Le titre du livre de Franck Frommer intitulé « La pensée Powerpoint, enquête sur ce logiciel qui rend stupide » ne peut pas laisser indifférent.
En effet, nous sommes nombreux soit à avoir utilisé le logiciel Powerpoint soit à avoir assistés à des « projections » de slides de Powerpoint ! Sommes-nous pour autant devenus stupides ?

La question semble incongrue mais interpelle…

C’est pourquoi, tous, utilisateurs ou simples consommateurs, vous serez nombreux à dévorer les pages de ce livre. Certains voudront se déculpabiliser, D’autres chercheront l’argumentation qui jusque là vous aurait manquée pour rejeter l’utilisation de ce logiciel qui rend stupide.

Dès lors la question de fond s’impose avec force : le livre répond-t-il à l’attente du lecteur ?

L’auteur, dans le titre lui-même, nous annonce une enquête. Sachant que Franck Frommer a été journaliste pendant une dizaine d’années et qu’il a ensuite rejoint un groupe international exerçant dans le domaine de la communication et du web, nous sommes en droit d’attendre un travail dans lequel il aura démêlé l’écheveau de « l’originalité » de ce logiciel naguère élevé au rang de référence et aujourd’hui décrié.
Pour nous faire partager « son » enquête, Franck Frommer a articulé son livre autour de deux axes forts. Dans un premier temps il nous retrace l’itinéraire conduisant le logiciel Powerpoint de l’utilité à la nécessité. Et, dans un deuxième temps, il nous dépeint les tableaux successifs amenant ce dernier de l’épidémie à la pandémie.

Et, comme pour conjurer le sort, l’auteur achève sa démonstration par un modeste mais poignant plaidoyer pour une utilisation raisonnée du logiciel Powerpoint.

De l’utilité à la nécessité

Dans un premier chapitre intitulé « L’invention d’un média universel », l’auteur promène le plus jeune lecteur dans les méandres préhistoriques des supports qui ont permis depuis le début du XXe siècle à agrémenter, faute de toujours pouvoir argumenter avec force, les discours dans les réunions de tous genres. Mais, pour les anciens il s’agit bien souvent d’une petite promenade presque nostalgique où l’on redécouvre la trop fameuse firme 3M avec ses transparents et la société Kodak avec ses projecteurs puis ses rétroprojecteurs. C’est l’occasion aussi pour F. Frommer de retracer l’historique du logiciel Powerpoint en insistant lourdement sur son « inventeur » qui ne serait pas celui que l’on croit !

Après ces premières pages le logiciel Powerpoint s’inscrit dans une suite presque logique d’un besoin croissant de représentations visuelles. Et malgré tous les manques des anciens systèmes présentés par l’auteur, « l’utilité » du nouveau système s’impose d’elle-même.

Une utilité que l’auteur développe notamment dans son deuxième chapitre lorsqu’il aborde « une autre manière de travailler ». Là encore F Frommer se permet un petit détour par l’histoire pour mieux faire saisir au lecteur les tenants et les aboutissants. L’auteur prend appui sur l’entreprise et son évolution. Il nous narre ainsi que l’évolution de l’entreprise d’abord calquée sur le taylorisme a engendré l’entreprise projet. Puis il nous précise que cette entreprise projet a de facto entraîné une multitude de réunions. Des réunions aux cours desquelles la projection d’un Powerpoint a très rapidement été « l’incontournable ustensile » d’une réussite assurée.

Et, à partir de là, l’auteur nous conduit au toboggan à pente douce qui nous fera glisser de l’utilité démontrée d’un logiciel de type Powerpoint à sa nécessité quasi absolue. Car, l’entreprise nouvelle a engendré « un salarié artiste et participatif » dévoreur de slides et de Powerpoint en tous genres. Mais, comme le souligne déjà l’auteur « Grâce au logiciel, bon nombre d’ingénieurs, de managers, de financiers s’inventent créatifs du jour au lendemain et consacrent des heures et des heures à concocter de belles présentations plutôt qu’à se consacrer à leur activité de base… ». Et d’ajouter que dans les projections de Powerpoint « ce ne sont donc pas la réponse elle-même, ni les éléments de contenu qui peuvent convaincre, mais la scénographie de l’expertise, sorte de petite pièce de théâtre où le jeu des acteurs, l’usage adéquat des accessoires, la prestation globale sont souvent plus déterminants que la réponse effective aux problèmes posés ».

