L’image d’un gouvernement des États-Unis commençant après le 11 septembre sa réunion par une prière peut faire sourire, de ce côté-ci de l’Atlantique, dans une France qui a traversé un siècle de séparation de l’Église et de l’État. La place, on pourrait même dire l’omniprésence du facteur religieux dans la vie quotidienne des étasuniens, se retrouve de façon symbolique imprimée sur le billet vert, avec la formule : « In god we trust ». De la même façon, on retrouve aussi dans la fête du Thanks giving cette action de grâce qui peut là aussi surprendre dans un pays de culture catholique romaine où le salut se gagne d’avantage par les œuvres que par un dessein du créateur.
Les évangéliques à la maison blanche
Les évangéliques à la maison blanche

Professeur de civilisation américaine à l’Université de Valenciennes Mokhtar Ben Barka présente dans cet ouvrage les différents aspects de la présence du facteur religieux dans les différents aspects de la vie politique et sociale des Etats-Unis.

En cinq chapitres, les différents aspects de la question sont ainsi traités, de l’idéologie évangélique à leur stratégie politique, de leurs moyens de propagande aux rapports entretenus avec l’administration Bush. La question qui se pose ensuite est de savoir si cette « droite chrétienne », et il nous appartiendra d’expliciter ce concept, est en mesure d’influencer la politique étrangère et intérieure des Etats-Unis. Le pays sera-t-il un jour la terre promise espérée par ces presbytériens descendus du May Flower un jour de 1620 ?

En fait, le champ couvert par Mokhtar Ben Barka est beaucoup plus restreint. Il traite essentiellement de ceux qui sont les plus remuants, les plus visibles, et de quelle manière ! du champ religieux étasunien. Les évangélistes, fondamentalistes, pentecôtistes et charismatiques usent de tous les moyens traditionnels comme la prédication en porte à porte et modernes comme les émissions télévisées, le mailing et les listes de diffusion pour promouvoir leur vision du monde. Ils usent aussi et abusent peut-être des recours juridiques, notamment devant les cours suprêmes des Etats et de la Fédération pour promouvoir leurs thèses.

Un lobbying efficace

Leurs thèmes d’intervention sont ciblés depuis les années 90, avec l’effondrement du communisme, à la fois sur la défense de l’Etat d’Israël, ce qui constitue un véritable tournant, et sur les questions de société, avortement, homosexualité et liberté d’acquisition des armes à feu. De ce point de vue, les évangélistes étasuniens n’ont véritablement rien à voir avec les « intégristes chrétiens » de la vieille Europe… volontiers antisémites et traditionnistes.

Les évangélistes d’outre-atlantique donnent à leur engagement un contenu de rupture, constituant des communautés accueillantes et soudées, agissant de façon collective et maniant le lobbying avec un art consommé.
Ce qui déçoit un peu dans cet ouvrage est sans doute l’absence de mise en perspective historique. Le passage de l’anticommunisme du début des années Reagan à l’anti-islamisme de l’après 11 septembre aurait mérité un traitement plus explicite. De la même façon, on ne comprend pas très bien pourquoi ces mouvements qui prônaient la neutralité politique avant les années soixante dix se sont massivement engagés en faveur des Républicains ensuite.
Difficile à percevoir également, le passage du « bible belt, » traditionnel bastion des démocrates du Sud est devenu un véritable réservoir de voix républicaines permettant la première élection et la réélection de Georges W. Bush.

La partie consacrée aux liens entre la droite chrétienne et l’actuel locataire de la maison blanche est sans doute la plus intéressante. Dès 1987, au temps de la préparation de l’élection de son père, G. Bush junior en tant que gouverneur menait une politique très en faveur des Chrétiens conservateurs. Dans les staffs de campagne de la famille, les anciens de la christian coalisation et les pentecôtistes sont nombreux. Enfin, en 2000, pour sa première élection, G.W. Bush va réussir cette alchimie : Faire admettre à ces concitoyens et à ces born again, ces étasuniens qui mettent leur foi au centre de leur vie qu’il est l’un des leurs, et que Jésus guide sa vie.

Le premier des born again

En succédant à Bill Clinton, il a évidemment joué sur la morale et la fidélité conjugale. La question qui se pose est de savoir si sa politique est influencée par les évangélistes ou si c’est simplement une posture politique qui l’anime. Vu de France le Président Bush passe trop souvent pour quelqu’un d’intellectuellement limité, et il faut y voir un effet « guignols », mais ce n’est pas si simple.

Ce Président ancien alcoolique qui est devenu sobre, ce noceur devenu fidèle, ce mécréant devenu bigot est à l’image de ce que les étasuniens d’en bas souhaitent et l’amélioration de son score de 2000 à 2004 le confirme. Par contre est-ce le Président qui devient de plus en plus proche des évangéliques ou est-ce l’influence de ces derniers qui augmente dans le pays, le débat n’est pas de pure forme au contraire. Si la réponse à cette dernière question est positive, les démocrates de la côte Est risquent de rester sur les marges de la Maison Blanche pour quelques années encore.

Selon certains observateurs cités par Mokhtar Ben Barka, l’échange de bons procédés entre Bush et la droite chrétienne ne s’est pas faite sur le terrain du gagnant/gagnant. Les uns ont donné leur voix mais le Président n’a pas encore fait droit à leurs requêtes notamment en interdisant au niveau fédéral le mariage gay par exemple. De plus leur extrémisme notamment en matière de politique étrangère pose à Condoleeza Rice quelques problèmes. On sait notamment que le fort sentiment pro-israélien des évangélistes n’est pas la référence de la Secrétaire d’Etat, même si elle a largement soutenu la politique de Ariel Sharon et de son successeur depuis. Dans ce domaine précis ce sont les néo-conservateurs souvent juifs comme Léo Strauss qui se rapprochent fortement de la Droite chrétienne, qui sont en première ligne.

A l’origine les néo-conservateurs sont plus laïcs, car issus pour beaucoup d’entre eux de la gauche radicale. Il sont été très influents sous Reagan et après une petite éclipse sous Bush père et Clinton, ils sont revenus en force et influencent l’administration actuelle peut-être d’avantage que les évangélistes pourtant très présents au Congrès et dans les cercles présidentiels.

Qui influence qui ?

L’alliance entre les deux courants du Bushisme, néo-conservatisme et évangélisme est forte mais ambiguë. Les évangélistes soutiennent Israël et le retour à Sion comme signe de l’annonce du retour du Christ. La référence biblique des deux cultures est également source de rapprochement. Du point de vue des mœurs par contre, les distances entre les deux sont grandes.
A la cour suprême comme dans le gouvernement fédéral, les évangélistes semblent avoir plutôt perdu du terrain. Les nominations ne traduisent pas une orientation claire du Président vers les amis de Pat Robertson mais plutôt un choix conservateur affirmé comme la défense d’une politique étrangère musclée et impériale et une gestion rigoureuse des aides sociales. Que la présidence Bush s’appuie sur les chrétiens baptistes, évangélistes et autres born again est une évidence, qu’ils influencent durablement la maison blanche, rien n’est moins sûr.

Au terme de cet ouvrage sur un sujet sans doute mal connu, on reste un peu sur sa faim. Il y manque sans doute une profondeur historique et des références y compris théologiques pour comprendre comment cette alchimie entre une culture religieuse peu encline à frayer avec le pouvoir a pu devenir un passage obligé vers la maison blanche. Peut-être aussi que la façon de présenter les sources en cours de lecture ne surprenne les historiens. (Mansfield 2003 p. 112), peu habitués à cette façon de procéder.

Bruno Modica © Clionautes