En voyant sur la quatrième de couverture les fonctions actuelles et passées de de l’auteur, le lecteur pressé de ce site ou peut-être marqué Y’en aurait-il ? Comment cela serait-il possible ? par des préjugés aurait peut-être tendance à négliger cet essai.

Éditorialiste au Figaro, chroniqueur au Figaro-Magazine sur France Culture, Alain Gérard Slama signe pourtant un texte particulièrement enlevé et à bien des égards passionnant. Se revendiquant comme appartenant à « la droite modérée, » ou authentiquement libérale, Alain-Gérard Slama charge avec bonheur les travers du pouvoir depuis 2007. Son discours est extrêmement clair. Et bien de ces affirmations sont vérifiables tous les jours. Oui, nous vivons bien dans une société d’indifférence aux autres, mais aussi de complaisance face à tous les empiétements que subissent nos libertés.

Pour Alain Gérard Slama l’exemple vient d’en haut. D’abord par la remise en cause de fait de l’esprit de la constitution avec cette hyper présidence qui irrite l’auteur. Il parle d’ailleurs du prince-président, de cette omniprésence médiatique, mais en évoquant avec une rare cruauté les travers de celui qui va au-delà du prince-président pour devenir un prince-PDG. Il est vrai que la conception du pouvoir qui s’exerce est davantage « opérationnelle », au sens que lui donnent les managers, que porteuse d’une ambition à long terme pour le pays. En tout état de cause, ses prédécesseurs, et notamment Jacques Chirac, et peut-être aussi François Mitterrand, avaient ouvert la voie du détricotage antidémocratique de nos institutions.

Prince-Président – Prince PDG

Très clairement, la révision de la constitution mise en œuvre en 2008, a remis en cause le pouvoir d’initiative du Parlement, puisque la priorité de l’élection présidentielle sur les élections législatives et la concomitance des deux mandats garantissent la majorité au président de la république. L’actuel locataire de l’Élysée a fait disparaître dans la pratique la fonction de Premier ministre et son autorité sur le parti majoritaire l’a rendu maître des investitures. Il s’agit bien d’une stratégie managériale qui vise à donner au grand patron les moyens de maximiser son autorité en donnant des gages aux membres de son conseil d’administration.
Alain-Gérard Slama est également particulièrement sévère pour ce qui concerne la réforme de la justice avec la suppression du juge d’instruction. Une fois de plus, cette mesure à laquelle l’actuel garde des sceaux a donné sa caution vise à renforcer le pouvoir de la hiérarchie sur la justice. Pour ce qui concerne l’indépendance des magistrats, les promesses d’avancement ou de décoration, comme d’habitude, feront le reste.

Autre exemple enfin, la suppression de la publicité dans l’audiovisuel public a permis de renouer les liens entre l’audiovisuel public et le pouvoir politique. Les chaînes publiques sont devenues dépendantes par rapport aux dotations budgétaires de l’État et l’exécutif, malgré un certain nombre de garde-fous, dont on a vu récemment qu’il ne servaient pas grand-chose, jouit d’un pouvoir de nomination dont Vladimir Poutine lui-même, ne dispose pas. Au moins de façon officielle.

L’auteur fait remonter à 1989 le début de ce délitement des principes fondateurs de la république. Il rappelle que lors de la première guerre du Golfe, le président François Mitterrand, inquiet de l’impact du conflit sur les musulmans et juifs de France, avait demandé aux responsables des trois principales religions monothéistes de s’accorder pour pacifier les esprits.

Menace sur le pacte républicain

Cela signifiait que les Français, musulmans ou juifs, étaient incapables de réagir autrement qu’en tant que communautés, et qu’il serait amené à privilégier les intérêts de leurs obédiences religieuses par rapport à l’intérêt de leur nation. Il est clair que la montée du Front National encourageait cette tendance est désormais, les imams comme les rabbins, sans parler des archevêques, se trouvent légitimés à intervenir dans le débat public.

Enfin, Alain-Gérard Slama n’a pas de mots assez durs pour évoquer ce qu’il appelle : « l’horreur identitaire ». Il porte le fer sur l’utilisation à tort et à travers de « l’identité nationale » dont on a fait un ministère et à propos de laquelle on s’est senti obligé d’organiser un débat dont les arrière-pensées électoralistes non, fort heureusement, trompé personne. Il y a véritablement rien à redire à cette charge contre le lien opéré dans l’intitulé de ce ministère, entre l’identité nationale et l’immigration. Dans le même temps, Alain-Gérard Slama rappelle que Nicolas Sarkozy qui a été pendant la seconde cohabitation ministre de François Mitterrand, a parfaitement intégré les leçons du maître en ce qui concerne l’instrumentalisation du Front National et des pulsions que la montée en puissance de ce parti peut entraîner.

À ce propos, rappelons que pendant un temps, Nicolas Sarkozy a essayé d’utiliser l’extrême gauche, et notamment Olivier Besancenot, comme un idiot utile permettant de rééditer à l’encontre de la gauche, ce que François Mitterrand faisait subir à la droite modérée en utilisant Jean-Marie Le Pen.
Peur sécuritaire, dépolitisation de masse, montée de l’indifférence et de l’individualisme, l’ensemble des éléments qui participent de ce que j’aurais tendance à appeler la destruction du tissu social sont ainsi évoqués. Il faut lire ce livre, et même à certains égards le relire, parce qu’il apporte, avec un éclairage dont on n’est pas forcément familier, des arguments de raison qui vont très au-delà des appartenances politiques réelles ou supposées.

Bruno Modica