Suzanne Citron propose une longue préface suivie d’un avant-propos de Laurence de Cock. Structuré ensuite en quatre grandes parties, l’ouvrage comprend un lexique sur l’Education nationale, pour les non spécialistes. Les différents contributeurs sont présentés en fin d’ouvrage.
Pesanteurs et frustrations autour de l’histoire scolaire
Suzanne Citron, l’auteure du « Mythe national », entreprend d’abord de revisiter les cinquante dernières années autour du thème de l’enseignement de l’histoire. Elle le fait d’abord en racontant son parcours personnel. Elle affirme clairement ce qu’elle croit : « Je reste convaincue qu’un récit campé sur l’hexagone et déroulé comme une succession linéaire de souverainetés et de pouvoirs ne saurait être la matrice d’un regard lucide et responsable sur la France du XXIème siècle ». Le propos est souvent incisif et très défiant vis-à-vis de l’institution. Elle pose les questions qui structurent l’ouvrage comme « Peut-on repenser l’écriture de l’histoire dans un système scolaire souple et décentralisé ? ». Elle ajoute que « l’optionnel délivrerait l’histoire scolaire de l’exhaustivité impossible dans laquelle l’enferme la culture de l’uniformité. Dans les établissements, les enseignants puiseraient en équipes dans la matière historique selon leurs besoins et leurs publics ». L’idée pourra faire bondir certains si on l’envisage sous l’angle de l’égalité républicaine. Ne pourrait-on aussi voir là, dans cette proposition de Suzanne Citron, le souhait d’une plus grande autonomie des établissements ? Un tel sujet est particulièrement sensible.
Une seconde édition pourquoi ?
Laurence De Cock poursuit le constat et la présentation dans son avant-propos. La « dimension critique de notre travail est absolument assumée » comme en témoigne d’autres passages lorsqu’elle parle des attaques subies ou du corporatisme conservateur de certaines associations. Ce discours peut être crypté pour qui n’est pas au fait des arcanes du monde de l’Education nationale, ce qui contraste un peu avec la fraicheur du langage revendiquée par ailleurs. On pourra ou pourrait voir là une volonté d’éviter les attaques ad nominem pour se concentrer sur le fond. Laurence De Cock dresse ensuite un état des lieux de ce qui s’est passé depuis la première édition en insistant sur le fait que les débats sur l’histoire n’ont pas cessé. Etrangement ici les accusés ont un nom : Lorant Deutsch ou Dimitri Casali. Pourquoi les citer eux et évoquer en revanche le conservatisme d’organisations sans les nommer ? L’auteure souligne aussi des signes d’espoirs comme le succès récent du livre coordonné par Patrick Boucheron « Histoire mondiale de la France ».
Les programmes d’histoire à l’épreuve des réformes et des pratiques
Dans cette première partie, les intervenants développent la question de l’écriture des programmes scolaires sur un temps long. Patricia Legris retrace toutes les étapes qui mènent à la rédaction d’un programme. Le processus est très encadré en raison du caractère national et obligatoire de ces textes, de la place occupée par l’histoire en France, ainsi que de la finalité civique qui lui est assignée. L’auteure cherche à montrer la difficulté d’établir un consensus, d’autant que la discipline elle-même est fragmentée, le tout dans un contexte où le politique peut s’en mêler. Géraldine Boizec s’intéresse elle à « l’histoire au service de l’éducation civique : la permanence d’une ambition à l’école primaire ». Si « l’histoire enseignée a incontestablement évolué en devenant plus scientifique, moins personnalisée et moins patriotique, elle est néanmoins toujours centrée sur les grands évènements de l’histoire nationale ».
Quelle place pour le récit national …et les autres ?
Cette partie s’interroge sur l’articulation entre récit national et politiques de la reconnaissance. La première contribution envisage la question de la colonisation et de son enseignement. Pour sortir du cadre national justement, Samuel Kuhn propose une contribution intitulée « multiculturalisme et grand récit national : aux Etats-Unis l’histoire scolaire sous tension ». La comparaison reste néanmoins difficile mais l’auteur apporte les éléments pour comprendre d’abord comment se fabriquent les programmes aux Etats-Unis. Le débat se fait souvent sur la part entre histoire mondiale et histoire des Etats-Unis. « Le multiculturalisme est d’abord une réponse à la diversité de la société étatsunienne ». On peut néanmoins rapprocher les deux pays en montrant combien l’histoire peut enflammer les débats. Enfin, prenant acte qu’il manquait d’exemples de pratiques dans la première édition, l’ouvrage propose un exemple d’histoire de l’immigration en EMC. Cela concerne une classe de cinquième et comporte des exemples de traces d’élèves.
Une approche renouvelée de l’histoire
Entre histoire globale ou géohistoire, l’histoire change mais qu’en est-il de l’histoire enseignée ? Il y a certes des avancées avec une limite qui consiste en une certaine tradition des questions abordées dans le niveau de programme qui donne lieu à un examen. Vincent Capdepuy plaide pour un enseignement de l’histoire globale. Il explore surtout trois pistes de ce que cela pourrait être. Il cite le formidable livre de Romain Bertrand « L’histoire à parts égales ». Il précise ensuite son point de vue car il enseigne à La Réunion. « Enseigner l’histoire locale n’est pas nécessairement un repli sur soi mais l’ignorer, c’est laisser croire à une hiérarchie, c’est laisser penser que l’histoire locale est sans intérêt ». Il dit clairement qu’il ne s’agit pas de remplacer le roman national par un roman mondial.
Le besoin de savoir, l’urgence de la critique
Le métier change et il est donc fondamental de réfléchir également en terme de formation des enseignants. « Enseignant d’histoire est un métier qui s’apprend et se réinvente tout au long de la carrière ». Servane Mazrin développe l’exemple du complotisme et comment lutter contre. L’auteure se montre critique vis-à-vis des réponses fournies par l’institution en déplorant le fait qu’elles viendraient d’un « groupe de chercheurs et de spécialistes à la grille de lecture univoque ». Elle propose de travailler sur les scénarios de complot, idée à laquelle on ne peut qu’adhérer mais qui n’est pas forcément à opposer de façon frontale à la politique menée par l’institution.
Cette « fabrique scolaire de l’histoire » met donc sur la place de nombreuses questions qui agitent, aujourd’hui comme hier, l’enseignement de l’histoire-géographie. Il alimente le débat même si on n’est pas obligé de partager toutes les opinions qu’il défend, certains contributeurs se révélant en l’espèce beaucoup plus percutants, du moins de mon point de vue. Rien ne serait plus terrible, quand on critique la doxa, de vouloir imposer la sienne. Un livre qui s’assume pleinement comme militant et qui appelle à débattre et c’est bien là l’essentiel.
© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes