une école ? La classe reste la « cellule de base » et même si les enseignants travaillent sur un même site, le travail d’équipe ne va pas forcément de soi. Et le directeur ? 3 grandes stratégies : le retrait qui prend la forme du laisser-faire ; jouer sur l’ambiance pour obtenir l’adhésion de tous ; et se retrancher derrière les textes, la plus rare. De cette situation encore où le directeur est un collègue mais doit gérer une équipe soulève le problème d’un statut ou non pour le directeur. Cela agite la sphère enseignante depuis quelques temps. La majorité des enseignants refuse un statut de directeur. Cécile Roaux revient sur cela dans une interview donné au café pédagogique.

Partenariat, ou la réalité de « la main dans la main »

« Etre directeur ne se limite pas à animer une équipe d’enseignants plus ou moins enclins au travail collectif, ni à jouer les pères bienveillants ou fouettards vis-à-vis de plus ou moins joyeux bambins. C’est aussi être au cœur du « partenariat » avec l’extérieur. » Et c’est extérieur est vaste, entre les relations avec le collège (la fameuse liaison école-collège), le périscolaire, les familles. Ces relations sont très différentes même si elles tournent autour de l’élève et elles peuvent se révéler difficiles à gérer. D’autant plus que le directeur n’a toujours aucun pouvoir réel, aucune reconnaissance de sa légitimité. Les intérêts des uns ne sont pas forcément ceux des autres et le directeur peut se retrouver au milieu de conflits. Il organise par exemple le temps des employés communaux sur le temps scolaire mais ceux-ci sont dépendants du maire. Les locaux sont municipaux mais les enseignants les occupent. Cécile Roaux évoque du quotidien d’une direction un kaléidoscope « où se composent, se décomposent et se recomposent des interrelations complexes dans des jeux d’acteurs multiples ».

La grande illusion : du côté des « puissants », le concept d »anarchie organisée »

L’école est un système pyramidal avec en bas les directeurs et les enseigants, puis les Inspecteurs de l’Education Nationale, une hiérarchie de proximité, les agents de la centrale, la DGESCO,  les conseillers ministériels et le recteur étant la hiérarchie à distance. Le tout avec une gestion bureaucratique avec des circulaires, des écrits, des directives en forme descendante. Et le directeur doit gérer tout cela dans son école en plus de faire classe pour bon nombre d’entre eux.

A la lecture de ce livre, j’ai  vu mon rôle sous un autre jour avec beaucoup plus de tenants et d’aboutissants que je ne pensais, le directeur est très vite pris par son quotidien, sa classe et souvent il n’a pas la possibilité d’avoir du recul sur son rôle. Que penser du futur du directeur ? Est-ce que la loi Rilhac  va modifier quelque chose ? La majorité des directeurs n’est pas focalisée sur un statut  uniquement mais bien souvent plus sur une reconnaissance du travail (souvent invisible) réalisé, sur plus de temps accordé à faire son travail.

Cet ouvrage montre véritablement la complexité du rôle du directeur mais aussi celle du système éducatif. Il est très éclairant pour le lecteur mais aussi pour le directeur lui-même et devrait l’être pour les adjoints et les IEN.