Présentation

Claude Quétel est un historien français, spécialiste de l’histoire de l’enfermement et de la psychiatrie. Instituteur, puis professeur d’histoire, il réussit en 1976 le concours d’entrée au CNRS, ce qui l’amène à devenir directeur de recherche en histoire moderne et contemporaine. Il se spécialise ainsi dans des sujets peu abordés comme la psychiatrie et la psychohistoire. Il devient également directeur scientifique du mémorial de Caen de 1992 à 2005,  puis commissaire du Centre national du livre. Claude Quétel a ainsi traité ses spécialités qui sont la psychohistoire, c’est-à-dire l’étude des structures mentales qui conduisent à un fait, et la psychiatrie dans de nombreux ouvrages comme par exemple Nouvelle histoire de la psychiatrie (1983) ou Histoire des maladies mentales (1987).

L’histoire porte sur l’affaire des poisons sous le règne de Louis XIV, durant laquelle l’arrestation d’une femme, la marquise de Brinvilliers, permet la découverte d’autres criminelles et clients présents même dans l’entourage du roi. L’auteur nous fait le récit des scandales successifs depuis l’arrestation de la marquise, qui débouche sur de multitudes emprisonnements qui révèlent une population superstitieuse et adepte de la sorcellerie. L’ouvrage présente tout d’abord les différents personnages dans le récit en les divisant en plusieurs catégories : autorités, accusés, clients de la ville ou de la cour. Divisé en onze chapitres selon les avancées de l’enquête et l’arrivée de nouveaux personnages principaux, l’ouvrage comporte onze chapitres. Des notes en bas de page et une bibliographie complètent l’appareillage.

Résumé

 Le premier chapitre de l’ouvrage fait la présentation de la première accusée dans l’affaire des poisons et de son complice qui est aussi son amant : la marquise Marie Madeleine de Brinvilliers et Jean Baptiste alias Sainte-Croix. Le père de la marquise n’appréciant pas cette relation, il fait embastiller, par une lettre de cachet, Sainte-Croix. A sa sortie de prison, ce dernier s’intéresse peu à peu aux poisons et souhaite se débarrasser du père de son amante, qui s’opposait à leur relation. Ainsi Sainte-Croix tente de convaincre la marquise d’empoisonner son père qui représentait un obstacle et qui meurt le 10 septembre 1666. Progressivement, ce sont ses frères, François et Antoine, qui meurent empoisonnés par leur sœur la marquise en raison de l’ordre de succession qui n’allait pas en sa faveur. Ce cas d’empoisonnement rappelle le nom donné à certaines poudres appelées « poudres de succession ». Ainsi, Sainte-Croix se familiarise avec la production de poisons qu’il se met à vendre.

Le deuxième chapitre traite de l’arrestation et l’exécution de la marquise. Tout d’abord, Sainte-Croix est mort en laissant derrière lui des dettes et des lettres compromettant la marquise de Brinvilliers qui évoque les empoisonnements. Ne parvenant pas à les récupérer, elle s’enfuit en août 1672 vers l’Angleterre ce qui indique auprès des autorités françaises sa culpabilité. Le 25 mars 1676, elle est arrêtée à Liège et n’avoue rien malgré les différentes preuves qui l’accablent jusqu’au jour de son exécution le 17 juillet 1676. Devant Notre-Dame, on lui lit son arrêt de mort puis elle est conduite sous les yeux de la foule immense jusqu’à la place Grève pour être exécutée. Cette affaire attise de nombreuses curiosités et alimente les potins à la cour comme le montre la remarque de Mme De Sévigné qui s’adresse à sa fille dans une lettre et qui a assisté au passage de la condamnée : « Jamais il ne s’est vu tant de monde, ni Paris si ému ni si attentif ».

Dans ce troisième chapitre, il est abordé l’invention de la police par Colbert qui souhaite lutter activement contre la criminalité dans la capitale et qui joue aussi un rôle dans les arrestations d’empoisonneurs ou de commerçants de poisons. Colbert dissocie les fonctions de police et de justice en créant la fonction de lieutenant de police en mars 1667 qui a pour charge de s’assurer de l’ordre et de la sûreté de la ville, alors que le lieutenant civil s’occupe seulement de juger les affaires. Le choix pour assurer la fonction de lieutenant de police générale se porte sur l’avocat Gabriel Nicolas La Reynie qui parvient, par sa fidélité et son sérieux, à s’occuper de dossiers importants. Ce dernier réorganise Paris en enfermant les mendiants et les prostituées à l’Hôpital général. Les lettres de cachet lui permettent de faire arrêter des individus sans explication mais surtout sans créer de scandales et ameuter la population.