Dès lors, F. Frommer identifie les aspects négatifs de ce que nous pourrions appeler la génération Powerpoint avant sa généralisation. Génération dans le sens de nécessité c’est-à-dire plus qu’un effet de mode, un outil incontournable pour être dans l’air du temps comme le note l’auteur dans son sous-titre « le temps, c’est de l’argent ».
L’auteur décrit par le « menu » tous les travers d’une utilisation écornée du logiciel. Il retrace ainsi l’abus du copier-coller et la « rhétorique des petits points ». Il insiste sur le langage rétréci et la syntaxe rigidifiée qu’implique le logiciel. Il dénonce les formules répétitives, les libellés elliptiques et les formules passe-partout qui, trop souvent, s’accompagnent de « guillemets » pour aboutir à des mots vides, parfois incompréhensibles quand ils ne sont pas tout simplement sans intérêt. Il y souligne aussi l’abus du lexique militaire avec des titres comme : tactique, stratégie, conquête, campagne, position, impact, feuille de route, etc.…

De plus, Franck Frommer analyse en profondeur tous les artifices qui font de l’usage du logiciel une uniformisation de la pensée à travers un « mode d’emploi » unanimement

accepté car supposé efficace. Que ce soit l’utilisation de l’article indéfini qui « permet […] de joindre le particulier et l’universel et de rendre le langage neutre et lointain » ; que ce soit l’excès de l’infinitif dont « l’injonction semble n’émaner de personne et ne s’adresser à personne en particulier » ; tous ces procédés confèrent au Powerpoint l’absence de statut, de destinataire et même d’auteur. Ce qui fait dire à l’auteur « qu’il y a comme une dilution de responsabilité […une] déresponsabilisation ou décontextualisation ». Ce qui rend le « document désincarné, immatériel » mais paradoxalement, lui « octroie une relative légitimité, voire une souveraineté, liée à cette apparence d’universalité et, souvent, d’inconsistance ».

Puis l’auteur condamne sans appel « l’obsession de la puce », ces formes de listes qu’il qualifie « d’une certaine paresse intellectuelle ». Ce qui l’amène, comme pour mieux nous convaincre, à relater avec force la mésaventure de la navette Columbia en 2003 qui, selon lui et les sources qu’il cite, aurait pu être évitée si les scientifiques n’avaient pas présenté leurs travaux sur le format des slides de Powerpoint. Et, à partir de là, Franck Frommer développe une série de cas, dans différents domaines, où l’utilisation du Powerpoint s’est imposé comme nécessité et qui a entraîné des conséquences parfois simplement fâcheuses mais le plus souvent catastrophiques.

De l’épidémie à la pandémie

Avec ce premier cas concernant la NASA, l’auteur jette le trouble. Jusque là, il nous avait présenté tous les travers d’une utilisation non raisonnée de ce logiciel. Il nous avait sans doute mis en garde contre les dangers que pouvaient présenter un cadre d’utilisation trop rigide ou une utilisation par des « apprenti sorciers ». Mais, avec son chapitre « du brouillage à la falsification » et surtout avec les exemples relatés, il nous ouvre les portes de l’enfer informatique. Un enfer où la déraison prend le pas sur la raison au nom d’une productivité douteuse. L’auteur nous explique comment l’utilisation du logiciel passe de simple outil à celui « d’arme » pour imposer ses points de vues, sa logique, sa stratégie.

Ainsi, dans une sous-rubrique intitulée « désinformer sur une pandémie », Franck Frommer nous présente quelques slides particulièrement « orientées » mais sans aucun fondement scientifique concernant l’épidémie (!) du H1 N1. L’une d’elle aborde par exemple, sous la forme d’un graphique la pandémie imminente suivie d’une succession d’épidémies pour aboutir dans 10 ans (ou 30 ans) à une nouvelle pandémie. Aucune rigueur scientifique n’y apparaît, bien plus, ce graphique relève davantage de la fantaisie graphique.
Mais, comme l’explique l’auteur, la présentation Powerpoint a acquit un tel statut de notoriété, un tel pouvoir qu’il s’impose presque naturellement à tous. Ce qui fait dire à l’auteur que « la généralisation de la diffusion [des] graphiques grâce au logiciel-roi a eu tendance à normaliser, voire amplifier une façon quelque peu illicite de produire du graphique avantageux ».

