Bertrand Badie et Dominique Vidal, 50 idées-force pour comprendre l’état du monde 2011. La fin du monde unique. Éditions La Découverte. Septembre 2010. 22 €. + accès au site. 311 pages.

La plupart des enseignants en histoire comme en géographie connaissent bien la série annuelle, de l’état du monde, publié aux éditions la découverte. La nouvelle formule de cette série offre, avec l’achat du livre, l’accès libre pour une durée d’un an au contenu de son site : l’encyclopédie de l’État du monde.
L’édition de cette année est à cet égard une véritable réussite. Les thèmes correspondent parfaitement à l’actualité immédiate et permettent de disposer de données actualisées, mais en même temps d’éléments pour nourrir les débats et réflexions.

On pourrait par exemple citer dans la première partie, intitulée : nouvelles relations internationales, cet article de Frank Petiteville «l’entre soi et la diplomatie de club», qui évoque avec beaucoup de pertinence la tendance actuelle à la « régionalisation » des relations internationales. Qu’il s’agisse d’entités géographiques, comme les pays de l’asean ou ayant des intérêts communs, comme les grands pays émergents, c’est bien une diplomatie de club qui se met en place aujourd’hui.

Frédéric Charillon, évoque pour sa part la stratégie des trublions, on pense nécessairement à l’actuel président iranien, partie prenante des relations internationales, et facteur probablement de déstabilisation. Même si on a pu considérer les excès de Mahmoud Ahmadinejad comme insignifiants, cela n’a pas empêché l’Iran de constituer un réseau diplomatique avec des pays aussi différents que le Brésil ou la Turquie, sans parler du Venezuela, dirigé par un autre trublion, Hugo Chavez.
On lira avec beaucoup d’intérêt dans cette partie l’article de Michel Real consacré à la Russie et l’organisation de coopération de Shanghai. Cette organisation qui associe la Chine et la Russie à leurs voisins d’Asie moyenne, participe clairement de la régionalisation des relations internationales que nous avions évoquée plus haut. Les intérêts énergétiques communs des deux géants, leur volonté commune également d’exercer un contrôle sur leurs voisins, mais en même temps leur rivalité, les amener à trouver dans l’organisation de coopération de Shanghai un terrain dans lequel, sans le regard des États-Unis, ils peuvent se livrer à leur jeu diplomatique.

Dans la deuxième partie consacrée aux questions économiques et sociales, on retrouve certains grands thèmes qui ont été très présents cette année dans l’actualité internationale, comme les diagnostics contradictoires sur l’état de santé de l’économie mondiale. La question de la finance déréglementée et celle des limites du modèle mis en place à Dubaï, attirent également l’attention. Dans les deux cas, il s’agit, loin des caractérisations morales, de savoir si l’on peut se passer aujourd’hui un système de transfert des capitaux instantanés, qui, s’ils peuvent alimenter une spéculation non productive, n’en reste pas moins indispensable pour injecter dans l’économie productive des liquidités. La question qui bien entendu reste posée est celle de la régulation.

Jacques le Cacheux, présente également une question qui sera souvent posée en 2011, celle de la réforme des normes comptables et prudentielles, à savoir le rôle que peuvent avoir les agences de notation, dont le rôle dans la crise des dettes souveraines, et l’indépendance à l’égard des marchés, a pu être très largement discuté en 2010.

Dans la troisième partie, société et développement humain, on traite par l’intermédiaire de Stéphane Parmentier, de «l’éradication de la faim». Il est vrai qu’en 2010, les Nations unies ont annoncé que le nombre d’habitants souffrant de la faim est passé en dessous de la barre du milliard. Mais il semblerait que la hausse actuelle des cours des matières premières alimentaires ne refasse franchir ce seuil en 2011. Cette hausse des cours n’est pas forcément ni seulement liée à des facteurs naturels, mauvaises récoltes, sécheresse, incendie en Russie lors de l’été 2010, mais surtout à des positionnements spéculatifs sur ces marchés.

Quel que soit l’intérêt des articles qui traitent par exemple de «l’Italie, une société sous influence mafieuse», ou du «sport qui rendrait fou,» comme l’écrit Philippe Liotard, on est quand même étonné de l’absence dans cette partie, d’une analyse de l’évolution des IDH depuis 2009. Des changements notables ont été enregistrés en la matière, même si dans les progrès qui ont pu être constatés, la part de la Chine surtout, et d’autres pays émergents, semble avoir beaucoup pesé.

La quatrième partie traite de l’environnement et des nouvelles technologies.

Deux articles méritent à notre sens un intérêt particulier, Celui de Christian Bouquet, sur «la bataille pour la terre arable», qui fait le point sur les locations de terres agricoles en Afrique, par des pays du golfe persique, ou par la Chine. Ces locations de terre qui permettent sans doute de mettre en valeur un patrimoine important, peuvent être également assimilées à une forme de dépossession.

On lira également une «enquête sur l’écoblanchiment» qui décrit avec beaucoup de minutie les politiques des grandes entreprises en la matière. Les entreprises rejoignent ainsi les préoccupations des consommateurs, de plus en plus soucieux de l’impact environnemental de leurs pratiques consuméristes, et qui exigent de leurs fournisseurs une production « éthique », et «écoresponsable». Cet article a été rédigé par Karel Mayriand et Sylvie Trottier.

Enfin pour la cinquième partie, consacrée aux enjeux régionaux, on peut évidemment discuter des différents choix. Certes, avec Dominique Bari, on peut s’interroger sur «le modèle chinois qui serait à la recherche d’un nouveau souffle ?» Il paraît évident que pour les actuels dirigeants chinois, comme pour ceux qui sont déjà sur orbite pour diriger le pays dans les cinq prochaines années, un certain nombre de réajustements sont à opérer. Il est clair également que la Chine doit, pour maintenir son modèle de croissance, réaliser des ajustements, en matière sociale et environnementale. Ce processus qui a commencé il y a maintenant trois ans est désormais sur les rails. C’est d’ailleurs le cas de le dire, lorsque l’on a pu mesurer l’agressivité de l’industrie ferroviaire chinoise, dans la conquête du marché californien.

L’ensemble des grands thèmes qui ont été à la « une » cette année, comme la crise et l’union européenne, le terrorisme et l’insécurité au Sahel , la situation dans le Caucase, sont également présentés.

L’état du monde fait partie, pour ceux qui sont amenés à s’intéresser à des titres divers ou relations internationales, des ouvrages indispensables. On peut apprécier l’originalité dans le lien entre l’achat du livre et l’accès à une encyclopédie en ligne sur les géopolitiques contemporaines et c’est sans doute ce qui nous fera recommander à tout centre de documentation, son acquisition.

Mais dans le même temps, lorsque l’on regarde attentivement les auteurs, et pour certains d’entre eux, leurs orientations très marquées, on se sent également obligé d’adresser une certaine forme de mise en garde. Tout choix éditorial est forcément partiel, et parfois un peu partial. De ce point de vue là cet ouvrage n’échappe pas à ce constat.
C’est pour cela, que peut-être pour disposer d’une démarche plus équilibrée, on fera également référence, lorsqu’il sera publié, au rapport Ramsès, qui semble plus ouvert à ce que nous appellerions les points de vue dominants, tout en sachant que dans la matière il n’existe pas forcément de vérité absolue.

Bruno Modica