C’est par cette question pertinente que le fils de Jean Ziegler ouvre ce petit essai à destination de tous et des plus jeunes en particulier.
Cet ouvrage est une réédition de celui paru en 1999 sous le même titre, un des premiers de la petite collection lancé par Le Seuil conçus sur le même modèle, un dialogue plus ou moins fictionnel entre un spécialiste du domaine présenté et un enfant.
Qui dit réédition dit actualisation… Le choix fait ici : Une préface à la réédition présente les chiffres et données de 2010, mais le corps du texte reste inchangé et est donc illustré par les actualités de la fin des années 90.
Jean Ziegler fut professeur de sociologie à Genève puis à La Sorbonne. Il fut également rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation des populations du Conseil des droits de l’homme de l’ONU de 2000 à 2008. Ses écrits trahissent une grande méfiance à l’égard de l’économie, de la finance et de la mondialisation dérégulées. On retrouve dans cet ouvrage son hostilité à l’égard du FMI et des multinationales, américaines, notamment.
On meurt de faim dans l’indifférence
Le ton de l’ouvrage est engagé, on sent poindre la colère de Jean Ziegler au détour de chaque phrase et l’indignation ainsi que l’incompréhension faussement naïve au creux des questions posées par son fils.
L’ouvrage s’ouvre sur l’actualité africaine de l’année 1999 et les famines ravageant la Somalie comme la Sierra Leone, le Soudan ou la Corée du Nord.
Fort de son expérience de terrain liée à son rôle de rapporteur sur le droit alimentaire auprès de l’ONU, Jean Ziegler n’épargne aucun détail des dégâts de la faim sur les êtres humains de ces contrées abandonnées.
A l’aide de l’exemple somalien, l’auteur dénonce les guerres tribales ou claniques qui ravage ce pays dont l’économie du nord du pays est pourtant florissante, il relate également le détournement de l’aide alimentaire et le développement lucratif du commerce des otages.
Dans sa préface à la deuxième édition, l’auteur actualise ses exemples, qui restent cependant africains et insiste sur l’attitude des pays occidentaux et de leurs multinationales qui, pour des raisons politiques et économiques, organisent soit le pillage des terres, soit la hausse des prix des denrées agricoles…
Indigné, il dénonce également l’indifférence des Occidentaux à l’égard de ces famines banalisées par le flot médiatique ne suscitant plus aucune prise de conscience.
Or, les pays riches (qui financent la FAO) sont essentiellement des démocraties dont leurs dirigeants doivent, normalement, tenir compte de l’opinion publique…
Les dégâts de la faim dans le monde
En 1998, plus de 10 millions de personnes seraient ainsi mortes de faim et 828 millions ravagées par la sous-nutrition. En 2010, ce serait 1 milliard de personnes qui souffriraient de sous-alimentation chronique. Et parmi elles, ce sont logiquement les enfants les plus touchés par la faim.
Jean Ziegler insiste ici plus particulièrement sur un dégât méconnu provoqué par la sous-alimentation, la cécité, en rappelant que 80% des gens atteints auraient pu y échapper. Il cite aussi le noma, maladie de sous-alimentation de l’enfance qui détruit les tissus mous du visage
Ce sont les continents asiatique et africains qui souffrent le plus du fléau de la faim et, paradoxalement, les populations rurales de ces zones géographiques qui sont en premiere ligne. L’auteur souligne également que l’on peut mourir de faim dans les pays riches d’Europe ou ceux possédant de grandes ressources tels le Congo et ses sous-sols miniers ou le Brésil et ses terres agricoles.
Pourquoi la faim ? Des famines aux origines diverses
Si on meurt de faim encore au XXIe siècle, ce n’est pas un problème agricole mais social et économique selon l’auteur. Ce n’est pas un problème de technique agricole mais de redistribution des ressources à l’échelle du monde. Ainsi selon la FAO, la Terre pourrait largement nourrir 12 milliards d’êtres humains.
Ce constat permet à l’auteur de souligner que la faim n’est pas une fatalité et que chaque victime de la faim est évitable.
Cette inéquitable répartition des ressources agricoles se traduit au travers de la situation invraisemblable voire ironique des surplus agricoles de l’Union Européenne
L’auteur distingue deux types de famines : les famines conjoncturelles provoquées par un accident climatique, militaire ou politique et des famines structurelles liées aux insuffisances chroniques des structures économiques et politiques du pays.
Les guerres, souvent internes au pays pour des raisons ethniques, claniques, tribales, économiques, constituent la première cause de famine en détruisant les champs et en poussant la population rurale à fuir.
