Compte rendu de Jacques MUNIGA

L’auteur de cet ouvrage est agrégée de géographie et docteur de géographie, elle exerce en qualité de professeur(e) des classes préparatoires au lycée militaire de Saint-Cyr-l’Ecole. Il faut par ailleurs souligner la collaboration à cet ouvrage d’Antoine FREMONT, agrégé de géographie et chercheur à l’INRETS. Il ne faut cependant pas en conclure que c’est un ouvrage à deux mains, un seul chapitre sur neuf est attribué à Antoine FREMONT.

Anne FREMONT-VANACORE a écrit, dès 1999, La France dans le monde , in Atlas de France, sous la direction de Th. Saint-Julien, vol.1, préface d’Hubert Védrine, Ministre des Affaires étrangères, La Documentation Française, Reclus, 128p déjà en collaboration avec Antoine FREMONT.

Mais le présent ouvrage publié dans collection Cursus d’Armand Colin est résolument tourné vers « les synthèses approfondies en phase avec les débats d’idées et l’évolution de la discipline » : tout un programme en somme. Qu’en est-il de l’ouvrage « la France en Europe » ?

Le titre lui-même manque d’originalité. Outre le fait que tous les manuels scolaires en font un titre de chapitre, « la France en Europe » ainsi intitulée invite indubitablement à un plan tiroirs. Si la formule semble avoir été adoptée ici, il nous reste à découvrir si, selon l’éditeur, elle nous permet « d’acquérir et de développer la maîtrise des savoirs ».

L’ouvrage est construit sur le modèle suivant :
– un chapitre qui traite d’un sujet précis,
– à la fin de ce chapitre un tout petit encart intitulé « synthèse » quelques petites lignes qui rappellent les résumés d’antan que l’on trouvait à la fin des leçons d’histoire ou de géographie mais celui-ci est bien plus court,
– une petite bibliographie qui permet d’en « savoir plus ».

Mais surtout, pour un tiers de l’ouvrage, deux sections très intéressantes intitulées :
a) documents et méthodes
b) repères et outils

L’introduction de l’ouvrage est brève. Anne FREMONT VANACORE place dès les premières lignes son fil conducteur. Elle nous dit que « la France ne peut se concevoir en dehors de son environnement européen […] Cet Etat de fait est vieux comme la France et l’Europe, mais sa prise de conscience est récente ».
Et pourtant ?
Qui de la France ou de l’Europe est plus ancienne ?
La prise de conscience que la France ne peut se concevoir en dehors de son environnement européen serait-il si récent que cela ? Sur quel plan se situe cette réflexion ? Soit.

L’auteur termine sa courte introduction en avançant que son ouvrage « propose en filigrane une méthode d’analyse de l’articulation, voire de l’interpénétration, des échelles à l’œuvre dans un ensemble, à la fois relativement homogène et divers, qui s’alimente de la diversité des éléments qui le composent, les dépasse tout en les englobant ».

Chapitre 1 : Identité de la France et identité de l’Europe.

Dès le début, l’auteur annonce la difficulté puisqu’elle précise qu’il faut « une approche nuancée [pour] donner à la contribution française sa juste place, sans négliger l’importance des racines européennes de l’identité française ».

C’est pourquoi Anne FREMONT-VANACORE propose un développement en trois temps. Elle présente d’abord les facteurs et vecteurs de l’influence française dans la construction de l’identité européenne, puis elle s’attarde sur la France et l’identité européenne pour finir en se posant la question : quelle exception française dans l’Europe d’aujourd’hui ?

Ainsi, en quatorze pages à peine elle passe du traité de Verdun en 843 à notre quotidien. Tout est balayé, rien n’est oublié. L’histoire, la culture, les idées, la révolution scientifique, la politique et le droit se pressent au fil des pages pour aboutir à la conclusion « une France de plus en plus européenne ». Européenne oui mais… car, « si Astérix et Obélix contre César (20 M d’entrées dans l’UE) ou Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain (10M) sont de facture française, voire gauloise, Le Cinquième Elément (19M) relève des recettes hollywoodiennes » ( !).

Chapitre 2 : La France et la construction européenne.

