A partir des XIVe et XVe siècles, les châteaux se transforment et l’espace des jardins qui les environne subit lui aussi une évolution. Les deux éléments s’associent davantage, les habitants ou visiteurs doivent avoir une vue sur ces extérieurs. C’est ce nouveau travail d’esthétique qui est mis en valeur dans cet ouvrage. Chaque contribution étudie le rapport entre château et jardins à travers des exemples précis et illustrés. De nombreux plans permettent de visualiser les structures aujourd’hui disparues. Voici quelques articles mis en avant.
Alain Salamagne évoque l’importance à cette époque pour le château du Louvre d’avoir un accès direct depuis les appartements royaux aux jardins. Ceux-ci sont des espaces d’agrément, de promenades, où poussent les aromatiques tels le persil, la sauge, l’hysope ou des lys et rosiers. Le fauconnier garde une place importante. Le jardin peut être l’objet de joutes comme en 1317 dans le jardin du palais de la Cité ou de fêtes. Des pavillons peuvent permettre de déjeuner avec l’aménagement de sortes de caves pour maintenir les boissons fraîches.
Ce sont des lieux de pouvoir comme le souligne Marie Casset. En Normandie, ils font partie intégrante de l’héritage. Y sont aménagés des espaces de chasse où les taillis, fourrés et dénivelés sont faits de main d’homme pour accueillir les petits gibiers ; lapins, perdrix ou faisans. Des plans d’eau sont construits. L’auteure relève que dans les jardins épiscopaux qu’elle a étudié l’extérieur prend un caractère et une symbolique religieuse. De plus, les sources analysées révèlent que la production en fruits et légumes permettait d’alimenter le château. On y élevait également des poules, des lapins et perdrix car les comptes d’approvisionnement du château de Hambaye au début du XVe siècle n’en mentionnent pas l’achat.
Un article très intéressant est consacré aux jardins privés de Dubrovnik en Croatie par Nada Grujić de l’université de Zagreb. Là aussi les jardins enserrés dans la cité permettent de produire fruits et légumes. A travers les échanges commerciaux, les Ragusains ont fait venir de nombreux arbres d’Italie du sud notamment comme les citronniers à la fin du XIIIe siècle et les orangers au début du siècle suivant. Les carrés plantés sont surélevés par rapport aux allées ombragées. Les colonnes entourant chaque parcelle soutenaient des pergolas. L’Italie a également fourni de la terre pour palier à des sols secs et pauvres. Chaque parcelle était ainsi close d’un muret permettant de retenir le sol. Dans les jardins en pente ce sont des terrasses qui sont aménagées. C’est à l’extérieur de la ville que ceux-ci sont le plus développés autour de demeures où les nobles aimaient se reposer. Au XIVe siècle il s’agit même de refuges lors des épidémies de peste. Cela a certainement permis de limiter la mortalité. L’architecture des jardins a été peu influencée par les dessins étrangers, ce sont même plutôt des « jardins médiévaux réalisés à la Renaissance ».
L’ouvrage permet aussi de mettre en avant des projets de restauration comme les jardins du château de Torre à Pordenone en Italie ou le jardin Bardini à Florence que, Mariachiara Pozzana nous donne envie de visiter.
Le château de Noisy, bâti vers 1750 pour le duc Albert de Gondi, courtisan de Catherine de Médicis et Charles IX nous présente l’engouement pour les grottes. Ainsi, l’étude de Bruno Bentz met en avant les différentes caractéristiques et évolutions du site qui arrive dans les mains de Louis XIV en 1676. Les jardins sont réaménagés et le château devient en 1684 la maison d’éducation fondée par Madame de Maintenon. Le potager se pare d’œillets, artichauts, melons, concombres… En 1700 le parc est relié à la forêt de Marly notamment pour les chasses. Les jardins tombent peu à peu à l’abandon lorsque Louis XIV veut vendre le château en 1708. Louis XV en ordonne finalement la destruction en 1732.
L’article de Piet Lombaerde nous amène à Bruxelles dans le parc du Coudenberg aménagé par l’archiduc Albert d’Autriche à partir de 1596. A noter la présence à l’époque d’une représentation par anamorphose sur un mur d’une femme avec un coq. Ainsi les jardins jouent sur les perspectives, les trompe l’œil et jeux d’optique. Celui-ci est aplani en 1776 et il ne reste plus rien des aménagements de la Renaissance.
Anne Allimant-Verdillon retrace le projet de l’hôtel de ville de Lyon décidé en 1646 mais qui subit de nombreux retards. Celui-ci sur le modèle parisien des Tuileries est un jardin planté de tilleuls, charmes et cyprès.