Mais au-delà de ces données mathématiques, Franck Frommer pointe également l’usage détourné des images dans les Powerpoint. Ainsi, toujours pour la prétendue épidémie/pandémie du H1 N1, l’auteur présente deux autres slides. L’une d’elle invite au port du masque et l’autre prône la réorganisation. Celle concernant le masque, présente la « photo d’un top model prise de dos et de trois-quarts, très légèrement vêtue d’un ensemble jupette/soutien-gorge et arborant un sac et un splendide masque Louis Vuitton ». Celle concernant la réorganisation, présente « un navire de guerre dans la pénombre simplement éclairée par une explosion ». Ce qui fait dire à l’auteur que c’est le goût pour l’exhibition […] qui pousse les concepteurs à intégrer des visuels pour séduire leur auditoire.

Puis, sur un terrain moins « épidémique » bien que l’idée maîtresse reste l’hypnose de la masse des consommateurs, Franck Frommer évoque le « spectacle total » au cours duquel le Powerpoint est utilisé comme une « arme » stratégique pour justifier la fin souhaitée c’est-à-dire : vendre son projet. « L’outil Powerpoint » est alors arrivé à transformer un simple exposé en une performance. Les exemples sont nombreux mais, d’après l’auteur, le maître en la matière reste le patron d’Apple. Franck Frommer ne résiste d’ailleurs pas à nous narrer « l’histoire » d’Appel étroitement liée aux performances de son patron, elles mêmes liées à l’évolution de l’outil informatique et surtout des présentations Powerpoint. Et comme pour finir sur ces utilisations destinées à « endormir » les populations, l’auteur retrace l’audacieuse innovation d’Al Gore qui, avec « Une vérité qui dérange (An Inconvenient Truth)» fait entrer le slide-show au cinéma. Tous les ingrédients sont réunis, graphiques, courbes, images et même interviews !

Après cette description des performances Powerpoint liée au business ou à la politique, Franck Frommer revient avec force sur la cause des « épidémies » voire des « pandémies » déclenchées ou soutenues par l’usage déraisonné du logiciel avec son chapitre intitulé « le pouvoir des consultants ». L’auteur nous décrit la nouvelle donne en matière de ce que l’on appelle désormais le management. Un management qui s’appuie largement sur « la pensée par modèles » à laquelle le Powerpoint offre toutes ses formes d’expressions. Mais, nous dit-il, « avec Powerpoint, on est contraint de formaliser une pensée en suivant un moule imposé et limité. La réflexion doit s’adapter à un format ; elle est comme filtrée, expurgée, mise au cordeau ». Dès lors fleurissent les « usines à slides ».
Conscients du savoir-faire qu’un « bon » Powerpoint exige, les entreprises, les administrations se tournent vers des consultants dont le seul métier consiste à produire le Powerpoint « idéal » pour emporter la décision, des Powerpoint trop souvent conçus sur la base des « gabarits magiques ». Des Powerpoint qui « ont ainsi favorisé une uniformisation du discours, une standardisation de la façon de proposer, d’échanger et de décider ».

De là à « la contamination universelle » comme le souligne le septième chapitre, il n’y a qu’un pas. En effet, du slide-show à l’Onu qui a permis à Colin Powel de légitimer l’attaque contre l’Irak aux « War room et jeux de guerre » par exemple celui de la campagne électorale de Bill Clinton en 1994, la « guerre.ppt » devient omniprésente. Mais pire encore comme le relate l’auteur à partir d’une citation, « c’est frustrant, parce que personne n’a de plan d’attaque contre les diapositives de Powerpoint ! ». Ou lorsque le chef des forces américaines et de l’OTAN en Afghanistan s’écrie : « Quand nous aurons compris cette slide, nous aurons gagné la guerre ! ».

Et, l’État français n’est pas épargné par cette spirale Powerpoint qui aspire tout et tout le monde. C’est ainsi que Franck Frommer, nous explique que lors de son arrivée à l’Elysée, Nicolas Sarkozy a impulsé la Révision générale des politiques publiques (RGPP). Mais, à l’arrivée se sont des cabinets de consultants externes qui ont été chargés de livrer « des paquets de slides Powerpoint » expédiés par mail sans commentaires.

