Au cœur des préoccupations éducatives, le territoire est pourtant rarement mobilisé dans la fonction même de professeur des écoles. Il y a pourtant de nombreux enjeux à aborder la dimension spatiale de l’Ecole et des écoles ne serait-ce que dans un souci de justice spatiale. C’est par le prétexte de la professionnalisation de futurs professeurs des écoles, notamment dans le cadre d’une formation à la recherche et par la recherche que Jean-François Thémines, professeur des universités en géographie à l’INSPE-Université de Caen, a choisi d’aborder cette question en rendant hommage à des travaux de mémoire de cinq de ses étudiantes (dont l’une a même choisi de poursuivre en doctorat).
Les écoles, objet géographique
Le chapitre 1 s’intéresse à la caractérisation de l’école (les écoles) comme objet géographique. Où est-elle ? Quels acteurs gravitent en son sein et autour d’elle ? Comment peut-on la qualifier ? Ce sont 4 axes qui permettent déjà de la cerner : un axe paysager (qui s’intéresse aux types de construction, au lieu d’implantation, à la taille de l’édifice, aux équipements, à l’insertion dans le maillage politique existant), un axe fonctionnel (on y lit ici les apprentissages, la socialisation des enfants, la formation professionnelle, la familiarisation des parents ou encore l’action de la commune), un axe environnemental (quelles sont les ressources éducatives locales ? la territorialité des acteurs de l’éducation, l’attractivité des postes, le contexte sociodémographique de l’école souvent mesuré par l’IPS), un axe politique (l’école est un lieu de projet sur l’espace communal, un espace de mise en œuvre locale des réformes nationales, un espace d’investissement politique local, un espace de mobilisation). L’école et le métier de professeur des écoles sont fondamentalement liés au territoire, notamment via les projets éducatifs de territoire. Dans les pratiques, les limites (un enseignant = une classe = une salle) sont bien plus floues (cas des « plus de maîtres que de classes » générant le co-enseignement, classes « hors les murs »). Se pose aussi la question de l’inégalité/iniquité et justice spatiale au travers de la répartition des ressources éducatives et de leur accessibilité.
Méthodologie de l’étude
Le chapitre 2 présente la méthodologie de la monographie vue comme un « outil d’accumulation dynamique et de transformation du matériau empirique » permettant de se projeter. On y décrit, on y organise et on y thématise ce qu’on voit et ce que l’on récolte. On passe du rôle de spectateur à celui d’enquêteur dans le contexte de transformation identitaire de l’immersion dans le métier. De manière plus précise, le contexte était celui d’un atelier de recherche voulant éprouver cette méthodologie. Le but était de cadrer statistiquement et géographiquement les écoles où officiaient les étudiantes et de rédiger entre 15 et 30 pages d’analyse une fois la problématique dégagée. Quatre moments se succédaient : 1/Voir quelque chose (les abords de l’école au travers des mobilités et des limites, la pratique avec et sans guidage, une visualisation croisant les points de vue), 2/Identifier un système pour cerner des relations (susciter des entretiens, récolte des productions non verbales, croiser les sources…), 3/Problématiser l’objet (le changement de lieu de stage a permis une plus ou moins grande continuité de la réflexion et a déterminé une décision de travailler sur tel ou tel sujet), 4/La production de catégories intermédiaires propres à soi (intermédiaires car ne portant que sur une école, car n’étant pas éprouvées par la communauté des chercheurs).
Ècoles du Calvados
Les chapitres suivants ont été rédigés par les étudiantes en master MEEF 1er degré avec comme terrains d’étude, des écoles du Calvados (trois par étudiante sauf pour le chapitre 6 où il n’y a eu qu’une seule école, le terrain étant plus complexe).
