Classique des programmes scolaires de géographie à travers les âges, la France est-elle questionnée en tant qu’objet d’étude à enseigner à nos élèves ? C’est la question qu’a voulu poser Jean-François Thémines dans cet ouvrage collaboratif où il s’est associé à 6 professeurs de collège et lycée en exercice dans l’académie de CaenStéphanie Caillé, Nicolas Cordray, Nadège Dubois-Ecolasse, Emmanuel Dugué, Eric Ratzel, Jérôme Fortier ainsi qu’à une collègue maître de conférences en sciences de l’éducation, Anne-Laure Le Guern.
Le sous-titre du livre, « propositions d’élèves et de professeurs », résume son esprit : expérimenter des situations de classes lors de chapitres aux contenus opérationnels tout en offrant un recul théorique sur les méthodes employées pour y parvenir.
Le fait est que l’omniprésence de la France dans les cursus n’aide pas à la questionner. Spatialement, sa définition apparaît évitée, en tout cas cadrée au moyen du « territoire » et non du/des « lieu(x) ». Son contenu est noyé dans l’usage banalisé de l’expression « géographie de la France » qui confond la « géographie-objet » (une réalité spatiale) et la « géographie-discipline » (des savoirs et savoir-faire permettant d’accéder à cette réalité). Confrontée à une actualité politique toujours forte, voire passionnelle, cette faiblesse du questionnement scientifique et scolaire place l’enseignant dans une situation de tension et d’engagement nécessaire. En tant qu’être spatial, animé par sa géographicité, il est partie prenante de ce qu’il transmettra aux élèves. En ce sens, Jean-François Thémines se propose d’utiliser le concept de « didactique géographique » pour illustrer les démarches des enseignants ayant expérimenté les situations de classes ici décrites, une approche qui « place au centre de ses préoccupations, les personnes concernées par la transmission et l’appropriation de contenus de géographie ainsi que les effets que ces processus produisent chez elles, au-delà de résultats à des évaluations scolaires classiques » et qui « cherche à se démarquer d’une conception plus techniciste et applicationniste de la didactique de la géographie développée par les concours professionnels internes et dans les ouvrages d’aides aux professeurs » (p 18). S’il n’est un avantage ou un inconvénient, le fait de travailler sur un objet aussi vaste pour les enseignants constitue une variable faisant que « la définition de l’« objet-France » est indissociable d’une autodéfinition des personnes impliquées, avec les outils de pensée de la géographie » (p 23).
Sur l’outillage, la critique est également formulée puisque, pour reprendre la formule d’un des enseignants, Eric Ratzel, la France apparaît « sui generis : son expression spatiale se fige en forme-contour dont la destination est d’être hantée par une grammaire du croquis jaillie ex machina » (p 93). En d’autres termes, il faut transmettre aux élèves des savoir-faire géographiques, une boîte à outils à affecter à un cadre spatial et c’est à l’échelle de la France que cette tâche incombe sans réelle justification. D’autres niveaux scalaires semblent plus garnis à l’image des territoires locaux, pour qui les habitants et les acteurs sont interrogés ou les échelons régionaux et européens, pour qui les sentiments d’appartenance ou d’unité sont abordés contrairement à la France.
Le contenu des six chapitres centraux présente des situations expérimentales faisant varier les outils (photographie, dessin, panneaux, pratiques de mobilité ou autres boîtes contenant des objets), les contextes (situations individuelles ou de groupe qui, parfois renforcent des choix des précédentes) et les publics (les plus jeunes du collège ont-ils nécessairement moins d’expériences spatiales que leurs ainés du lycée ?). L’iconographie dont il est rappelé que la sphère scolaire n’a plus le monopole est très mobilisée dans ce souci de faire parler les élèves sur leur « ici » et d’autres « ailleurs » et d’essayer d’articuler le « local » et le « national » en questionnant sans cesse le choix des lieux. Ce lieu est-il représentatif ? Si oui, de quoi ? Existe-t-il des lieux du même type ailleurs ?…
Les résultats montrent des données variées, parfois inattendues, mais toujours intéressantes. Certains élèves n’hésitent pas à passer par une sorte de « transfert » expliquant que, comme il est difficile pour un français d’identifier son pays, il peut apparaître judicieux d’en passer par des éléments parlants pour un touriste étranger. D’autres arrivent bien à identifier des images positives de la France et des images négatives qui n’évoquent pas la France mais peinent davantage sur des lieux plus « ordinaires ». D’où l’intérêt de typologies : la contribution de Nicolas Cordray mobilise les « hauts lieux », les « lieux intenses », les « hyperlieux », les « confins insignifiants », les « confins exotiques », les « lieux refusés ».
En fin d’ouvrage, Jean-François Thémines et Anne-Laure Le Guern reprennent un peu de hauteur pour modéliser à leur tour des idéaux-types de lieux. Après avoir rappelé les trois attributs du lieu (relation spatiale (R) faisant référence à un sujet (S) questionné sur son identité et rapportant ce questionnement à un groupe social (G)), les chercheurs proposent quatre catégories a posteriori (dépôt, imagerie, lieu problématique, lieu impression) faisant écho à des idéaux-types a priori ici au nombre de trois (non-lieu, lieu faible, lieu fort). Dans la foulée, ils offrent un portait des six enseignants du secondaire ayant participé à cette recherche et complète l’aspect géographique par une analyse des pratiques professionnelles.
Faisant suite à un ouvrage sur le territoire que la Cliothèque avait eu l’occasion de présenter, ce travail dirigé par Jean-François Thémines atteint son objectif de proposer des pistes originales pour questionner l’objet France dans les cursus tout en présentant des résultats chiffrés, concrets. On appréciera le rappel introductif de la définition du travail enseignant et de ses invisibles (les pratiques de classe + le travail en dehors de la classe qui s’accompagnent des prescriptions + recommandations + propositions + actualisations scientifiques), la reproduction de travaux d’élèves (même si le noir et blanc et la qualité d’impression n’autorisent pas toujours à se faire une idée nette des choses) ainsi qu’une belle bibliographie (même si certains titres cités dans les chapitres ne sont pas repris en liste de fin d’ouvrage) montrant que les enseignants en poste ont investi des références nombreuses.
Et si « l’enquête didactique en milieu scolaire, sur la nature du rapport géographique à la France, ne fait que commencer » (p 218), on ne pourra que souhaiter qu’elle se poursuive notamment en s’étendant au monde du primaire tant cet objet « France » est ancré dans les programmes et les pratiques des professeur des écolesVoir notamment les dernières recommandations pour la mise en œuvre des programmes: http://www.clionautes.org/?p=3200#.U-htRUgdvVQ et tant les élèves, à cet âge, équilibrent fragilement les apports des ressources académiques et celles provenant des sphères médiatiques et personnelles.