Ouvrage de Jean-Paul Chabrol, professeur d’histoire et auteur de nombreux titres sur la région et l’époque qui ont pu être chroniqués sur la Cliothèque, la « glorieuse rentrée des vaudois » et les Cévennes et la réimpression d’un fascicule du XVIIIe siècle faisant récit d’un épisode méconnu de l’histoire de cette minorité religieuse passée au calvinisme au XVIe siècleLes vaudois sont issus du mouvement évangélique initié par Pierre Valdo, marchand lyonnais, au XIème siècle: la rentrée militaire des vaudois dans le Piémont en 1689, trois ans après avoir en avoir été chassés par le duc Victor Amédée II.
Une épopée à forte résonance
Du à son fort retentissement dans le monde protestant, la « glorieuse rentrée »L’expression est issue d’un parallèle avec la « Glorieuse Révolution » de 1688 qui a porté le protecteur des vaudois, Guillaume d’Orange, sur le trône d’Angleterre (p.9) est connue et acclamée jusque dans les Cévennes où, au même moment, les huguenots cherchaient de l’aide pour obtenir de Louis XIV le rétablissement de l’édit de Nantes. Au-delà de l’exploit physique La troupe a traversé les Alpes sur plusieurs centaines de kilomètres, avec un dénivelé de 22 000 mètres en portant des charges pouvant aller jusqu’à 50kg par personne, la « glorieuse rentrée » entre en résonance avec l’échec cévenol et marque la fin des « grandes violences de religion » (page 10). Ces liens entre « l’Israël des Alpes » et « l’Israël des Cévennes » sont renforcés dans les imaginaires par les écrits du pasteur Henri Arnaud reproduits dans l’ouvrage.
Henri Arnaud : passerelle
C’est en effet à travers les écrits du pasteur Henri Arnaud que la « glorieuse rentrée » nous est connue. Né en 1643, ayant passé une grande partie de sa vie en exil, Henri Arnaud a participé à la « glorieuse rentrée » et est passé à la postérité pour l’héroïsme dont il fit preuve durant cette dernière (siège de Balziglia notamment). C’est au crépuscule de sa vie qu’il fit paraître, en 1710, son récit de l’événement. Au-delà de la propension certaine de l’auteur à se mettre en avant et se donner une place stratégique, ces pages fournissent de précieux renseignements sur le périple vaudois.
Après deux tentatives infructueuses en 1687 et 1688, appuyés par les soutiens hollandais et anglais, Armand et ses compagnons s’engagent, avec une grande réussite et de la chance, à travers les cols et les vallées qui les mèneront à destination. À défaut d’être un récit de voyage (Arnaud ne s’attarde que très peu sur les paysages traversés et les populations rencontrées) l’ouvrage du pasteur remplit un objectif de légitimation théologique, celle d’un peuple frappé par la persécution et poussé à l’Exode : Jean-Pierre Chabrol le qualifie ainsi « d’épico-apologétique » (p.26).
Seize journées pour traverser
Choix éditorial : une partie seulement de l’ouvrage d’Arnaud est ici reproduite, celle concernant le voyage des vaudois à proprement parler. Seize journées qui débutèrent sur les bords du lac Léman, dans la forêt de Nyon qui servit de point de ralliement pour les départs. Traversant de nuit, ce sont 600 à 700 vaudois qui débarquaient à Yvoire pour prendre la route du Piémont. De villages en bourgs, la troupe rencontre rapidement quelques soldats savoyards, la tentative ayant été éventée. Dès les premières heures de marche, les vaudois eurent recours à la prise d’otages, moyen utile pour s’assurer du pacifisme des communautés traversées tout en trouvant une manière habile de se diriger à travers les cols rencontrés.
Au fil des pages, Henri Arnaud décrit les nombreuses difficultés que sa troupe eut à traverser. De tensions en d’escarmouches, le « patriarche » Arnaud, appuyé par des lieutenants aguerris et efficaces, mène « son peuple » jusqu’à la vallée de Luzerne et aux environs de Bobbio qui marque la fin de la glorieuse rentrée.
Accompagnée des commentaires de Jean-Paul Chabrol et des informations géographiques historiques qu’il peut apporter tout au long du récit, les éditions Alcides mettent à la disposition, avec cette parution, un témoignage passionnant et militant d’une minorité religieuse soumise à l’arbitraire du pouvoir et auquel elle répond, non sans se montrer elle-même par moment violente et cruelle.
À n’en point douter la glorieuse rentrée constitue, comme le disait Napoléon, « l’une des plus belles épopées du XVIIe siècle ».