Onze pages plus une petite synthèse et une courte bibliographie nous dressent un tableau du rôle de la France dans la construction européenne.
Le chapitre est découpé en trois sous-chapitres. Le premier est consacré au rôle fondateur de la France. Là encore, nous pouvons « remonter » le temps puisque l’auteur nous emmène au XIVe siècle en passant par Lamartine et Victor Hugo puis Aristide Briand pour arriver à la déclaration de R. Schuman et en donner un extrait en encart. L’idée de ce tracé historique, la traçabilité dirait-on aujourd’hui, est fort intéressante. Il faut surtout souligner un intérêt évident. Mais on pourra cependant regretter que l’auteur n’ai pas pu (probablement parce que c’est impossible) arriver à un degré de synthèse qui conjugue concision et bonne compréhension.
Ensuite, reprenant en guise de sous-chapitre les propos de H. Védrine, « au cœur du compromis créateur » l’auteur nous livre un développement sur le moteur franco-allemand et la participation française qu’elle qualifie de « dynamique et inspirée ». Anne FREMONT-VANACORE argumente d’ailleurs ce « cocorico » par une suite interminable de dates qui sont, pour elle, autant de faits marquants.
Enfin, prenant du recul, l’auteur aborde la construction européenne vue de France. Un vaste sujet qui a fait couler beaucoup d’encre il y a peu encore. Mais surtout un sujet qui ressurgit au cours de chaque campagne électorale et pourtant… Après avoir dépeint le traditionnel tableau du « multiplicateur de puissance », l’auteur présente les Français comme « des Européens convaincus… mais critiques ». Quelques lignes seulement sur un point somme toute capital. En effet, la France en Europe sans l’adhésion des français est un leurre comme l’a été la reconversion des bassins miniers sans l’adhésion de la population minière. Et pourtant, à l’époque déjà, personne (ou presque – votre serviteur) n’y a prêté attention.

Chapitre 3 : Des milieux, des ressources et des risques partagés.

Sans transition aucune comme diraient les journalistes au JT de 20 heures, l’auteur passe au sujet environnemental et aux risques. Soit.
Dans cette partie, jadis classique, Anne FREMONT-VANACORE, nous redit, une fois encore, que la France appartient à l’Europe physique et qu’elle a cette particularité d’offrir à ses habitants et ses touristes la « palette [quasi complète] des domaines structuraux européens ». (Telle mère, telle fille serait-on tenté de dire).
Dans un deuxième temps, l’auteur aborde sous forme de question : « la France, pays vert de l’Europe ? ».
Le concept « pays vert » est tiré du fait que la France, hormis la Russie et la Scandinavie, dispose de la surface boisée la plus étendue (en donnée absolue ou relative ?). De fait, l’auteur s’interroge « si cette expression trouve aussi son sens en matière de gestion des ressources naturelles et d’environnement ». Pour amorcer sa démonstration, l’auteur nous décrit d’abord une série de défis communs aux pays européens comme les milieux fortement anthropisés et la dégradation des ressources communes. Ensuite elle nous dit que la « gestion des ressources naturelles doit désormais s’inscrire dans une logique communautaire » en passant en revue tout l’arsenal juridico-administratif. Oui mais au fait, la France est-elle un pays vert ? Pas de réponse. Enfin, Anne FREMONT VANACORE donne quelques pistes concernant les risques environnementaux notamment dans le cadre prévention / gestion.

Chapitre 4 : La population française, européenne et singulière.

Un sujet certes classique mais qui se veut original bien que le titre ne le traduise pas. En effet, ce n’est qu’au bout de quelques lignes de l’introduction que l’on comprend un peu mieux. En fait, l’auteur s’interroge « en quoi le profil démographique et le peuplement de la France relèvent-ils de logiques européennes et plus particulièrement ouest-européennes, tout en étant l’expression d’une singularité française ». Mais à la lecture de ses pages, on s’aperçoit qu’il s’agit davantage d’une singularité française, maintes fois décrite. Soit. Ce passage n’apporte rien de très original qui ne soit déjà décrit dans nos manuels. Quant aux deux autres points traitant de « la France dans l’espace migratoire européen » et de la « population active et [de la] société française en Europe », ils n’apportent guère plus que nos récents manuels.

Chapitre 5 : Paris, les villes françaises et les villes européennes.

Un constat : les villes françaises sont des villes européennes. Un peu d’histoire pour en assurer la traçabilité et une description du modèle urbain à l’européenne avant d’aborder les « villes françaises dans l’armature urbaine européenne ». Il s’agit ici d’un passage très classique agrémenté de graphiques et de cartes dont l’une est d’ailleurs extraite du livre de géographie 1ère Hatier mais de l’édition 2003 ( !). Enfin, un développement court, trop court même sur « l’émergence de coopérations et de solidarités urbaines » au sein de l’espace européen appelé un peu « improprement » l’intégration communautaire et les villes françaises.

Chapitre 6 : Un poids lourd de l’économie européenne

La France est la troisième puissance économique européenne. Son économie est décrite comme puissante et attractive bien que l’auteur précise qu’en matière de commerce européen, la France peut mieux faire. Puis c’est le tour aux entreprises qualifiées de « dimension européenne ». Beaucoup de chiffres, beaucoup de tableaux chiffrés dont certains peuvent effectivement être exploités en classe.
L’auteur s’attache ensuite à faire ressortir les « spécialisations françaises affirmées » malgré « un profil sectoriel européen ». Les pages ici sont plus « coulantes ». On passe de l’essor généralisé des services en Europe aux destins parallèles des industries en France et en Europe pour arriver au poids décroissant de l’agriculture. Quelques rappels intéressants même si la nouveauté n’émerge pas. Le cas français est ensuite abordé sous l’angle de sa spécificité tant sur le plan agricole que sur le plan de l’industrie et du tertiaire. Quelques documents accompagnent cette partie. Puis, l’auteur développe « la France au cœur du tourisme européen » qu’elle justifie en disant que « presque tous les Européens la perçoivent d’abord comme l’un des pays les plus touristiques du continent, si ce n’est du monde ».
Et un petit tour historique nous en apportera la preuve d’autant que la version de nos jours est une suite de chiffres incontestables.

