Jean-Paul Desprat est l’auteur de nombreuses biographies. Il vient également de traduire récemment un texte inédit d’Alexandre Dumas. Le principe défini de la collection « Dictionnaire de curiosités » tient dans le projet de proposer un kaléidoscope d’une période, en cherchant à mêler « savamment l’anecdote croustillante, les événements majeurs et la recherche historiographique la plus pointue ».

D’autres titres existent dans la collection avec un ouvrage consacré à la Révolution ou un autre à la Renaissance, dont la critique est lisible ici. Une chronologie, une bibliographie et une table des entrées complète le livre. On a souvent des images toutes faites à propos du Grand Siècle, c’est-à-dire cette période qui s’étend de 1589 à 1715 dans les limites définies ici par l’auteur. Ces images sont souvent empreintes de religion, d’art ou de préciosité par exemple.

La place évidemment centrale de la religion

De nombreux articles sont consacrés à la religion et abordent aussi bien de grandes idées que des faits précis. Ainsi, on trouve des attendus incontournables comme Saint Cyr ou l’édit de Nantes que l’auteur considère comme une « pré constitution » pour la France. Parmi les autres articles, l’un est dédié à la Compagnie du Saint Sacrement. Jean-Paul Desprat s’intéresse également à des aspects moins évidents avec le richérisme et le parochisme. Ces précisions permettent d’enrichir les connaissances sur la période en évitant des images trop figées. En effet, on a souvent tendance à minorer l’ « apreté de la lutte …entre haut et bas clergé ». Edmond Richer remit ainsi en cause la hiérarchie ecclésiastique. On va enfin jusqu’à des questions à cheval entre religion et quotidien : ainsi doit-on considérer que le chocolat rompt le jeûne ? Enfin on retrouve des grandes affaires de l’époque comme les possédés de Loudun. Le tour d’horizon est donc varié.

Ressentir le quotidien

L’auteur s’attache également à nous donner à sentir le quotidien de l’époque. Grâce à un rappel très synthétique des travaux de Pierre Goubert, il croque en quelques chiffres la réalité : un tisserand pouvait gagner 108 sous par semaine, mais consommait 70 livres de pain, soit 29 sous en temps ordinaire. L’équilibre peut se révéler vite fragile.
Si l’on a plus d’aisance on consommera peut-être asperges et petits pois qui furent les « deux folies légumières du Grand Siècle ». C’est le moment aussi où les livres de cuisine s’adressent désormais aux ménages bourgeois et font la part belle aux légumes. On a même droit à la recette de la poule au pot !
Au quotidien, il faut ne pas oublier le rôle essentiel des porteurs d’eau : cela occupait 3000 personnes à Paris à l’époque et cela ne se faisait pas n’importe comment. Ils étaient précieux aussi pour lutter contre les incendies. L’auteur prend aussi le temps de décrire les vêtements avec gants, manchons et distingue les accessoires comme l’aumonière ou la canne.
Jean-Paul Desprat livre des passages plus lestes et se livre à un « coming-out » de plusieurs personnages de l’époque : le duc de Vendome, un fils de Colbert ou les ducs de la Ferté. Là encore et comme souvent, Saint Simon fait mouche par l’art de la formule : « il savait force grec et il en avait aussi les mœurs. »

Donner à lire des textes d’époque

C’est une bonne idée que de s’appuyer, voire de citer longuement, des textes d’époque, façon peut être de susciter l’envie d’aller, ou de retourner, vers eux. Ainsi l’auteur cite longuement Descartes et son raisonnement pour savoir si les animaux ont une âme. Il le fait aussi avec Bossuet et sa réflexion sur l’âge et la brièveté de la vie. « Ah ! que nous avons bien raison de dire que nous passons notre temps ! Nous le passons véritablement, et nous passons avec lui. »
Jean-Paul Desprat fait de même en s’appuyant sur les travaux de Maurice Lever avec les caquets de l’accouchée. Il s’agit de commérages imaginés et écrits par un homme. L’auteur suppose qu’une de ses parentes qui vient d’accoucher l’a autorisé à se tenir caché pour surprendre les discussions des visiteuses. Il ne faut pourtant pas y voir quelque chose de mysogyne. De nombreux autres articles s’appuient également sur des citations, certes plus courtes, mais tout aussi intéressantes.
On trouve enfin des maximes de La Rochefoucauld comme « nous promettons selon nos espérances et nous tenons selon nos craintes » ou encore « tout le monde se plaint de sa mémoire et personne ne se plaint de son jugement ».

Comment parlait-on alors ?

Plusieurs articles permettent également de ressentir ce que pouvait être la langue à l’époque. On découvre ainsi quelques-uns des mots créés à l’époque d’Henri IV avec leur première occurrence : 1592 vit l’apparition du mot récidive, 1602 celui d’ incendie et en 1610 catéchisme. On retrouve aussi la célèbre verve d’Henri IV notamment à l’égard des femmes. « Mes belles amours, ce sera demain que je baiserai ces belles mains par millions de fois ». En terme de support, il faut aussi se rappeler que c’est l’époque des gazettes. Il reste enfin de cette époque du vocabulaire comme « épater la galerie, les cancans ou chiourme ». L’auteur se délecte et nous régale également de quelques exemples du vocabulaire précieux. On ne dit pas livre mais maître muet, pas dents mais ameublement de la bouche !

Tout au long de ces presque 300 pages, on navigue donc entre 1589 et 1715, oscillant entre le très connu et le plus anecdotique. C’est un très agréable mélange à picorer au gré de ses envies, façon de consommer ce Dictionnaire, genre dont le Grand Siècle fut si friand.

© Jean-Pierre Costille Clionautes