La Première Guerre mondiale est un conflit qui a toujours occupé une part importante de la mémoire collective française. Qu’il s’agisse des monuments aux morts construits dans l’après-guerre ou de l’hommage national rendu en 2009 à Lazare Ponticelli, la Grande guerre revient périodiquement sous les feux de l’actualité.

Laurent Véray, historien du cinéma et enseignant à Paris X Nanterre, se livre ici à une étude des films consacrés à ce conflit. Comment ces films rendent-ils compte de la réalité de la guerre ? Quelle image en donnent-ils ? Et surtout, en quoi ces films sont-ils le résultat de leur propre environnement politique et social ?
L’ouvrage richement illustré, se divise donc en quatre parties : les films contemporains du conflit, les films de l’entre-deux-guerres, ceux des années 40 à 80 et enfin les films actuels.

L’héroïsation du conflit

Deux types d’images datant de la Première guerre mondiale peuvent être distinguées : les images officielles et documentaires de guerre, et les films de fiction.
La première catégorie comprend des images produites sous le contrôle des autorités qui ont vite compris l’intérêt qu’elles pouvaient tirer de ce média. Ces films doivent donc servir les buts de guerre du gouvernement, contribuer à mobiliser la population et convaincre les neutres du bien fondé du combat des Français. La propagande est présente, mais rarement haineuse. Les images pouvant même parfois involontairement faire l’objet d’une double lecture : en particulier les reportages consacrés aux progrès de la médecine qui rendent indirectement dans toute leur réalité les horreurs des blessures alors que celles-ci n’apparaissent jamais dans les images de combats. Les films doivent aussi être des images d’archives pour les générations futures, un concept nouveau qui fait là son apparition.
Les structures nécessaires à la réalisation et à la production de ces images sont alors mises en place en liaison avec les professionnels du cinéma. De son côté la censure des images répond à deux objectifs très clairs : ne pas inquiéter la population ni renseigner l’ennemi.
Une partie des images projetées est cependant le fruit de reconstitutions organisée à l’arrière, en raison des interdictions, mais aussi et surtout de l’impossibilité technique de filmer sur la ligne de front. Des reconstitutions qui sont reprises comme images authentiques des combats par de nombreux documentaires actuels sur le conflit.
Les films de fiction sont le produit de leur époque. Laurent Véray rejoint ici les thèses de Stéphane Audouin-Rouzeau et Annette Becker sur les cultures de guerre. Acteurs et réalisateurs se mobilisent. Ils n’hésitent pas à puiser leur inspiration dans les images d’Epinal de la guerre de 1870. La représentation de l’ennemi qu’ils y trouvent leur permet de mieux toucher les Français. Cette image héroïque du conflit garantit le succès des films auprès du grand public mais scandalise les combattants lors de leurs permissions.
L’arrivée des Américains se révèle déterminante sur les champs de bataille comme dans les salles de cinéma. Hollywood met toute sa puissance naissante au service du conflit. Alors que les films français atténuaient les différentes formes de violence, les Américains l’accumulent, ils multiplient les procédés cinématographiques pour donner du rythme à leurs films. Ils inventent ainsi un genre nouveau, le film de guerre, dont les règles sont ainsi mises en place.

Entre commémoration et pacifisme.

Le cinéma de l’immédiat après-guerre reste pris dans les enjeux politiques. Les Français ont du mal à accepter la vision manichéenne d’Hollywood qui donne de la France une image de pays ravagé ne devant son salut qu’aux Sammies. Alors que les Allemands voient dans ces mêmes films une dénonciation exagérée des atrocités commises par leurs forces. Les affrontements cinématographiques reprenant même avec l’occupation de la Ruhr qui provoque une poussée des films nationalistes antifrançais de l’autre côté du Rhin.
Mais le ton change avec la Grande Parade qui tout en gardant le côté spectaculaire des films de guerre, réussit à associer comédie et tragédie. Le film montre l’horreur de la guerre sans diaboliser l’ennemi, ce qui est nouveau dans le cinéma américain.
Le cinéma français répond aux fictions américaines par une volonté de revenir à plus d’authenticité. On utilise massivement des images d’archives pour faire prendre conscience à tous des horreurs du conflit. Le recours aux anciens combattants pour commenter les images ou comme sujet d’inspiration participant à ce devoir de mémoire.
Le cinéma contribue désormais au combat pour la paix qui imprègne la société française. De Verdun, visions d’histoire aux Croix de bois, les cinéastes utilisent les progrès techniques (apparition du son, technique de montages..) pour dénoncer l’horreur des combats de la manière la plus réaliste possible.
Les films pacifistes ne se contentent pas de remettre en cause la guerre, ils donnent aussi une nouvelle image de l’ennemi, l’officier prussien de la Grande Illusion n’a plus grand-chose à voir avec les représentations des Prussiens dans les films tournés durant la guerre.