Nous partons ensuite à la fin du XVIIIe siècle marqué par les jardins « anglo-chinois ou « pittoresques ». Celui de Méréville est l’occasion pour Cécile Travers d’aborder la recherche archéologique du jardin : retrouver les dénivelés, les réseaux hydrauliques… Ce travail de prospection est mené avec l’utilisation des sources écrites tels les cadastres. Les photographies jointes et les détails techniques des fouilles sont particulièrement riches et instructifs.
Plusieurs articles sont consacrés à la représentation du jardin. Iris Lauterbach évoque le parcours de Johann Christoph Volkamer (1644-1720), collectionneur d’agrumes et auteur des Hespérides de Nuremberg. L’auteure aborde la mode pour les agrumes et les jardins en Allemagne. Pour les bourgeois, cultiver son jardin relève aussi de vertus chrétiennes. Les agrumes d’Asie sont importés en Italie. Ils évoquent le jardin des Hespérides et des fruits d’or. C’est ainsi que le livre de Volkamer est remarquable, premier en langue allemande, il classifie les agrumes, aborde leur culture, les jardins et leur topographie et comporte de nombreuses planches illustratives. Le tout s’est appuyé sur une grande correspondance avec des propriétaires ou botanistes aussi bien d’Europe que d’Amérique du sud qui lui envoient des boutures, graines et plantes.
La Renaissance est également la période où la nomenclature des plantes est élaborée bien que sujette à débats.
L’article de Perrine Vigroux sur la contribution des femmes à la botanique est appréciable. Elle y trace les portraits de Maria Sybilla Merian (Allemagne, 1674-1717) et Madeleine Basseporte (France, 1701-1780) entre autres. La première se forme auprès du second époux de sa mère, peintre de fleurs. Elle se marie à l’un des élèves de ce beau père qui ne supporte pas être dans son ombre. Elle parvient à publier un premier ouvrage en 1675. Elle explique l’importance de former les jeunes filles, l’étude scientifique est vue comme un moyen d’émancipation. Elle décide d’ailleurs d’enseigner à des jeunes filles, orphelines pour la plupart. En 1685, elle intègre la communauté labadiste en Hollande (communauté fondée par Jean de Labadie, mort en 1674). La place des femmes y est beaucoup plus libre ce qui satisfait Maria Sybilla Merian qui fait annuler son mariage par la communauté. Cette dernière est dissoute en 1690. Elle part alors pour le Surinam. Elle continue ses études, entourée d’esclaves qu’elle traite avec respect. En 1701 elle rentre, atteinte de la malaria. Son ouvrage Métamorphose des insectes du Surinam est un succès. Réédité dix neuf fois, le tsar Pierre Ier lui en commande deux exemplaires. Elle laisse son nom à six plantes, neuf papillons et deux scarabées. Madeleine Basseporte commence par des portraits et rencontre Claude Aubriet, peintre des vélins du roi qui en fait sa collaboratrice en 1731. Elle en réalise plus de 300 et apprend le dessin aux filles du roi Louis XV. Elle reçoit des commandes de la Pompadour et se fait ouvrir les portes des jardins de Versailles, Fontainebleau et autres. Proche des jansénistes, elle obtient ainsi la protection de l’Académie des Sciences. Buffon est l’un de ses correspondants.
Enfin, Luc Forlivesi rend compte des réaménagements des jardins de Chambord. Pour cela il retrace son Histoire. Vu comme un simple pavillon de chasse l’intérêt du jardin n’est pas la priorité de François Ier lorsqu’il en demande la construction. C’est Louis XIV qui en entreprend les travaux. En 1745 le maréchal de Saxe en obtient la jouissance et poursuit l’entretien. Le jardin atteint son apogée. Un inventaire mentionne la présence de 250 pieds d’ananas, 121 orangers, un citronnier et un limonier. Les réaménagements de nos jours tiennent compte de l’état du jardin entre 1734 et 1750. En effet, le parc s’est peu à peu détérioré. En 1970 il ne reste que des espaces de gazon et les douves, un temps asséchées, sont remises en eau. Les travaux engagés après les fouilles archéologiques ont vu la plantation de 600 arbres, 800 arbustes, 200 rosiers et 15250 plantes. Seuls les marronniers d’Inde et les buis n’ont pas repris leur place du XVIIIe siècle car il a fallu s’adapter aux conditions actuelles. De même, les produits phytosanitaires ont été bannis des entretiens futurs.
Cet ouvrage est remarquable par la qualité de l’impression et du papier. C’est un très beau livre de collection. Cependant on peut regretter quelques erreurs d’orthographe ou de frappe glissées à plusieurs endroits. De même, si certaines participations sont accessibles à tous, d’autres restent très techniques avec peu d’explications. Certaines citations latines ne sont pas traduites par exemple. Ce livre ravira cependant les passionnés.