Une somme. C’est le premier constat qui s’impose quand on se saisit de cet ouvrage polyphonique (60 auteurs) de 862 pages. On pourrait ensuite y percevoir un descendant plus ou moins proche de L’histoire mondiale mondiale de la France (Dir P Boucheron 2017), voire de 1515 et les grandes dates de l’histoire de France (Dir A Corbin, 2005). Mais non. Ce livre dirigé par le philosophe Y-C Zarka propose 59 sondages au cœur de la France, d’une dizaine de pages chacun, fondés sur des thèmes très variés. Ce florilège s’organise autour de quatre axes : les sensibilités (18 entrées), la langue française (6 entrées), les mémoires (20 entrées) et le couple Etat-société (15 entrées). Autant dire que l’historien y trouve son intérêt. Les contributions dévoilent de grandes signatures comme B Tavernier, C Gauvard, X Darcos, J-L Brunaux, P Birnbaum, ou P-A Taguieff. Des auteurs moins exposés mais très intéressants, tels J Couti pour son étude sur les récits créoles, A De Francesco sur la Révolution, N Petiteau, ou encore le sociologue E Letonturier pour son travail sur la grande muette complètent ce tour d’horizon des divergences hexagonales. Car chaque sujet développé ici est un carrefour d’opinions, un sujet de convergences et de divergences (cf Le président de la République : monarque républicain ? de J-M Denquin).
Ici… et ailleurs ?
Toutefois, la grande diversité des contributeurs génère un contenu scientifique inégal, voire décevant à l’image de la maigre analyse des frontières de la France par C Rouvellat, ou de la France et l’argent selon P Bruckner, mais aussi très enthousiasmant avec C Talon-Hugon et N Heinich et leurs contributions sur l’art contemporain, ou de C Godin sur les terroirs par exemple, qui écrit que le patrimoine national (des petits lieux, des terroirs) peut «être reconnu comme patrimoine de l’humanité», «fusion du plus singulier et de l’universel» (p78). Une conclusion à méditer en ces temps de repli identitaire. Cette dernière observation nous fait glisser vers un autre constat. En effet, cette France en récits manque cruellement de vues d’ailleurs, qui auraient sans doute apporté de la cohérence à l’ensemble proposé et une perception qui importe dans la construction de l’idée nationale et du vivre ensemble, soit un centre – la France – ne se constituant que dans un dialogue perpétuel avec sa (ses) périphérie(-s), fabrique d’une féconde interculturation.
Finalement, lorsque vient le temps de refermer ce livre, l’impression domine d’avoir quadrillé les débats contemporains, plus ou moins médiatiques, touchant au passé et au présent de la France. Ces débats liés à l’identité et à ses fragmentations, à l’égalité (des mémoires par exemple), à l’Etat toujours plus questionné, aux libertés (linguistiques, artistiques) rappellent que la foi en l’avenir reste un vaste chantier à l’orée du troisième millénaire. Une remarque à connecter sans doute aux travaux de F Hartog et de ses régimes d’historicité qui soulignent que seul compte désormais le présent, hanté par un passé fait de mémoires concurrentes. La France en récits est donc un livre destiné à tous les amoureux de la France qui s’interrogent sur ses caractéristiques contemporaines, fruit d’un riche et long héritage.
Signalons enfin que cet ouvrage a été conçu à l’occasion du vingtième anniversaire de la revue Cités (2000-2020), rendez-vous trimestriel incontournable de la philosophie politique.
La présentation de l’éditeur :