Mais, d’après l’auteur, l’origine du plus grand « mal » remonterait au moment où le chef du personnel a été remplacé par le Directeur des ressources humaines. Dès lors, l’humai

n devenait un adjectif qualificatif du mot ressource et il s’agissait non pas de gérer l’humain, mais la ressource. Faisant trop souvent appel à des consultants extérieurs, les Directeurs de ressources humaines (DRH) se contenteraient d’utiliser (de mettre en pratique) des Powerpoint. Des Powerpoint dans lesquels l’auteur souligne que « personne ne parle réellement mais une entité émet des ordres et décrète. Le logiciel prend [alors] la place que l’acteur lui donne par consentement mutuel ». Et, le summum de l’absurdité est probablement atteint par France Telecom et son Powerpoint « Mettre en mouvement ».

Chacun se souvient et constate malheureusement encore chaque mois le nombre de suicides survenus à France Telecom. Peut-on pour autant incriminer Powerpoint ?

Oui et non. Powerpoint n’est pour rien, ni dans la restructuration, ni dans les licenciements massifs, ni dans les suicides. Et pourtant…

F Frommer à grand renfort de slides des fameux Powerpoint utilisés par France Telecom, démontre l’enchaînement quasi logique. A la lecture de ces slides souvent violents on peut aisément déduire que le salarié a été accompagné, doucement mais sûrement, vers la porte de sortie de l’entreprise. Tout est fait pour lui démontrer que le bateau « France Telecom » ne pourra éviter de sombrer que si lui se jette à l’eau. Et, comme pour « achever » le salarié, l’entreprise lui projette une slide intitulée « le positionnement du salarié et les phases du deuil » que l’auteur rebaptise « une corde pour se pendre ». En effet, la similitude est troublante entre la corde du pendu et la courbe qui passe de l’annonce du départ à la phase dépressive pour arriver (dans le meilleur des cas) à l’acceptation du départ.

Avec ce dernier exemple poignant, angoissant, on peut dessiner les contours d’une pandémie, mais pas celle de la grippe H1 N1, celle engendrée par une utilisation non raisonnée du logiciel Powerpoint.

La conclusion….

Enfin, l’auteur nous livre un chapitre intitulé « à l’école avec Powerpoint?». Partie très attendue surtout pour les enseignants mais qui aborde la question sous un angle large à savoir toute forme d’enseignement.

Franck Frommer constate notamment que le Powerpoint est très utilisé dans les formations professionnelles et nous décrit ses travers. En effet, il montre que la plupart du temps le formateur n’est pas le concepteur des slides. De là il en déduit que trop souvent la formation est vide, au moins de sens mais que le quidam quitte la salle avec son Powerpoint version papier comme pour justifier que maintenant il est effectivement « formé ou formaté ».

Les dangers paraissent ici, moins évidents à l’auteur qui y verrait davantage une certaine hypocrisie à vouloir prétendre former.

En revanche, F.Frommer avance que dans certaines disciplines, notamment scientifiques, le Powerpoint aurait son intérêt dans le cadre de l’enseignement supérieur. Il nous dit même que les Universités en seraient friandes à la condition que l’étudiant ou l’enseignant l’utilise comme support d’une argumentation orale bien travaillée. Pour l’enseignement secondaire et primaire, en France notamment, l’auteur précise que l’usage du Powerpoint n’est pas systématique il est même sporadique. En revanche il annonce une entrée progressive de cet outil via les Tableaux interactifs et le web en général.

Peu de « choses » en réalité sur le Powerpoint à l’école dans cette enquête ce qui, quelque part est rassurant puisque le « sanctuaire » semble pour l’heure assez épargné ou du moins lorsque le logiciel est utilisé, il le serait à bon escient !
Et, dans un dernier sursaut avant de refermer son ouvrage, l’auteur lance encore une ultime salve contre la « powerpointisation du monde » lorsqu’il écrit : « Powerpoint participe sans nul doute […] à l’analphabétisation du monde, à l’abandon du sens critique, à l’adhésion aveugle, à une nouvelle forme de servitude volontaire ».

En guise de conclusion, nous pourrions dire que ce livre « vaut le détour ». L’enquête menée est scrupuleuse, agrémentée de très nombreux exemples médiatisés par ailleurs. Le verbe est franc et clair mais on se doit de souligner que l’ensemble de cet ouvrage est conduit tambours battants à charge et qu’il serait opportun, pour se forger une bonne opinion de disposer d’éléments à décharge. D’un certain côté, la pensée Powerpoint décrite tend plus à instaurer une peur d’un objet non maîtrisable à priori qu’elle n’emporte l’adhésion d’une stupidité déjà réelle.

Jacques Muniga