Les marchés, ensuite, sont la deuxième source de famine, selon l’auteur, le Chicago Commodity Stock Exchange.
Selon l’auteur, les matières premières agricoles ne devraient pas faire l’objet de transactions boursières et donc de spéculations aux conséquences souvent dramatiques. Il dénonce également le dumping agricole européen et l’acquisition par des fonds spéculatifs de terres arables des pays de l’hémisphère sud.
Puis l’auteur évoque « l’arme alimentaire », utilisée pour certaines puissances afin de contraindre des Etats à respecter leur volonté. Cette arme peut également être utilisée par de grandes multinationales alimentaires telles Nestlé en 1971 qui dominait le marché du lait au Chili dont le nouveau président Allende, pédiatre, avait fait la promesse d’en distribuer gratuitement aux jeunes enfants. Cette arme alimentaire peut enfin être utilisée par un Etat contre son propre peuple comme en Corée du Nord ou en Guinée, par exemple.
Enfin, le climat a également une incidence sur le problème de la faim. La désertification parfois provoquée par la déforestation des hommes, les inondations ou sécheresses dévastent les terres agricoles et les rendent provisoirement ou définitivement improductives jetant sur les routes des réfugiés d’un nouveau genre, ne bénéficiant encore d’aucun statut international comme les réfugiés politiques, les réfugiés écologiques.
La dernière menace en date relevée par l’auteur est celle des agrocarburant qui monopolisent des surfaces considérables de terres agricoles : 50 litres de bioéthanol, c’est 358 kg de maïs brûlés, soit un an de ration alimentaire pour un enfant de Zambie ou du MexiqueZiegler Jean, La faim dans le monde expliquée à mon fils, Le Seuil, 2011, p. 16-17..
Comment lutter contre la faim ?
En assurant une distribution équitable des ressources agricoles. Mais comment ? Une organisation de l’ONU, la FAO née en 1945, est spécialement chargée des questions alimentaires et agricoles dans le monde. Cependant, la FAO doit faire des choix dans les pays à aider, tout comme, les médecins, sur le terrain, doivent « trier » les affamés entre ceux qui ont une chance de survivre et… Les autresOp. Cit. p. 34-35 et 40..
Il faut également et surtout, réformer la Bourse des matières premières agricoles de Chicago afin d’éviter la spéculation sur ces ressources.
Enfin, cette lutte passe également par la sensibilisation de la population des pays riches à ce fléau qu’est la faim, au travers de l’école notamment, que Jean Ziegler accuse de ne pas faire son travail. En effet, la faim ne figure directement dans aucun programme scolaire français, à ce jour. La raison, selon lui ? La honte. Cette omission est aujourd’hui réparée puisque les questions des ressources alimentaires et de l’accès à l’eau sont désormais abordées en classe de 5ème dans le nouveau programme.
Conclusion, un ouvrage engagé
Le ton est engagé, les récits d’expériences et les mots employés sont chocsDans sa préface, l’auteur parle de tribunal de Nuremberg à mettre en place pour les spéculateurs des matières agricoles et de crimes contre l’humanité, p. 20. , l’auteur joue beaucoup sur l’émotion et l’indignation pour réveiller la raison. Ce choix s’explique aisément par les missions pour la faim qu’a effectué Jean Ziegler auprès de l’ONU. Et c’est dans ces petits récits « des coulisses de la faim », que réside l’intérêt de ce petit ouvrage et qui peuvent illustrer un morceau de cours sur le sujet.
On regrettera cependant que le propos n’ait pas été mieux organisé. Le discours est séparé en plusieurs parties, certes, mais qui ne sont pas identifiées par un titre et parfois des redites existent, ainsi le thème de la guerre se retrouve souvent, décliné de différentes manières.
L’enseignant pourra y trouver un petit mémento, quelques chiffres, quelques récits concrets sur les dégâts de la faim pour composer un cours en 5ème ou seconde, par exemple.
Aussi, l’enseignant pourra également conseiller la lecture de cet ouvrage, et de ceux de la même collection, à ces élèves. En effet, ces ouvrages très clairs et pédagogiques sont à la portée des élèves de collège à partir de la 5ème.
Comme autre « petit livre » à proposer aux élèves sur ce thème, on trouvera aux Editions du Pommier (des éditions à recommander pour les enseignants, très pédagogiques), dans la collection « les petites pommes du savoir », l’ouvrage d’Yves Coquet et Alain Reullan, Les sols du monde pourront-ils nourrir 9 milliards d’humains ?. Ou encore de Laurent Bopp, Les poissons vont-ils mourir de faim (et nous avec) ?