C’est toujours avec beaucoup d’intérêt que nous présentons sur le site La Cliothèque cette collection d’ouvrages très accessible qui permettent de faire le point sur des questions qui sont très souvent au coeur de nos programmes d’histoire et de géographie, ou du moins ce qu’il en reste.
Cette mise au point qui est sortie en octobre 2010 ne fait pas exception. Professeur à Sciences-po, André Loez est un spécialiste de l’histoire de la Grande guerre, auteur en 2008 d’un très important ouvrage consacré aux mutineries de 1917.
L’immense avantage de cette collection et notamment de cet ouvrage, c’est qu’il apparaît comme une véritable mise au point sur le débat historiographique qui a pu faire rage depuis quelques années. La présentation, avec des encadrés, sur les questions en débat, permet d’aller très vite à l’essentiel est de disposer des éléments de référence pour se faire une opinion. On connaît les enjeux de cette polémique à propos de l’analyse de la Grande guerre, et surtout de sa perception par les sociétés de l’époque. Entre les tenants d’une mobilisation consensuelle, favorisée par la mise en avant du concept de « brutalisation », et ceux qui considèrent que la Grande guerre a plutôt joué un rôle « clivant » dans les sociétés, beaucoup d’encre a coulé. Cet ouvrage apporte donc une très utile présentation de la question.
Au cœur des débats historiographiques
Bien entendu, la présentation de la Grande guerre évoque très largement des questions qui vont au-delà de « l’histoire bataille ». Dans la partie qui est consacrée à la période 1915-1917, les états vers la guerre totale, l’auteur développe une très utile parti consacré aux stratégies périphériques et à l’inventivité technique. On pourra très largement utiliser cette partie pour apporter des connaissances et pour montrer en quoi cette guerre a véritablement constitué une rupture dans tous les domaines. On pourra également utiliser à la page 28 le très utile encadré consacré au Moyen-Orient, redessiné dans la guerre.
C’est dans la quatrième partie, les sociétés à l’épreuve, que l’auteur apporte en un petit nombre de pages un éclairage extrêmement intéressant sur l’emprise de la guerre dans les sociétés. Cela va de la lutte contre l’alcoolisme, avec l’interdiction de l’absinthe en France en 1915 ou la restriction des horaires d’ouverture des pubs en Angleterre. Dans le chapitre sur les expériences de guerre des groupes sociaux, l’auteur rappelle que la guerre des ruraux semble encore sous étudiée, , qu’il s’agisse des paysans au front ou des villages de l’arrière. Il est vrai que cet aspect semble avoir davantage des traités dans ce que j’appellerai des romans paysans, que par un travail historique qui aille au-delà des études régionales. Certaines études présentent également un intérêt majeur, comme celui de « l’impôt du sang », payé par une partie des élites mais également par les classes moyennes. Parmi les promotions en cours de scolarité dans les plus prestigieuses écoles anglaises ou françaises le pourcentage de tués est supérieur à 50 %, pour un pourcentage moyen de 16,5 % en France et 11,8 % en Grande-Bretagne. En Allemagne le chiffre atteint et de 15,4 %. Une des conséquences de la guerre dans les sociétés est aussi l’appauvrissement et le déclassement social. Toutefois, il semblerait que la généralisation des allocations de secours versées aux proches des mobilisés ait permis une petite amélioration de la situation sociale et sanitaire des civils pendant la guerre.
Des éclairages inédits ou mal connus
Dans la redéfinition des identités sociales nationales, l’auteur évoque évidemment la transformation des rôles féminins et de l’image des femmes, mais il s’agit là de questions largement étudiées auparavant, mais également la question des identités nationales et des minorités dans la guerre, beaucoup moins connue. La guerre a pu jouer un rôle intégrateur dans un certain nombre de cas, permettant par exemple aux paysans du Midi mobilisés de pratiquer le français. Mais elle a pu également aggraver les préjugés, les bavarois contre les prussiens, la méfiance de l’état-major allemand à l’encontre des Alsaciens et des lorrains, et surtout, notamment à partir de novembre 1916, la généralisation des soupçons à l’égard des juifs, qui se traduit par leur « décompte », au sein des unités militaires. La stigmatisation des juifs allemands dans le débat public explique ainsi avec quelle facilité ils pourront être rendus responsables de la défaite.
Pour la partie consacrée à la période 1917-1919 l’auteur fait également un point très utile de la question dans tous ses aspects, diplomatiques, coloniaux, politiques mais ne consacre que peu de place, dans le sixième et dernier chapitre, au retour de guerre, au prix de la guerre et de sa reconstruction. On appréciera par contre la partie consacrée aux présences et usage de la Grande guerre ainsi que celle consacrée à la démobilisation, en général, assez peu présente dans les manuels généraux.
Ce petit livre est donc une réussite à tous points de vue et on ne peut qu’inviter les centres de documentation à faire l’acquisition de plusieurs exemplaires de cette série, afin que les connaissances et leur actualisation scientifique ne soit point trop négligées par les élèves, et peut-être aussi, vu les effets délétères de certaines réformes, par leurs maîtres.
Bruno Modica