Cet ouvrage consacré à la Galicie au temps des Habsbourg, est constitué par les actes dʼun colloque qui sʼest tenu à Tours et à Paris en janvier 2009. Il comporte 21 contributions, dont 7 sont en allemand. En introduction, les éditeurs donnent un résumé des contributions.


La Galicie était une région située à lʼest de lʼEmpire des Habsbourg, à la frontière de lʼEmpire russe. Elle est actuellement partagée entre la Pologne et lʼUkraine. Sa ville principale était Lemberg ou Lvov ou Lviv, la pluralité des dénominations montre bien le caractère multiculturel de la Galicie.

Mise en perspective historique

La Galicie avant lʼannexion par les Habsbourg.

Lʼidentité galicienne naquit à la fin du Xe siécle lorsque le prince Vladimir, tout juste monté sur le trône de Kiev, conquit la Galicie.La Galicie, entre donc dans lʼorbite du monde russe. Au XIIIe siécle, elle est menacée par lʼavancée
mongole. En 1387,la Galicie passe sous le contrôle du roi de Pologne. Le fait que la Galicie se soit trouvée dans lʼaire politique et culturelle russe nʼest pas sans conséquence à long terme.
En effet, la Galicie fut christianisée par les moines orthodoxes. Lorsque le roi de Pologne prit le contrôle de la Galicie, il mena une politique favorable au catholicisme. Les orthodoxes de Galicie sont alors qualifiés de Ruthènes. En
1596, une grande partie du clergé orthodoxe se rallia à lʼUnion de Brest avec Rome. Il sʼagit des Uniates ou Eglise grecque de rite latin, ou encore
catholiques grecs. Lʼorthodoxie, bien quʼinterdite, semble avoir été longuement pratiquée. Par la suite,une partie importante de la population était uniate et, comme on le verra, les conflits entre catholiques et uniates (qui recouvraient des conflits entre Polonais et Ukrainiens) étaient fréquents. Par ailleurs,la Galicie comptait de petites communautés arméniennes et juives.
La Galicie connut une certaine prospérité au Moyen-Age, grâce au commerce du sel, et surtout des fourrures. La ville de Lvov (ou Lemberg ou Lviv), se trouvait sur lʼune des routes du commerce des fourrures.

Lʼintégration dans lʼEmpire des Habsbourg

En 1772,lors du premier partage de la Pologne, la Galicie fut intégrée au
royaume des Habsbourg sous le nom de province de la couronne ( Kronland) de Galicie et Lodomérie. Par la suite, dʼautres territoires lui furent rattachés, la Bucovine et la région de Cracovie. A la fin du XVIIIème siècle,la Galicie sʼétendait sur 150000km2 et comptait 3,7millions dʼhabitants. Lʼempereur Joseph II qui exerçait la corégence avec sa mère Marie-Thérèse, était un empereur modernisateur inspiré par la philosophie des Lumières.
Il effectua plusieurs voyages en Galice et accomplit une oeuvre réformatrice dʼenvergure. La Galicie fut administrée par un gouverneur, doté de pouvoirs importants, qui se trouvait à la tête dʼune administration relativement nombreuse. Joseph II limita les pouvoirs de la noblesse polonaise. Le gouverneur était “assisté” dʼune Diète, mais celle- ci disposait de peu de pouvoirs. Joseph II sʼefforça dʼaméliorer la condition paysanne, pas uniquement par philanthropie, mais pour accroître les ressources de lʼÉtat. Malgré les mises en garde de ses conseillers qui estimaient quʼil était “toujours dangereux de passer dʼun seul coup
de la barbarie la plus profonde à la plus grande perfection extrême dʼun État bien réglé “ (!),Joseph II mit un terme aux exactions les plus criantes dont étaient victimes les paysans (ils ne pouvaient plus être battus ou mis à mort sans procès), limita fortement la corvée et surtout abolit le servage en 1782.
Il entreprit également une réforme agraire en distribuant des terres prélevées sur les biens de lʼÉglise ou sur les terrains communaux. Dans le domaine religieux, la Galicie connut les mêmes réformes que le reste de lʼEmpire.
De nombreux couvents furent fermés,et les terres furent redistribuées aux paysans.
Joseph II réorganisa également lʼEglise uniate qui devint un élément essentiel dans la prise de conscience nationale ukrainienne en Galicie.
Marie-Thérèse et Joseph II, qui estimait que les Juifs étaient utiles à lʼÉtat,réorganisèrent les communautés juives. A la fin du XVIIIe siècle,la Galicie comptait 200000 Juifs. Les souverains autrichiens obligèrent les juifs qui souhaitaient se marier à payer une taxe ; ils obligèrent également les Juifs à prendre un nom de famille et les Juifs de Lvov ne pouvaient résider en dehors du ghetto. Mais en même temps Joseph II mena une politique relativement tolérante. De nombreuses contraintes pesaient sur les Juifs (impôts, restrictions professionnelles) mais les juifs galiciens bénéficièrent de plus de liberté et
dʼune sécurité personnelle accrue.
Au total, ces réformes facilitèrent lʼintégration de la Galicie à la monarchie autrichienne.
Elles provoquèrent une opposition réelle, mais modérée, de la noblesse polonaise,ce qui conduisit à lʼabandon de certaines réformes.

