Alors que les yeux sont tournés vers la crise de la dette et de l’Euro, d’autres échéances s’approchent pour l’Union Européenne: la redéfinition de la PAC, mais surtout de sa politique territoriale pour la période 2014-2020. La volonté de mieux équilibrer le territoire de l’Union Européenne s’appuie sur un dogme depuis la années 1990: la foi en le polycentrisme qui, par le renforcement et la meilleure répartition des réseaux de métropoles devrait rendre le territoire européen plus performant, notamment dans le cadre de la mondialisation. Erik Gloersen propose un regard scientifique et critique sur le polycentrisme, éclairé par la situation des pays Nordiques: de quoi faire en sorte que la politique territoriale européenne ne perde pas le nord!

Erik Gloersen (Genève) a travaillé pendant une décennie pour Nordregio, institut de recherche nordique en aménagement du territoire avant de soutenir sa thèse, dirigée par Guy Baudelle, dont ce livre est en grande partie issu.

Le polycentrisme, un objet hybride aux fondements scientifiques limités.

Le premier chapitre est consacré à l’avènement du polycentrisme comme projet territorial européen. Depuis les années 1990, et notamment le schéma de développement de l’espace communautaire (SDEC)approuvé à Postdam en 1999, l’Union Européenne favorise un développement plus équilibré de son territoire. Le but était alors de sortir d’une situation où l’UE n’était dotée que d’une grande zone géographique d’importance mondiale: le Pentagone (Paris, Londres, Hambourg, Munich, Milan.). Pour un meilleur équilibre, le SDEC proposait de construire une organisation en « grappe de villes et de réseaux urbains » complémentaires couvrant tout le territoire de l’UE. Ce projet s’appuyait sur toute une série de schémas-scénario dont la « grappe de raisin » de K. Kunzmann voir l’article de Guy Baudelle consacré aux « figures d’Europe ». Mais si Erik Gloersen décrit bien le polycentrisme à la fois comme un projet politique et un objet d’étude , il montre surtout la faiblesse des fondements scientifiques de cet objet hybride: il est pour le moins un peu rapide de partir d’un constat ( les villes d’importance mondiale se structurent en grappe) pour établir une causalité ( les villes doivent s’organiser en grappe pour prendre une importance mondiale); d’autre part, le polycentrisme n’est pas clairement défini dans le projet politique voir à ce sujet le texte du SDEC adopté en 1999 à Postdam, pages 25 et suivantes. Enfin, l’application du polycentrisme à trois échelles ( plusieurs centres complémentaires dans un tissu urbain, plusieurs villes dans une région urbaine, plusieurs grappes dans l’Union) semble négliger les fonctionnements propres à chaque échelle et à des espaces très différents au sein de l’Europe communautaire.

En outre, les outils de recherche institutionnels il s’agit des travaux de l’ORATE (Observatoire en réseau de l’aménagement du territoire européen et de la cohésion territoriale), financé par les fonds structurels pour nourrir de données, d’analyses et de cartes le projet souffrent des mêmes lacunes: les FUA (aires urbaines fonctionnelles), les MEGA (aires métropolitaines européennes de croissance) voir les [cartes reproduites p 53 et 54 de l’article de J.-P. Carrière->http://www.ums-riate.fr/documents/carriere.pdf] pêchent selon l’auteur d’une définition statistique perfectible, même si elles permettent de bien cartographier la démarche du SDEC.

Comment analyser les périphéries nordiques ?

Dans la seconde partie, l’auteur utilise les particularités des pays nordiques et surtout de leur parties septentrionales pour souligner les difficultés d’appliquer ces schémas européens. Il analyse les liens entre les politiques nationales pour soutenir ces régions et les politiques territoriales de l’Union Européenne. Depuis l’après-guerre, le solde migratoire des régions du nord de la Suède, de la Norvège et de la Finlande est négatif ; or le déclin démographique et le vieillissement touchent des régions où les densités sont déjà faibles. L’auteur évoque les politiques nationales de soutien à ces régions : de nombreux secteurs publics ou privés ont été subventionnés ou ont bénéficié d’allègements de charges pour continuer à fonctionner.

L’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’UE, l’insertion de la Norvège dans l’Espace Economique Européen auraient du remettre en cause ces aides très généreuses au nom de la « concurrence libre et non faussée ». en fait, les négociations d’adhésion puis celles concernant l’actuelle période budgétaire (2007-2013) ont permis aux pays nordiques de maintenir leur soutien aux espaces septentrionaux sous l’apparence d’une intégration à la politique régionale européenne.

