« D’amères destinées poursuivent sur les Romains le meurtre d’un frère, depuis le jour où le sang innocent de Rémus a coulé sur la terre pour la malédiction de ses neveux ». Cette phrase d’Horace rappelle à quel point la violence est présente à Rome dès le mythe fondateur de la cité et le meurtre fratricide de Rémus par Romulus. Jean-Noël Robert fait de ce thème de la violence à Rome l’objet d’étude de son dernier ouvrage paru aux éditions Les Belles Lettres, L’Agonie d’une république : La violence à Rome au temps de César. L’auteur, latiniste, historien de Rome et directeur des collections Realia et des Guides Belles Lettres des Civilisations aux éditions Les Belles Lettres, précise que la définition et la conception de la violence a évolué depuis l’époque romaine et qu’aujourd’hui nous ne lui donnons plus le même sens. Ce terme n’a pas toujours été considéré négativement. Ainsi, sous la république romaine, la guerre est vue de manière positive car elle permet la sauvegarde de la cité lorsqu’il s’agit de protéger les citoyens d’un ennemi. Selon l’auteur, les Romains ont également intégré à leur mode de vie certaines violences présentes au quotidien, dans les maisons, les spectacles, les actes religieux, la vie politique, la justice, etc. La violence est par conséquent une des règles de vie à Rome, c’est une norme à partir du moment où elle ne remet pas en question les valeurs de la cité que sont la fides, la pietas, la dignitas, la iusticia ou encore le mos maiorum. Ces vertus de la res publica permettent aux Romains de vivre ensemble et de se conduire en citoyens, c’est-à-dire en individus libres qui ne dépendent de personne, obéissant à la loi et non pas à un tyran ou à un maître. Toutefois, pour les Romains, la violence est la transgression de l’équilibre politique qui remet en cause les droits des citoyens. Cette violence a été exacerbée à différents moments de l’histoire de Rome et particulièrement au cours des deux derniers siècles de la république, des Gracques à Jules César. Dans ce livre, J.-N. Robert se demande quel lien peut être fait entre le développement de la violence et la fin de la république. Il cherche ainsi à savoir si la violence exacerbée échappant au contrôle de l’autorité républicaine est à l’origine de l’effondrement républicain.
L’organisation de l’ouvrage est tout à fait original, car l’auteur alterne des chapitres d’analyse et des « Relations », c’est-à-dire des reconstitutions qui s’appuient essentiellement sur les textes antiques malgré leurs approximations et leurs erreurs, comme le reconnaît J.-N. Robert. Toutefois, il s’agit non pas de parties romancées mais de récits dans lesquels J.-N. Robert raconte à partir de ce que disent les auteurs. L’auteur justifie ce choix par la volonté de donner du rythme à la lecture et rendre plus vivante la période étudiée, mais aussi pour restituer l’atmosphère de cette violence vécue par les Romains à la fin du premier siècle avant notre ère. Ainsi, après un premier chapitre sur la violence quotidienne dans les rues de Rome et un second intitulé « Le commencement de la fin », il nous narre les fins tragiques des deux Gracques, Tibérius et Caius. Le troisième chapitre s’arrête sur les violences liées aux guerres civiles, à la suite duquel l’auteur à choisi de nous conter la violence des proscriptions à Rome. Enfin, le quatrième et dernier chapitre évoque l’utilisation du peuple lors des guerres civiles. J.-N. Robert termine son ouvrage en incluant successivement quatre narrations ayant pour objet la conjuration de Catalina, le personnage de Publius Clodius Pulcher, la mort de César et enfin une présentation de Marcus Junius Brutus.
L’ouvrage est accompagné d’une chronologie d’une quarantaine d’évènements plus ou moins détaillés en fonction des besoins de l’auteur. On trouve également à la fin du livre deux cartes très intéressantes pour visualiser les lieux mentionnés par J.-N. Robert : la première, un plan, montre le Forum au dernier siècle de la République et la deuxième présente l’Italie au deuxième siècle avant notre ère.
Pour conclure, nous pouvons dire que l’auteur réussit son pari. L’alternance entre les chapitres et les « relations » donne un véritable rythme et rend la lecture agréable. L’ouvrage permet d’avoir un regard différent sur cette fracture que Rome connaît de Tiberius Gracchus à Octave, au moment où la liberté revendiquée par les Républicains comme Brutus, « est devenue indissociable de la violence et du sang, des guerres civiles et des conjurations, au mépris des lois divines et humaines ».