Traitant de la fabrique locale du territoire, le chapitre 3 confronte une équipe pédagogique n°1 amère qui pense que la mairie ne fait pas assez mais qui, dans le même temps, n’est que peu soudée. Les postes y sont difficiles à obtenir (territoire côtier prisé) et la moyenne d’âge est assez haute. Le territoire n’est que peu investi comme une ressource éducative. Dans la seconde école propose un moins bon contexte initial mais affiche une équipe s’entendant mieux et qui a également de bonnes relations avec les élus locaux. On lit déjà l’idée que le confort semble enfermer et que les conditions de travail plus difficiles forcent à l’inspiration et au partage. La taille de l’école joue également : une configuration étriquée et minimaliste pousse également aux échanges. La troisième école permet de consolider la comparaison : une école rurale à cheval sur deux sites (un pour le cycle 2 et un pour le cycle 3) avec un seul directeur qui fait efficacement la navette entre les deux.
Le chapitre 4 s’intéresse à la coéducation au travers l’idée que la collaboration avec des parents partenaires ne va pas de soi. En REP, il y a déjà des initiatives (café des parents, semaines de parents, des moments jeux de société) et une stabilité de l’équipe. Mais même distantes d’un seul kilomètre, deux écoles peuvent afficher des ambiances très différentes. Une fusion d’école peut faire naître des « micro-climats ». Se pose la question des allophones et de leur forte mobilité qui n’aide pas à pérenniser la coéducation.
Le chapitre 5 traite de la diversité architecturale des écoles rurales qui souhaitent finalement « casser » le modèle communal historique. Cinq critères sont retenus (durabilité, accessibilité, lien au numérique, ouverture sur les acteurs et sécurité). Il y a beaucoup de variations des apprentissages dues aux bâtiments et à leur agencement. Il y a des stratégies communales pour afficher leur école comme « vitrine » afin de garder de l’attractivité. La professionnalité des professeurs des écoles est particulière en zone rurale et il peut y avoir un effet contre-productif au RPI (dans l’exemple, il est moins investi par les enseignants sur les ressources locales que les deux autres écoles).
Le chapitre 6 ne concerne qu’une école mais riche de dispositifs (CP dédoublé, ULIS, CHAT, DAR…). En ce sens, elle affiche une spécialisation fonctionnelle des espaces et elle est parcourue par de multiples intervenants en complément des enseignants réguliers. C’est une école repère pour les familles avec une équipe stable et soudée.
Les inégalités d’accès aux ressources éducatives
Elles sont affectées par des effets de lieu (mais qu’il convient d’analyser à des échelles différentes notamment intraurbaines car de fortes différences selon les quartiers peuvent se faire sentir) et des effets de classe qui peuvent justement compenser positivement des effets de lieu défavorables et des effets de mobilités qui sont fonction de la desserte en transport.
Jean-François Thémines reprend la main sur le chapitre 8 pour dresser une synthèse à l’issue de ces portraits. Il en ressort que l’équité territoriale est difficile à atteindre d’où la recherche de seuils pertinents : la démultiplication des plans d’observation de l’espace (photographies variées, bien plus que les vues générales des bâtiments), matérialité des composants de l’espace montrant des limites d’accès, configurations localisées qui influencent le renforcement ou l’atténuation des réalités).
L’école peut être le pôle central de l’espace communal, elle est investie par les élus et les parents comme une vitrine. Elle peut structurer un espace local en mutation dès lors qu’il y a bonne connaissance des partenaires et des diagnostics. Ou alors, il y a déficit de force structurante, on laisse faire le sort et on investit peu le local. Parfois pire encore, les inégalités se creusent encore, différentes tensions ont toujours cours.
La distance peut être vue comme physique bien sûr mais également sociale, symbolique et relationnelle.
En définitive, nous avons là un contenu qui apportera sa pierre à l’édifice général de la géographie de l’Ecole. Pris sous l’angle méthodologique, le propos pourra dépasser le seul cadre du Calvados où cette réflexion sur la monographie pourrait s’étendre à d’autres territoires pour multiplier ces portraits d’école. Riche de figures, surtout les schémas synthétiques présents à la fin de chaque chapitre, l’ouvrage montre également une belle écriture de la part d’étudiantes à ce niveau du cursus. Dans une période où on veut encore avancer le concours et le simplifier davantage, il est très agréable de lire des écrits de cette qualité. C’est aussi l’adossement à la recherche, lui aussi menacé et à défendre, qui a permis de telles circulations structurantes entre formateur et étudiantes.