Le quatrième chapitre rapporte une autre affaire d’empoisonnement, ce qui fait craindre aux autorités de voir ces crimes se multiplier. Un des complices de la marquise et de Sainte-Croix, Pierre Louis Reich de Pennautier, est impliqué dans une autre enquête d’empoisonnement. En effet, il est accusé d’avoir empoisonné en mai 1669 l’ancien receveur du clergé de France afin d’accéder à son poste. De par sa notoriété et sa richesse considérable qui est nécessaire au royaume en pleine guerre contre la Hollande, il est acquitté le 23 juillet 1677. Cependant, la fin de cette affaire ne suffit pas pour ébruiter les rumeurs sur des poisons et alimenter les soupçons à chaque fois qu’une personne meurt dans d’étranges circonstances. Le lieutenant général de la police, La Reynie, ne souhaite pas ébruiter les affaires car elle provoque des inquiétudes mais aussi car elles encouragent de manière indirecte l’usage du poison, ce qui multiplie les meurtres et arrestations.

Le cinquième chapitre fait état d’une nouvelle affaire qui menace Louis XIV et conduit à de multiples arrestations. Fin septembre 1677, une mystérieuse lettre est remise au père de La Chaise, confesseur du roi, qui la transmet à son tour à Colbert, dans laquelle on évoque une poudre blanche et des crimes sans entrer dans les détails. Surtout, elle évoque le sort du chevalier de Rohan qui fut accusé de complot contre le roi et décapité devant la Bastille le 27 novembre 1674, ce qui fait de cette lettre une menace pour la sécurité du roi et une affaire à résoudre pour La Reynie. Parallèlement, une plainte pour détournement de succession permet la découverte d’un nouveau cas d’empoisonnement. Madeleine de La Grange, commerçante et experte en poison, se marie par un faux contrat pour faire jouer la succession en sa faveur avec son amant qui prévoyait de se séparer d’elle. Celle-ci l’empoisonne pour en devenir sa veuve, ce qui alarme certains membres de la famille du défunt. Ainsi, elle est arrêtée avec son complice, l’abbé Nail, qui s’était fait passé pour son amant lors du contrat de mariage. Ce dernier est placé à la prison de l’officialité, ce qui lui permet de recevoir des individus, sauf que certains de ces visiteurs sont arrêtés puisqu’il s’agit de complices. Le mercredi 8 février 1677, les deux complices et amants avouent enfin leurs crimes mais ne reconnaissent pas avoir écrit la mystérieuse lettre.

Dans le sixième chapitre, l’auteur nous apprend que le faux-monnayeur Vanens et des membres d’une organisation secrète d’empoisonneurs, appelée la « cabale » par La Reynie, sont impliqués dans le meurtre du duc de Savoie, ce qui oblige le lieutenant de la police générale de garder cette affaire secrète. La découverte de lettres dans le domicile du comte nous informe que cette organisation est divisée en plusieurs branches : les distilleurs, les agents de liaison, les agents de transports et les convoyeurs de fonds. Le 4 janvier 1679, une devineresse, nommée Marie Bosse, est arrêtée par lettre de cachet avec Mme Vigoureux, connues toutes deux pour leurs talents de devineresse et d’empoisonneuse. En colère lors des interrogatoires, la Bosse énumère les noms des fabricants de poisons, des clients… Le nom qui ressort le plus souvent est celui de La Voisin, une femme adepte de la chiromancie et devineresse, qui occupe une grande place puisqu’elle sous-traite La Bosse et la Vigoureux tout en orientant la clientèle vers des spécialistes. Les interrogatoires font état d’autres crimes comme l’organisation de messes noires, la pratique de sorcellerie ou de sacrifices d’enfant. En majorité, les clients sont des femmes de toutes classes sociales qui souhaitent principalement se débarrasser de leurs maris. Les poisons sont aussi nombreux que les techniques d’empoisonnement. Par exemple, on fabrique du savon à l’arsenic pour en frotter sur les vêtements.

