L’ouvrage de J. Binoche qui fut professeur à l’Université de Poitiers puis de Papeete embrasse la période allant de 1789 à 2016. Il s’agit à la fois du résumé et de l’extension de sa thèse achevée en 1987 intitulée Le rôle des élus de l’Algérie et des colonies au Parlement sous la Troisième République 1871-1940, U. de Poitiers.
A mesure que s’étend le second empire colonial français, la question des acteurs parlementaires émerge, reflet des évolutions statutaires nationales et témoin des scansions majeures de la période contemporaine (démocratisation, colonisation/décolonisation/départementalisation). Si une vingtaine d’élus représentent la France d’outre-mer sous la Seconde République, on en recense 75 en 1946, avant de revenir à une vingtaine d’élus – dont un tiers de femmes – dans les années 2010.
Le fil d’Ariane républicain
Cinq enjeux infusent la réflexion. Le premier rappelle l’esprit d’attachement des parlementaires ultramarins aux institutions démocratiques françaises et propose un parallèle entre affirmation républicaine et enracinement parlementaire. Le deuxième pointe la fusion de ces élus au sein des partis politiques français. Le troisième aborde l’épineuse question des ressources des territoires ultramarins, entre réclamations et indigence pérenne. Le quatrième développe la question de la décolonisation après 1945, portée par ces élus. Enfin, l’auteur souligne la normalisation de la représentation ultramarine, à l’œuvre depuis 1962.
Entre exotisme et mimétisme
Ces cinq problématiques structurent les sept chapitres de l’ouvrage dont les illustrations se limitent à des photos. Si le premier développe la généalogie de la représentation depuis la fin du XVIIIe siècle, portée par de copieux développements sur la séquence 1848-1958, il offre en revanche une trame chronologique quelque peu déséquilibrée, dont pâtissent la période 1789-1848 et plus encore 1962-2016 (une page).
Le deuxième chapitre analyse les spécificités des élections législatives ultramarines, ponctuées d’ accès violents, comme en 1910 à Pondichéry avec une centaine de tués ou blessés, mais aussi marquées par le »parachutage », à l’image de Michel Debré, député de La Réunion de 1963 à 1988 (il propose la création du BUMIDOM), après avoir été battu aux législatives de 1962 en Indre-et-Loire. Cette tendance s’applique aussi à des ultramarins élus dans l’hexagone, tel Gaston Monnerville, d’abord élu de Guyane avant d’être élu du Lot.
Le troisième chapitre examine les profils de ces élus exotiques, tous mus par la tradition républicaine, à l’instar de la Cochinchine, qui de 1881 à 1940, n’élit que des hommes de la gauche modérée ou du centre, par ailleurs tous Français d’origine. Ici, la distance tient une place conséquente : en 1902, il faut en effet 40 jours pour relier Paris et Saïgon. Cette difficulté présente toutefois un avantage, celui, inhérent aux empires, d’affirmer une large présence géographique et culturelle, renforcée par des élus – fonctionnaires et/ou autochtones – ancrés dans leur territoire (par exemple la Guadeloupe) et leur région (par exemple la Caraïbe).
Le quatrième chapitre s’arrête sur la relation entre parlementaires et conquêtes coloniales, jalon de la fin du XIXe siècle qui montre des élus ultramarins adeptes de la non-intervention dans les débats parlementaires au cours d’une période cruciale (1880-1914) pour l’impérialisme colonial français.
Quelles politiques ?
Le cinquième chapitre se focalise sur les politiques et les aménagements promus par ces parlementaires, fortement teintés de volonté décentralisatrice et assimilationniste. Ainsi des parlementaires caribéens proposent-ils dès 1890 la départementalisation des vieilles colonies antillaises. La modernisation industrielle, agricole et culturelle est vivement réclamée après 1945. Dans les années 1950, les parlementaires océaniens demandent la construction d’un aérodrome à Tahiti, l’Oubangui-Chari un chemin de fer, au moment de l’émergence de l’idée européenne, peu partagée par les parlementaires ultramarins. On peut ici noter l’absence de revendications liées à la mémoire de l’esclavage.
Le sixième chapitre met en lumière les courants indépendantistes des années 1950, notamment ceux à l’oeuvre en Algérie. La demande d’autonomie est alors contrebalancée, comme en Afrique subsaharienne, par un attachement à la France. Un certain nombre des parlementaires impliqués dans cette dynamique constituent les ossatures des nouveaux Etats indépendants, à l’instar de F Houphouët-Boigny, de L Sédar-Senghor, ou de G Lisette pour le Tchad.
L’ultime point de cet ouvrage évoque ces élites de la République, qui, parlementaires et/ou ministres, telle l’ex-Garde des Sceaux C Taubira (2012-2016), ont présidé aux destinées de lointains territoires, parfois depuis la Révolution.
In fine, cet ouvrage dévoile une diversité de situations et d’acteurs, servi par une ampleur chrono-spatiale. A ce titre, il fourmille d’exemples qui interrogent tout autant l’histoire politique que culturelle et révèlent en arrière-plan d’une part l’état de la métropole et d’autre part celui des territoires ultramarins. On peut toutefois regretter l’absence de cartes de synthèse et de tableaux statistiques qui auraient complété ce travail.
© Vincent Leclair