Mais cette logique qui s’appuie sur une présentation de la périphérie nordique comme un espace d’exception, ne permet guère son intégration aux territoires européens au moment ou le renforcement de la région des détroits (Oresund) et les rivages baltiques risque de la marginaliser plus encore. Ce compromis sur les aides ne permet pas non plus d’analyser les difficultés particulières qui touchent ces espaces et y entraînent le déclin démographique. Les critères utilisés pour définir ces périphéries, faibles densités de population, faible accessibilité ne suffisent pas. Si l’auteur leur préfère le potentiel de population calculé dans un rayon de 50km , il remarque surtout que les indicateurs sociaux économiques (chômage, structure par âge) sont bien plus valables à l’échelle municipale qu’à l’échelle des régions: vu la grande taille de celles-ci, leur moyenne semble indiquer des situations banales, comparables à celle de régions plus au sud de l’Europe, alors que l’échelle municipale indique mieux une périphérie nordique criblée de nombreux espaces en difficulté. Si l’analyse à l’échelle plus fine permet de mieux exposer cette situation particulière, elle offre la possibilité de dépasser la vision d’un espace en crise tant il est également parsemé de pôles dynamiques et résilients, des petites villes côtières norvégiennes à Oulu, capitale du nord finlandais qui a vu sa population augmenter d’un quart dans les quinze dernières années sur la succes story de cette technopole, voir cette intervention au FIG de 2001.

Remettre à plat l’étude des poles urbains.

Cette mise en avant d’une incapacité des schémas territoriaux européens à prendre en compte la complexité reprend à l’échelle de l’Union dans la troisième partie. Erik Gloersen y montre d’abord que d’appliquer sans discernement le polycentrisme conduirait à renforcer les inégalités sur le continent plutôt que de les réduire. Sa démonstration s’appuie sur le travail cartographique effectué pour représenter les PUSH et les PIA, ces aires polycentriques à l’échelle intra et interurbaine. Erik Gloersen suggère alors de remettre à plat l’étude des interactions urbaines en sortant de la vision des villes comme de simples points, comme des espaces fermés ou comme faisant partie d’une hiérarchie.

Il veut offrir un outil montrant le potentiel de chaque aire urbaine, ses possibilités de s’associer avec d’autres. Mais pour l’observer dans des espaces comme la périphérie nordique, il faut une cartographie plus fine, utilisant des zones d’accès de 45 minutes autour d’un centre d’une aire de 5000 habitants, tout en tenant compte des possibilités de s’associer à plus grande distance: c’est ce qu’on fait les villes de la côté suédoise du Golfe de Botnie pour créer une ligne à grande vitesse les reliant; cette association de pôles distants se retrouve également avec la création du réseau multipolis dans le nord de la Finlande: un ensemble, dominé par la technopole Oulu, de centres d’expertise répartis jusqu’au cercle polaire (Rovaniemi).

Toute cette série d’expériences prouve le dynamisme et la coopération des acteurs locaux; ils montrent leur capacité à créer de la « centralité » dans cette marge pourtant peuplée de moins de 3 millions d’habitants pour plus de 600000 km² , mais dotée de quelques solides atouts comme la présence de matières premières (minerais, forêts), d’une population avec un niveau d’éducation élevé et d’un intérêt stratégique ravivé par les projets d’axe de communication est-ouest à travers cette région.

Pour l’enseignant: un outil de réflexion fondamental sur les cartes.

Si ce livre se veut un appel à une recherche appliquée plus approfondie des perspectives de la politique territoriale communautaire, il peut nous apporter des pistes pour l’approche des territoires de l’Union Européenne par les cartes. Outre les cartes évoquées plus haut, l’ouvrage est construit autour d’une impressionnante collection: les cartes que l’auteur a conçues, celles qui ont été publiées dans le cadre du programme ORATE, ou celles qui ont accompagné l’avènement du polycentrisme. Le regard critique de l’auteur est constant, y compris pour ses propres réalisations, et savoir le mode de réalisation des cartes et ce que leur auteurs ou commanditaires voulaient leur faire dire est assurément un bon moyen de sortir d’une analyse « naïve » des documents cartographiques avec nos élèves.

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