Lʼévolution de la Galicie jusquʼen 1919

Au XIXe siècle, la Galicie connaît le développement du mouvement des
nationalités, en particulier celui du nationalisme polonais.Le soulèvement de Varsovie en 1830 fut suivi avec attention en Galicie et donna naissance à de nombreux cercles dʼétude consacrés à la culture polonaise. Le nationalisme ruthène se développe également. Les cercles nationalistes polonais étaient plus ou moins virulents et “conspiratifs. Ils étaient lʼobjet dʼune surveillance des autorités autrichiennes. Notons à ce propos que le père du célèbre écrivain Léopold Sacher-Masoch était le directeur de la police chargée de la
répression du nationalisme polonais. En 1846, les nationalistes polonais organisèrent un soulèvement en Galicie occidentale,mais ils ne furent pas suivis par les paysans qui attaquèrent les châteaux des nobles polonais .La révolte fut réprimée.
Les révolutions de 1848 touchèrent la Galicie. En mars 1848,à lʼimage de ce qui se passait à Paris et à Vienne, des barricades furent édifiées à Lemberg, et des nationalistes polonais demandèrent des réformes à la fois politiques (plus de liberté) “culturelles”(reconnaissance de la langue polonaise) et socialex (amélioration du sort des paysans) Mais en novembre 1848, la révolte fut durement réprimée.
Dans les années 1860 François-Joseph mena une politique plus libérale, et certains de ses conseillers souhaitaient sʼappuyer sur les Polonais de lʼEmpire. Le Parlement de Lemberg obtint plus de pouvoir,mais le système électoral favorisait les Polonais, au détriment des Ruthènes.
En même temps, les discriminations politiques contre les Juifs disparurent,et un certain nombre de juifs furent élus députés. La Constitution autrichienne de 1867 qui stipulait que chaque peuple avait “ droit à la sauvegarde de sa nationalité et de sa langue” favorisa le développement des mouvements nationaux polonais et ruthène et rassura les communautés juives.

Pendant la Première guerre mondiale,la Galicie fut le théâtre de durs combats entre lʼAutriche-Hongrie et la Russie,dont témoigne lʼœuvre de lʼécrivain croate Miroslav Krleza.
En 1918, des conflits éclatèrent entre Polonais et Ukrainiens qui souhaitaient être
indépendants, mais en fin de compte la Galicie fut intégrée à la Pologne entre 1918 et 1939.Quant à la Bucovine,elle fut rattachée à la Roumanie.