Une critique de la guerre

La Seconde Guerre mondiale ne fait pas disparaître les films sur la première. Mais la représentation de celle-ci sert souvent de prétexte à des critiques beaucoup plus générales en relation avec le contexte de réalisation des films.
Le succès du Diable au corps en témoigne. Un film sur des drames personnels vécus pendant la Grande Guerre qui s’inscrit à contre-courant de la vision de la fin des années 40 sur le comportement des Français en guerre.
Il en est de même du choc provoqué par les Sentiers de la Gloire. Il doit être relié au contexte de 1958. Le film est perçu comme une remise en cause de l’armée alors que celle-ci est en pleine guerre d’Algérie. Plus que la vision de la guerre de 1914, c’est son antimilitarisme qui provoque la colère et la censure des officiels.
Dès lors les dénonciations des absurdités de la guerre qui broie et mutile les individus dans leur chair comme dans leur corps se multiplient en France comme à l’étranger. Des films qui jouent de tous les registres. La souffrance suggérée de Johnny s’en va-t-en guerre comme la légèreté de la Victoire en chantant participent à ce combat

La Grande guerre comme révélateur des sociétés contemporaines ?
L’auteur explique le retour des films sur le sujet comme une réponse aux peurs de notre société. Ainsi la dénonciation de la violence et des horreurs de la guerre dans Capitaine Conan renvoie aux œuvres sur le même thème et à la brutalisation des sociétés. Mais le choix du théâtre d’opération des Balkans alors que l’Ex-Yougoslavie est en feu rappelle que la guerre est de retour sur le continent.
L’évolution sociale se manifeste aussi par le plus grand nombre de personnages féminins dans les films, les hommes étant réduits au rôle de victimes d‘une violence extrême ainsi dans les fragments d’Antonin ou Marthe. On évolue ainsi vers un cinéma qui fait la part belle aux victimes du conflit.
Enfin, l’auteur termine son étude par les films qui, avec leur succès, participent à une patrimonialisation de la Grande Guerre en accumulant les clichés sur le conflit sans en restituer la véritable nature. Dans un long dimanche de fiançailles de nombreux décors semblent tirés de la presse de l’époque, le traitement de l’image par Jeunet constitue un des aspects majeurs du film. Mais le personnage de Mathilde se conduit davantage comme une héroïne contemporaine que comme une française du début du siècle précédent. Tandis que l’amnésie du personnage masculin apparait comme la possibilité de tout reconstruire en oubliant les horreurs du passé.
Une possibilité de s’unir malgré les horreurs du passé qui imprègne également Joyeux Noel. Un film critiqué par Véray pour la prétention de son auteur à écrire « une histoire vraie que l’histoire a oublié » et sa version idéalisé du comportement des combattants.

Un ouvrage riche

La force de l’ouvrage provient de la qualité des illustrations, qu’il s’agisse d’images extraites de films ou des reproductions d’affiches d’époque. Des documents originaux pouvant renouveler les corpus documentaires habituellement fournis pas nos manuels.
Qu’il s’agisse du J’accuse d’Abel Gance ou de Joyeux Noel, en passant par les Sentiers de la gloire, de nombreux films font l’objet d’un développement bien utile pour un usage pédagogique pour ceux qui veulent aborder la mémoire de la guerre autrement que par l’entrée par les monuments aux morts.