Chapitre 7 : L’Européanisation de l’économie française.

C’est un chapitre très technique qui (pour une fois) se résume à deux sous-chapitres seulement. En fait, il semble bien que les éléments de ce chapitre soient le prolongement du chapitre précédent. Mais, probablement, les impératifs de l’éditeur n’ont-ils pas permis de les rassembler (l’auteur en est donc excusé).
L’auteur essaie de nous démontrer, à juste titre, que « la participation de l’économie française à la mondialisation s’inscrit dans un cadre européen ». C’est vrai. D’ailleurs comment pourrait-il en être autrement ? Pierre Beckouche n’a-t-il pas soutenu dans son livre « les Régions Nord-Sud » que la régionalisation était un préalable inéluctable à la globalisation ? Bref, cette dizaine de pages qui décrit le passage obligé de l’économie française par le cadre européen est agréablement « illustré » par des exemples concrets (peu développés) où un enseignant pourra puiser pour ses propres cours.

Chapitre 8 : L’insertion de l’espace français dans les réseaux de transport européens.

Ce chapitre a été écrit par Antoine FREMONT. Sans transition avec les précédents mais avec un rendu plus « souple » à la lecture.
Toujours en trois temps, cet autre auteur s’interroge d’abord sur la place de la France dans les transports européens. Il nous décrit une France qui se situe « entre une Europe du Nord et une Europe du Sud », avec un « système de transport efficace ». Le tout est bien documenté, tableaux et cartes réutilisables.
L’auteur poursuit en nous disant que « la logique nationale a jusqu’à présent prévalu dans la réalisation des infrastructures françaises de transport [mais que] l’intégration à l’Europe remet en cause cette conception hexagonale ». C’est certainement vrai puisque nous avons tous en mémoire les « réseaux français en étoile ». Là encore rien de bien nouveau sinon qu’une synthèse honnête.
Puis l’auteur s’attarde un plus longuement sur « l’Europe, un nouvel espace de référence ». Documents à l’appui, il nous amène du constat de « l’ouverture des marchés européens du transport » aux perspectives « d’une nouvelle politique des transports ». C’est là probablement un éclairage intéressant dont les enseignants pourront tirer profit.

Chapitre 9 : Régions et territoires de France et d’Europe.

Un chapitre tout entier consacré aux régions avec en point de départ « les régions françaises en Europe ». Une désormais traditionnelle description « centres et périphéries » vient ouvrir le présent chapitre avec une originalité, on y « parle » encore d’une Europe à 25. Nous savons que le livre a été édité en 2007 donc probablement écrit en 2006 ou avant. Mais, lorsque l’on annonce sur la couverture « des synthèses approfondies en phase avec les débats d’idées et l’évolution de la discipline » on pourrait (peut-être) faire correspondre la sortie d’un ouvrage avec les grandes étapes de la construction européenne ( !). Il en va tout autant de la carte sur les disparités régionales dans l’UE qui non seulement concerne l’UE à 25 mais décrit une situation de 2003. De plus, cette carte est publiée dans le manuel Hatier géographie de 1ère (ancienne édition) ! Quant à la carte sur les flux de travailleurs frontaliers aux frontières françaises elle n’est tout simplement pas datée. Passons pour l’échelle qui manque et le Nord, mais la date, tout de même !
Pour le reste des documents, tant les textes que les tableaux, peuvent effectivement être exploités dans un cours parce qu’ils permettront d’appuyer une démonstration que l’on retrouve dans tous nos manuels.

Mais…

à partir de la page 145, une véritable cerise sur le gâteau. Probablement le seul véritable intérêt de cet ouvrage. Il y a là, regroupés en trois sections :
– des études de documents avec une approche méthodologique intéressante (sept au total),
– une partie repère et outils composée d’une douzaine de documents variés,
– un lexique bien fourni.

Conclusion :
Ce livre présente un intérêt non négligeable pour sa partie documents et méthodes ainsi que celle intitulée repères et outils. Pour le reste (le livre en lui-même), on sent que l’auteur a été bridé. Son approche de la question était résolument tournée vers un apport nouveau, notamment au regard de nos manuels scolaires puisqu’il s’adresse en priorité aux enseignants et aux étudiants. Mais, la structure imposée par l’éditeur (elle apparaît clairement dans le découpage trop artificiel) a sans nul doute freiné l’élan d’Anne FREMONT-VANACORE. C’est bien dommage car la connaissance et sa transmission ne devraient pas s’enfermer dans l’économiquement rentable.

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