Sociétés et cultures en contact Diversité, interculturalité ,conflits

La Galicie est un espace multiculturel. De nombreuses communautés coexistaient en Galicie, les deux plus importantes étant les Polonais et les Ukrainiens ou Ruthènes. La Galicie comptait également des migrants de langue allemande (fonctionnaires,artisans,paysans) arrivés après le rattachement à lʼEmpire, des communautés juives et arméniennes. Les aspirations nationales dominantes étaient celles des Polonais. Ces communautés pouvaient entrer en conflit. Certains nationalistes ukrainiens, soutenus par les autorités russes et des intellectuels panslavistes demandèrent leur rattachement à la Russie. Les autorités russes subventionnèrent ces mouvements, tout en nʼenvisageant pas sérieusement une intégration à la Russie. Mais en même temps, à partir des révolutions de 1848, les nationalistes ukrainiens affirmèrent leur souci dʼautonomie à lʼégard des Russes. On voit ainsi naître le nationalisme ukrainien qui
coexistait avec des mouvements panslavistes.
Les conflits étaient fréquents entre Polonais et Ruthènes, en particulier à lʼUniversité.
Depuis 1879,lʼenseignement dispensé à lʼuniversité de Lvov se faisait exclusivement en polonais, ce qui provoqua la colère des étudiants ruthènes. En 1907, des étudiants ruthènes occupèrent lʼuniversité de Lvov, et en 1908 un étudiant ruthène assassina le gouverneur de la Galicie,accusé dʼêtre trop favorable aux Polonais.
La situation culturelle de la Galicie était complexe.La Galicie était une province
pauvre. On assiste malgré tout à un réel développement culturel en Galicie. Lʼintégration à lʼEmpire favorise la diffusion dʼouvrages de langue allemande. Sa situation de frontière favorise lʼinnovation, en particulier avec lʼimpression et la diffusion dʼouvrages et de journaux en polonais. Lemberg (Lvov) est un centre culturel important avec son université et ses librairies. A lʼimage de lʼEmpire austro-hongrois,la Galicie sʼintègre à ce que Frédéric Barbier nomme “la seconde
révolution du livre”, la révolution de lʼ Öffentlichkeit,de lʼindustrialisation et de la librairie de masse”.
Il faut également signaler que la Galicie nʼétait pas un territoire inconnu
des Français. Des géographes, des linguistes en donnent une image assez précise. Ces études sʼinscrivent dans le contexte de la montée de la puissance allemande. A partir de la seconde moitié du XIXème siècle,les universitaires français voient dans lʼEmpire dʼAutriche un contrepoids à la montée de la puissance allemande, mais ils sont également conscients de la fragilité de lʼEmpire et des risques de conflits qui menacent un empire multinational. Certains universitaires se montraient favorables à une réorganisation “trialiste” de lʼEmpire qui aurait donné plus de place aux peuples slaves.

Les communautés juives de Galicie

La Galicie comptait dʼimportantes communautés juives qui représentaient 66% de la population juive de lʼEmpire. En 1900, on comptait 800000 Juifs en Galicie soit 11%de la population. Dans certaines villes comme Lemberg, les communautés juives représentaient 30%de la population. Lʼintégration de la Galicie à lʼEmpire avait vu une amélioration de la situation économique ( fin de nombreuses restrictions professionnelles ) et politique des Juifs, malgré le développement de lʼantisémitisme. Le judaisme orthodoxe et le hassidisme ont longtemps dominé la vie juive en Galicie, mais dʼautre courants se développèrent également : la “haskala” (courant hérité de la philosophie des Lumières), le bundisme (socialisme juif ) ou le sionisme. La situation économique des Juifs sʼaméliora,mais la pauvreté poussa de nombreux Juifs à émigrer aux États-Unis ou en Palestine. A la fin du XIXème siècle,la Galicie devint le troisième producteur de pétrole au monde derrière les États-Unis et la Russie. On appelait la région
de Boryslaw la “Pennsylvanie galicienne”. Les dirigeants de certaines compagnies
pétrolières étaient juifs, ainsi que de nombreux travailleurs, surexploités, ce qui provoqua le développement de mouvements socialistes juifs.
Le désir dʼintégration par lʼécole et lʼuniversité était important .La vie culturelle,en
particulier le théâtre était également importante.Quelques personnalités ont marqué lʼhistoire des communautés juives de Galicie,telles le philosophe Martin Buber,et peut être surtout le romancier Joseph Roth, né à Brody (ville frontière avec lʼEmpire russe) en 1893, et mort en exil à Paris en 1939, auteur de “la Marche de Radetzky”,et de nombreux ouvrages consacrés aux communautés juives de Galicie.
Lʼouvrage se termine par un extrait du livre de lʼécrivain ukrainien Yuri Andrukhovych, “Remix centre-européen” qui évoque le souvenir de ce monde disparu.”Ce monde était déjà quasiment tout entier en ruine au moment de ma naissance, je ne peux donc pas mʼen souvenir dans sa totalité ; mais je me rappelle ces vieillards et ces vieillardes bizarres,voûtés pour la plupart, qui (…), à lʼépoque de Khrouchtchev et des Beatles, sʼhabillaient comme sʼils étaient sortis pour saluer lʼarchiduc François-Ferdinand .”

Les Actes de ce colloque très riche et très érudit, intéresseront ceux (peut-être en premier lieu les étudiants) qui sʼintéressent à lʼorganisation de lʼEmpire dʼAutriche,aux sociétés multiculturelles et aux communautés juives.

Laurent Bensaïd