Un manuel ?
Telle est donc l’ambition de cet ouvrage divisé en quatre parties : la Chrétienté vers 1500, entre ruptures et refus du schisme, distinction confessionnelle et disciplinarisations et enfin guerres et paix de religion.
Il s’agit bien d’un manuel où tous les grands faits attendus sont évoqués. L’ouvrage fait le point aussi sur les nouveaux travaux des historiens et surtout sur les questionnements actuels. Il est complété par des biographies et une bibliographie.
Du point de vue purement formel, l’ouvrage gagnerait à être organisé avec davantage d’intertitres pour en faciliter la lecture. De même, trente pages de biographies sur les acteurs aide certes à la lecture pour se repérer, mais n’apparaissent pas forcément d’une grande utilité s’il s’agit d’un manuel. En revanche l’ouvrage fourmille d’exemples très utiles, dont une partie est tirée des travaux précédents de l’auteur.
L’auteur en profite aussi pour préciser les termes et enrichir la réflexion par des concepts. Ainsi tolérer ne veut pas dire la même chose hier et aujourd’hui. A l’époque, ça n’a rien de positif de tolérer l’autre.
L’état de l’Eglise en 1500 : une image à nuancer
En classe de seconde, on aborde cette question de la division religieuse de l’Europe et le livre peut permettre d’actualiser certaines connaissances. Les historiens sont revenus sur l’état des paroisses vers 1500 : en fait, la qualité du clergé s’améliore mais trop lentement face à l’impatience des fidèles, mais pourquoi cette urgence à cet instant ? Nicole Lemaitre explique bien l’importance du sentiment de la fin des temps qui aboutit donc à être impatient par rapport à une réforme. Attention aux anachronismes que véhiculent les mots car « réformer » ou « moderniser » n’a pas de sens pour un homme du XVI ème siècle, puisque la perfection du monde date de l’origine et pas du lendemain.
Luther et le début de la Réforme : tout n’était pas écrit.
L’auteur enchaîne ensuite sur les incontournables et notamment l’itinéraire de Luther en insistant sur son cheminement intellectuel. Elle montre bien qu’il faut réintroduire une part d’incertitude car Luther n’est pas depuis le début tourné vers la rupture. De même, l’épisode célèbre de l’affichage des thèses est aujourd’hui discuté.
Se pose ainsi la question des différents groupes, des séparations religieuses. Il ne faut pas juger en fonction de ce qui s’est passé ensuite. Ainsi, il n’était pas possible d’étiqueter tel personnage comme protestant ou catholique tant que les positions luthériennes et catholiques n’avaient pas été précisées. Or cette clarification eut lieu lors du concile de Trente entre 1545 et 1563.
Nicole Lemaitre interroge le rapport entre l’imprimé et la Réforme. « Ce qui fait le succès de Luther c’est un flot » d’ouvrages polémiques de peu de valeur. Mais en même temps les livres les plus imprimés sont des petits livres d’heures. Il faut songer que le théâtre et les images sont souvent le support des idées à l’époque. Cela amène à relativiser notre focalisation sur l’imprimerie et son rôle. De plus, la puissance de l’écrit imprimé ne facilite pas les discussions et les accommodements puisque le fait qu’ils restent, entretiennent la polémique, ou du moins sa possibilité. L’imprimé n’est pas toujours un progrès et ne véhicule pas automatiquement la raison et l’ouverture.
Distinction confessionnelle et disciplinarisations : de nouveaux concepts pour penser la situation.
C’est dans cette partie que l’auteur fait le point sur les travaux récents des historiens avec le concept de confessionnalisation pour expliquer le rapport entre pouvoirs, sociétés et religions. L’important est de voir en quoi ce concept se révèle utile. Il vise à montrer que les trois éléments fonctionnent ensemble.
Les confessions participent à la formation de l’identité dans les Etats ce qui permet de lier religion et construction des pouvoirs au XVI ème siècle.
Parmi les autres points utiles dans le cadre des cours, signalons que l’auteur consacre un chapitre au Concile de Trente. Nicole Lemaitre précise bien combien il faut abandonner l’idée d’un protestantisme synonyme de progrès opposé à un catholicisme forcément répressif et réactionnaire. Le concile est très bien accueilli et il a donc su exprimer un consensus catholique. Le chapitre suivant enchaîne sur la question de la contrainte et notamment des Inquisitions. En effet il faut en parler au pluriel car il en a existé au moins trois sortes. Son versant espagnol a nourri une légende noire véritable fond de commerce . Nicole Lemaitre dit bien que « c’est une institution plus célèbre que connue ». Contrairement à la légende, il n’y a pas des bûchers partout. Jamais le nombre de condamnations capitales n’atteint 4 % sauf peut être pour les vingt premières années. L’inquisition est un outil de gouvernement qui utilise la suspicion et la délation pour créer du conformisme. Tous ces éléments participent donc d’un processus de disciplinarisation, selon les termes des historiens actuels.
Guerres et paix de religion
Nicole Lemaitre explore la question de la violence pour faire comprendre comment on en arrive à un tel niveau. L’idée de guerre juste est à cet égard fondamentale puisque la guerre est censée établir la paix ensuite.
Ce chapitre permet aussi de faire le point sur les guerres de religion en France. Elles ont été appelées par les contemporains guerres civiles ce qui doit interroger. « Les mobiles religieux sont à la racine du conflit mais ils n’expliquent pas tout son développement, loin de là »
On passe de la volonté de violence à la volonté d’ordre en France à la fin du XVI ème siècle. Nicole Lemaitre rappelle les travaux de Denis Crouzet « obéir au roi de raison c’est se libérer de l’angoisse autrement en se soumettant à l’ordre voulu par Dieu ».
Au total, il s’agit d’un ouvrage utile avec de nombreux exemples qui intègre les apports conceptuels récents, mais qui parfois peut surprendre pour une première lecture, car peu est fait pour faciliter la lecture si elle est véritablement d’initiation.
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