Le septième chapitre montre que, face à l’ampleur de la situation, une chambre judiciaire est constituée pour juger les cas d’empoisonnement, d’où le nom de Chambre ardente car elle condamnait les jugés au feu. Cette chambre, créée le 7 avril 1679, a pour but de juger plus rapidement les affaires sans les divulguer au public. Ainsi, Mmes La Vigoureux et La Bosse sont condamnées au bûcher par cette chambre. Les complices de Mme Voisin s’amassent de plus en plus et s’étendent au-delà de Paris, des arrestations ont lieu dans toute la France. En effet, le secrétaire d’État à la guerre Louvois est la personne à qui Louis XIV a confié la direction de l’affaire des poisons, en lien avec les intendants des prisons de province. Par exemple, il fait arrêter en Normandie le prêtre Davot qui organisait des messes noires avec Mme Voisin. Celle-ci, qui est accusée par presque tous ses complices, divulgue peu à peu sa vaste clientèle qui s’étend même aux femmes de la cour, comme la comtesse de Soissons qui est soupçonnée d’avoir empoisonné son mari. Plus les dénonciations touchent certains membres de l’aristocratie et de la cour, plus on se rapproche du roi qui a peur pour sa sécurité. Les accusations portent même sur sa favorite, madame de Montespan. Après avoir puisé toutes les informations nécessaires, madame Voisin est brûlée sur le bûcher le 22 février 1680. La Chambre ardente ne se limite plus au poison mais également aux sacrilèges, acte d’impiété, profanations et fabrication de fausse monnaie.

Dans le huitième chapitre, l’auteur nous donne plus de détails sur la place de la favorite du roi dans l’affaire des poisons. Celle-ci, grâce à sa beauté, devient rapidement la favorite du roi et exerce un contrôle sur lui. Sauf que sa beauté s’estompe, ce qui la fait craindre de perdre sa place. En effet, Louis XIV se détache d’elle pour d’autres maîtresses, ce qui ne fait qu’augmenter la jalousie de madame de Montespan. Elle est d’autant plus compromise car son nom est cité dans les interrogatoires et dans la liste des clients de madame Voisin. Madame de Montespan se procurait des filtres d’amour pour éviter que le roi ne s’éloigne d’elle et participait à des messes noires avec des sacrifices d’enfant. Toutefois, de son côté le lieutenant de la police générale n’ose pas approfondir les enquêtes par crainte de manquer de respect au roi, ainsi l’accusée n’est pas interrogée. Afin d’éviter le scandale, elle est progressivement délaissée par le roi mais aussi par ses enfants qui l’ignorent. Elle reste quelques années à la cour avant de se retirer dans un couvent en 1690.

Dans le neuvième chapitre, on apprend que La Reynie se retrouvant face aux graves accusations sur Mme de Montespan, ne savait pas comment réagir car on s’approchait de la personne du roi. En effet, le lieutenant général n’arrivait pas à croire que la favorite ait pu être mêlée aux rituels de messes noires, il remet même en question les interrogatoires, ce qui l’amène dans une grande confusion. Cette affaire des poisons devient un enjeu de bataille entre Louvois, qui est à la direction de celle-ci, et Colbert qui a autorité sur le lieutenant La Reynie et la Ville de Paris. Tous les deux souhaitent mettre la main sur l’affaire pour se rapprocher au plus près du roi, et dans une rivalité, ils exercent du favoritisme sur les nobles accusés qui prennent parti. Alors que Colbert soutient la duchesse de Soissons accusée d’empoisonnement, Louvois tente par tous les moyens de l’inculpé en favorisant les témoignages contre elle. A côté, les cellules de la Bastille ne cessent de se remplir avec de multiples arrestations qui élargissent des faits qui ne se limitent plus au poison.

