C’est par un ouvrage transdisciplinaire, collectif et international, que Grégory Hamez et Jean-Marc Defays proposent un état des lieux de la recherche dans le domaine des border studies. Grégory Hamez, professeur des universités à l’Université de Lorraine dans le laboratoire LOTERR dont il est le directeur, constitue un des auteurs principaux. Par le prisme de la transition, son laboratoire se pose en pointe sur l’étude des frontières et des espaces transfrontaliers. La méthode passe par le croisement des sciences sociales. Jean-Marc Defays, quand à lui, est linguiste et professeur de didactique du français langue étrangère à l’Université de Liège. Il s’est intéressé à la question de l’apprentissage des langues. Il pose également le lien entre la langue et sa pratique, notamment dans son apprentissage.

Cet ouvrage collectif utilise la région de Sarre-Lorraine-Luxembourg pour montrer la complémentarité de la recherche en sciences sociales pour aborder les territoires transfrontaliers. On peut ainsi remarquer des méthodologies diverses et complémentaires. La place importante de la linguistique, via des auteurs en langue française et allemande, démontre la dimension culturelle, propre aux nouvelles recherches en sciences sociales.

L’ouvrage est découpé en 12 chapitres, plus ou moins théoriques. Les auteurs ont ainsi cherché à développer un point épistémologique ou à démontrer de l’intérêt d’une méthodologie. Il développe des thématiques comme la mobilité, la gouvernance ou l’enseignement professionnel. Cela permet d’élargir le propos même si certaines productions manquent de vulgarisation par rapport à d’autres. L’ouvrage commence par une introduction par Grégory Hamez des auteurs principaux. Il pose ainsi les trois grandes thématiques avec l’axe des « représentations », l’axe de « la formation et de l’emploi » et l’axe de « l’aménagement » (p°8).

Le premier chapitre, rédigé par Jean-Luc Deshayes, sociologue, pose la question de l’étude transfrontalière via l’analyse des discours autour de l’expression de « laboratoire de l’Europe ». L’auteur permet d’observer les changements qui s’opèrent via le concept « d’espace social » (p°21) et montrer « les articulations entre espaces et rapports sociaux ». Il explique ainsi la prise en compte du transfrontalier comme le produit des interactions des individus.

Le chapitre 2, rédigé par un ensemble de huit chercheurs (Sebastian Weier, Astrid Fellner, Joachim Frenk, Daniel Kazmaier, Eva Michely, Christophe Vatter, Romana Weiershausen, Christian Wille), travaille la notion de « bordertextures » et élargit les exemples frontaliers pour proposer un regard centré sur la littérature. Cela permet de confirmer l’ouverture aux autres sciences de l’objet frontalier. La notion est d’ailleurs définie en tant que « structure tissée à partir de pratiques et de discours présentant d’innombrables points de référence dans le domaine de la politique, de l’économie, du droit, de l’appartenance ethnique, du genre, de la sexualité… qui constitue la frontière sous forme de topos et de trope » (p°30). Le regard se veut donc dépassant le cadre politique, ce qui peut, malgré tout, être questionnable dans certains cas en cherchant à minorer l’approche territoriale.

Dans le chapitre 3, Christian Wille, chercheur en sciences sociales et culturelles à l’Université du Luxembourg, questionne la place de l’identité transfrontalière. Il adopte une démarche pertinente qui associe dimension institutionnelle et culturelle dans son analyse pour l’associer à une pratique identitaire des territoires transfrontaliers (p°52). Il insiste également sur l’importance du Luxembourg dans le développement de la région.

Dans la deuxième partie, consacrée à la question de la formation et de l’emploi, l’accent est porté sur le lien visible entre appropriation transfrontalière et pratiques professionnelles, via des opportunités permises par les langues et des structures éducatives partagées.

Le chapitre 4, rédigé par Rachid Belkacem, socio-économiste de l’Université de Lorraine et Isabelle Pigeron-Piroth de l’Université du Luxembourg, développe la thématique de la mobilité professionnelle comme facilitatrice de l’intégration transfrontalière, insistant sur l’importance de la jeunesse de cette main d’œuvre. De ce fait, elle apparait plus versatile pour ces entreprises (p°87). La mobilité « peut être analysée soit comme une condition, soit comme une contrainte ou encore comme une ressource construite ».

Le chapitre 5 reprend la démarche géographique pour développer la question de l’apprentissage via les travaux de Inès Funk, Birte Nienaber et Peter Dörrenbächer. La méthodologie apportée permet d’insister sur la place de la gouvernance interrégionale et les liens informels entre les acteurs favorisant la proximité et les échanges (p°111).

Le chapitre 6, rédigé par Claudia Polzin-Haumann et Christina Reissner (linguistes et didacticiennes à l’Université de la Sarre) montre l’articulation de la coopération transfrontalière. Elles partent de la représentation que les individus ressentent par rapport aux langues des pays voisins. Cela va notamment se concrétiser par leur apprentissage dans un cadre scolaire.

Enfin, le chapitre 7, par Jürgen Michael Schulz de l’Université de Trèves, réfléchit à des modèles d’apprentissage de la langue en milieu scolaire, différenciant le milieu professionnel et le milieu général, insistant sur l’importance du plurilinguisme afin de favoriser l’intégration professionnelle.

La dernière partie, portant sur la question de l’aménagement, s’initie par le chapitre 8. Le fil rouge de cette partie est centré autour d’un intérêt sociétal de l’aménagement et de l’avenir de cette grande région. Initié par un groupe d’une dizaine d’auteurs, cette partie initie une réflexion théorique pour expliquer ce qui apparait comme un « paradoxe » (p°159). D’un côté, la nature de la logique transfrontalière. De l’autre, ce que représente un aménagement, très souvent associé à un territoire et des acteurs particuliers, difficilement transfrontalier. Cette partie passe par un travail de définition qui permet d’ouvrir le débat autour de ces projets.

Le chapitre 9, par Karina Pallagst (spécialiste en aménagement à l’Université technique de Kaiserslautern) lie une dimension théorique de l’aménagement dans le contexte de villes en décroissance, qui touche certains exemples de la Grande Région et pris en compte par l’UE via « le projet PlanShrinking » (p°184). Ce plan constitue un « courant émergent » de l’étude de l’aménagement du territoire (p°188).

Les chapitres 10 (rédigé par Anja Reichert-Schick), 11 (rédigé par Beate Caesar) et 12 (rédigé par Estelle Evrard, Adolfo Sommarribas et Birte Nienaber) insistent sur trois questions centrales de l’aménagement de la grande région. La population transfrontalière amène à questionner les représentations individuelles et la cohabitation difficile dans certaines communes. Les réseaux de transport permettent d’insister sur la mobilité difficile des espaces ruraux. Enfin, la remise en cause de Schengen dans des contextes forts de retour des contrôles aux frontières résonne particulièrement suite à l’épidémie de Covid-19 malgré sa rédaction antérieure.

On peut ainsi retenir un ouvrage qui associe réflexion théorique et outil de travail pour les acteurs de la grande Région. Certaines des productions peuvent laisser imaginer une retranscription dans d’autres régions transfrontalières. Cette mise à jour des connaissances européennes portant sur les border studies servira donc à la fois aux étudiants et aux gouvernants, même si certains points manquent d’accessibilité pour servir la réflexion. On peut aussi l’utiliser pour se questionner sur la place de nos disciplines par rapport à la frontière (une place mineure de l’histoire dans l’ouvrage).