Le dixième chapitre nous explique comment la Chambre ardente prend fin. Tout d’abord, il reste beaucoup de criminels qui n’ont pas été jugés et qui représentent de grandes dépenses pour l’État. Ainsi, La Reynie et Louvois discutent du sort des prisonniers. Les suspects ou les individus les moins compromis sont exilés ou bannis de Paris. Certains sont introduits dans les métiers d’arme, comme le fils de madame Bosse qui est libéré à condition qu’il s’engage dans l’infanterie. Les prisonniers les plus compromis sont envoyés dans les prisons de province pour alléger la Bastille. Par exemple, douze prisonnières, dont la fille de la Voisin, sont envoyées dans la forteresse de Belle-Île. Lorsque les principaux accusés sont exécutés, le tribunal de la Chambre Ardente est défait en 1682. Dans la continuité de la lutte contre le poison et de la sorcellerie, Louis XIV signe l’édit de juillet de 1682 qui réglemente l’utilisation de produits toxiques dans le but de la rendre moins accessible en les limitant aux professionnels qui en requièrent et qui doivent s’enregistrer auprès des marchands (donner leurs noms, écrire la quantité acheter…).

Le onzième chapitre évoque les derniers cas de poisons qui font craindre une nouvelle affaire. L’auteur nous montre que près d’un siècle après l’affaire des Poisons, à la fin du XVIIIe siècle, la raison qui domine en France grâce au courant des Lumières apporte du recul pour les contemporains qui voient parfois d’un œil moqueur les scandales. L’édit de 1682 a fait changer les mœurs en démontrant qu’il n’y avait pas de vrai sorcier ou sorcière mais des personnes qui réussissent à duper les autres même si on peut toujours être condamné. Toutefois, des cas d’empoisonnement persistent même s’ils sont moins nombreux, ce qui ravive la crainte de se retrouver dans la même situation que l’affaire des Poisons. La mort de La Reynie le 14 juin 1709 rappelle au roi l’existence de procès-verbaux qui sont conservés dans un coffre chez un greffier de l’ancien lieutenant. Constituant une atteinte à son image, Louis XIV décide de s’en débarrasser en les brûlant tout en ignorant que La Reynie en avait fait des résumés.

Appréciations

Cet ouvrage, destiné à un public averti et bien écrit, est d’une grande richesse culturelle en apportant des connaissances historiques sur la fin du XVIIe siècle. En effet, comme les événements de l’affaire des Poisons ont lieu essentiellement à Paris, l’auteur nous explique l’organisation de la ville en insistant sur le criminalité et la présence de populations en marge de la société tels que les malades, les prostituées ou encore les mendiants Ces explications sont accompagnées de précisions géographiques en évoquant le nom des lieux, rues et quartiers par exemple. A travers l’affaire des Poisons, c’est aussi l’organisation du système judiciaire et la mutation de la police qui est éclaircie. Claude Quétel fait le récit des crimes de cette affaire dans le détail. En effet, il réussit à nous plonger au cœur de l’affaire des Poisons en nous présentant la vie des principaux accusés et même de ceux qui occupent de basses positions.

On peut aussi souligner le fait que l’auteur prend du recul avec l’affaire des Poisons en réinterrogeant les pratiques des interrogatoires, les sources écrites et les historiens. L’auteur pointe des divergences sur certains faits sans prendre parti, mais sans toutefois apporter des réponses. Par exemple, pour montrer que les accusations peuvent être remises en question, l’auteur évoque la crédulité de La Reynie et la manipulation des accusés par Louvois, s’inspirant de Louis XIV écrit par François Bluche qui est une de ses sources. L’affaire des Poisons révèle également les mœurs et la superstition des contemporains. L’usage des poisons répandus chez les femmes contre leurs maris (souvent à cause de mauvaises ententes) rappelle les conditions de mariage forcées dans cette société. Cette affaire révèle également l’existence d’une autre face cachée des individus de toutes classes sociales qui croient à la magie et à la sorcellerie, et qui s’organisent pour vendre et attirer des clients. L’affaire des poisons met en lumière tout un réseau hiérarchisé (chef de l’organisation, la sous-traitance, les exécuteurs de basses tâches…) d’organisation de crime qui englobe divers strates de la société. Il est aussi surprenant de voir que, bien qu’il y ait un rôle important de l’Église à cette époque, il existe des individus qui mélangent la religion chrétienne et le satanisme pour la réalisation de certains rituels, comme l’organisation de messes noires faites par des prêtres d’église.

Compte rendu de lecture réalisé par Hajar Khazzani, étudiante en hypokhâgne (2021-2022) au Lycée Albert Schweitzer du Raincy (Seine-Saint-Denis) dans le cadre d’un travail d’initiation à la recherche historique.